mercredi 31 mai 2023

Vic 2023 : un grand cru (2)


 
 
La corrida concours 

   Le retour de la corrida concours a été un succès. Même si aucun toro complet n'a émergé, car plusieurs ont baissé pied au troisième tiers, tous ont montré au cours du tercio de pique une bravoure suffisante pour donner un intérêt permanent à la matinée, d'autant que les piqueros ont accompli dans l'ensemble leur office avec bon vouloir, ce qui n'a pas toujours été le cas dans le passé.
 
   Vizcaíno de Saltillo est un superbe cárdeno cinqueño à l'armure très offensive. Après une bonne réception par véroniques qui montre sa noblesse il prend quatre piques (bien Adrian Navarrete) en poussant principalement de la corne gauche. Il fait preuve d'une grande fixité et garde la bouche fermée au troisième tiers, humiliant bien, avec la pointe de soseria habituelle de l'encaste, dans la muleta distante (les cornes ?) de Sanchez Vara. Ovation pour le toro et silence pour le matador qui a tué d'un affreux mete y saca périphérique. 

   Riojanero est un toro bien fait  au beau pelage negro chorreado en morcillo. Il est marqué du rare mais prestigieux fer de Villamarta. Un nom qui résonne à l'oreille des aficionados pour être à l'origine des fameux Guardiola Fantoni. Les Villamarta, mélange de plusieurs branches Vistahermosa, sortent de nos jours essentiellement en novillada avec des résultats modestes. Jusqu'à ce jour ... car Riojanero est un très bon toro qui aura eu la malchance de tomber sur un matador qui n'a pas su le mettre en valeur au premier tiers. Il prend la première pique sans avoir été mis en suerte, la seconde al relance, une troisième après laquelle le président change le tiers. Le toro a chaque fois poussé avec bravoure. Il sera par la suite mobile, noble avec une bonne corne gauche. Au cours d'une longue et laborieuse faena, Adrian de Torres  lui sert une belle série de naturelles mais, dominé par la caste de l'animal, il finit par se faire prendre. Ovation au cornupète et salut du torero, valiente, mais totalement absent dans la brega du premier tiers - une erreur de casting de la part des organisateurs.
 
   Pelo Blanco marque le retour de l'élevage du Comte de la Corte. C'est un cinqueño massif qui va être à l'origine d'un premier tiers de haut niveau. Par quatre fois il chargera de très loin, avec une bravoure pleine de codicia, la monture de Pepe Aguado (grosse ovation au piquero). Il aura commis un seule petite faute : être parti parti spontanément vers les barrières après la deuxième pique mais c'est un toro qui a besoin d'espace pour s'exprimer et parait étouffé par l'étroitesse du ruedo vicois. Après un tercio si intense il marquera le pas au troisième tiers, d'autant que sa parfaite noblesse sera un brin étouffée par les cites trop rapprochés de Gomez del Pilar. Pelo Blanco nous a expliqué pourquoi le sang La Corte est aujourd'hui dominant dans la cabaña brava et aura prouvé - c'est rassurant- que la caste originelle est toujours présente dans l'élevage des héritiers du Conde. Il sera déclaré vainqueur du concours.

   Avec Aguador de l'élevage Santa Teresa portant le fer prestigieux lui aussi de Guardiola Soto (origine Gamero Civico), le concours va marquer une pause. Le toro remate violemment aux planches et prend trois piques mais elles sont mal administrées puis il se réserve et finira sans charge à la muleta.

   La sortie du pensionnaire de Yonnet était attendue avec curiosité car celui-ci avait été la vedette des corrals. Il avait été isolé et avec son trapío impressionnant et sa tête haute il semblait lancer un défi à chaque visiteur. Il s'était en outre recouvert le corps de paille ce qui lui donnait un air encore plus inquiétant. Il prendra trois piques sous lesquelles il pousse par à-coup et aura ensuite une charge douce mais gardant la tête haute. Adrian de Torres dont le courage impavide porte sur le public plus que sur les toros lui coupera une oreille après une entière sur le côté et Orgulloso sera arrastré sous l'ovation.

   Gaditano enfin de Couto de Fornilhos (origine La Corte) livrera un très beau combat au premier tiers en quatre piques violentes parfaitement gérées par Juan Manuel Sangüesa (ovation). Il se réservera hélas lui aussi au dernier tiers.
 
   Tous les toros de ce concours se sont livrés avec beaucoup d'intensité au premier tiers. Certains sont nettement allés a menos par la suite parce que leur bravoure n'était peut-être pas complète. D'autres parce que l'énergie déployée face aux picadors avait considérablement réduit leur vigueur. Ce qui est sûr c'est que cette corrida concours a témoigné de la belle bravoure toujours présente chez nombre de ganaderias historiques. Une porte ouverte sur l'avenir ? 
 


photos : Vizcaíno de Saltillo
              Orgulloso de Yonnet
             


   

mardi 30 mai 2023

Vic 2023 : un grand cru (1)

   
   Si la feria 2022 avait laissé les aficionados sur leur faim, celle de cette année a apporté chaque jour son lot de satisfactions au point de constituer une des ferias vicoises les plus satisfaisantes de ces dernières années. À l'exception de la novillada inaugurale, tous les spectacles ont suscité l'intérêt, voire la passion, car ils possédaient les ingrédients qui font l'identité de la plaza gersoise. À savoir : la présentation irréprochable des toros, une force et une bravoure suffisantes pour assurer des tercios de pique complets, une attitude positive des matadors et de leurs cuadrillas (en particulier des picadors dont le rôle est essentiel ici) afin d'assurer des lidias complètes. Même la corrida du lundi qui se voulait plus toreriste a réussi à maintenir l'équilibre entre l'élément toro et l'élément torero. 
 


Samedi 27 mai
 
   On attendait beaucoup de la confrontation entre les barcial de Victorino et un trio de novilleros punteros mais la novillada matinale a été une déception. Essentiellement en raison du manque de présence physique des novillos de Monteviejo. Plusieurs d'entre eux étaient plus proches de l'eral que du novillo pour course piquée. Malgré un fond de caste certain, leur faiblesse ôta beaucoup d'intérêt à la matinée. Seul Christian Parejo tira son épingle du jeu. Face à deux animaux difficiles il fit preuve de courage et de ténacité et laissa aussi entrevoir un bon bagage technique ainsi que de la classe. À revoir dans de meilleures conditions.
 
   En choisissant de faire appel aux toros de Dolores Aguirre, les organisateurs se donnaient toutes les chances de satisfaire leur public. Et l'objectif a été largement atteint grâce à un lot bien présenté, actif au cheval (21 piques, 1 chute) et encasté. Les Dolores ont la vertu de nous obliger à réfléchir sur ce qu'est la bravoure. Leur comportement fait que, bien souvent, les concepts inventés pour qualifier les toros de combat ne fonctionnent pas avec eux. Personnellement j'aime leur bravoure sauvage, primitive quand elle est accompagnée, comme aujourd'hui, par une force et une mobilité pleine de caste. 
  Nous avons dejà vu Alberto Lamelas pratiquant un toreo reposé, mais il s'est produit en ce samedi dans sa version agitée, nerveuse, sans sitio, faisant apparaître les toros plus difficiles qu'ils ne sont. Face à de tels adversaires cela porte sur le public mais pas sur le toro. Dommage pour le bon quatrième.
   Face à son premier opposant, le méconnu Luis Gerpe se présenta de la meilleure façon par une excellente réception à la cape. Malgré le handicap d'une douleur au genou à la suite d'un sévère accrochage puis d'une bousculade, il se montra (relativement) dominateur mais tueur inefficace, laissant toutefois le désir d'être revu.
   De Maxime Solera on retiendra une belle série de naturelles à son dernier adversaire, à la charge pastueña. Mais il n'a toujours pas fait de progrès avec les aciers, ce qui constitue pour lui un véritable handicap.
  On n'oubliera pas de mentionner le sauteur landais Kevin Ribeiro qui effectua face au dernier cornu de l'après-midi un magnifique saut périlleux.
   Des piques poussées avec fureur, des fuites et des refus, des charges soutenues, d'autres plus douces, des animaux qui tombent, touchés à mort, mais se relèvent parce qu'ils refusent la défaite. Des toros de Dolores Aguirre !

   

 



 

mercredi 24 mai 2023

Madrid, dimanche 21 mai


 
   Après une longue fermeture due à des contingences sanitaires puis politiques, le Batán a réouvert ses portes, offrant de nouveau au pèlerin de la San Isidro le plaisir de pouvoir passer quelques moments de quasi intimité avec les toros qui seront lidiés durant la feria. Mais il s'agit d'une reprise timide qui demande à être développée car toutes les corridas ne sont pas exposées et, ce jour, seulement deux lots étaient visibles. Les Luis Algarra, harmonieux et de robe variée et les Adolfo Martin.
   On y vient souvent en famille, avec des enfants, car la Casa de Campo est un lieu de promenade et de loisir pour les Madrilènes et rien de tel pour fomenter l'aficion que l'admiration pour le toro de combat que peuvent susciter les parfaites conditions dans lesquelles on le voit ici. J'ai le souvenir de l'émotion ressentie, il y a de nombreuses années déjà, face à d'extraordinaires lots de Cuadri et du comte de La Corte. Ici, non seulement on admire le seigneur toro, mais tous les rêves de combats glorieux sont permis.



   À mon arrivée sur le parvis de la Monumental je me dirige vers les guichets avec l'espoir d'une bonne nouvelle. Il y a effectivement une affiche annonçant le remplacement d'El Fandi, souffrant, par Adrian de Torres. Je n'ai rien contre le skieur andalou et je vais même jusqu'à penser qu'il est nécessaire pour la tauromachie qu'il y ait des toreros comme lui mais venir à Madrid le voir toréer n'est pas précisément l'objectif d'un aficionado normalement constitué. Ceci dit, pour son remplaçant, engagé sur ses mérites propres, la journée, loin du triomphe rêvé, aura eu une saveur amère. Son premier adversaire fait partie des toros que l'on peut qualifier de vicieux : il charge sans crier gare ou bien alterne douceur et brusquerie dans le même élan. Sa lidia sera un calvaire pour le torero qui prend tous les risques sans avoir les moyens de résoudre les problèmes posés. Il sera pris et repris plusieurs fois, échappant par miracle au pire et semant l'effroi sur les gradins qui finiront par le contraindre à abréger. Une belle et inattendue estocade a recibir, un peu delantera, lui vaudra grosse pétition d'oreille et juste vuelta. Toréer n'est pas se transformer en chair à toro. 
   Après la paliza reçue et un passage à l'infirmerie on préfère penser qu'il n'était pas en possession de tous ses moyens pour toréer son second adversaire, très sérieux lui aussi mais beaucoup plus avenant. On ne l'accablera donc pas de son impossibilité à donner la moindre passe sans se faire accrocher le leurre. Vic-Fezensac où on le verra pour la corrida concours sera un autre jour.
   Juan Leal n'a pas connu lui non plus une bonne journée. Il a certes dû faire face à l'hostilité du 7 (ce qui lui a donc valu en contrepartie la sympathie du reste de l'arène) mais son incapacité à donner une série correcte au bon cinquième a constitué une déception. Et, même à Chueca, ses culerinas finales auraient été jugées vulgaires et déplacées.
   Leo Valadez sera le grand vainqueur de l'après-midi. Son entrega, son jeu de cape spectaculaire (fabuleux quites par crinolinas au 3, par zapopinas au 6), sa faena reposée, classique, dominatrice au 3 (oreille) ont constitué une révélation pour beaucoup. Après une tarde comme celle-ci, le Mexicain mérite sans aucun doute de montrer sa toreria dans les principales ferias de la temporada. On le verra d'ici peu lui aussi à Vic devant les Baltasar Iban.
   Superbement présenté, le lot de Fuente Ymbro, majoritairement cinqueño, a comporté plusieurs toros intéressants. Le premier pour ses difficultés, les troisième et cinquième pour leur bonne caste, tous deux arrastrés sous l'ovation. Tout le monde espérait un bon sixième pour la consécration de Leo Valadez, ce fut hélas le toro de moins de race de la course. 
   Il faut préciser que le lot a eu la chance d'être parfaitement mis en suerte par les matadors puis lidié et piqué  par des cuadrillas d'excellent niveau, avec mention pour Curro Javier et Marc Leal chez les piétons et Juan Bernal, Tito et Alberto Sandoval chez les cavaliers.
 



  

Madrid, vendredi 19 mai

 
   La matinée se passe au campo, à la finca El Pecado Mortal à Colmenar Viejo, haut lieu de l'histoire ganadera madrilène. C'est là qu'est située la ganaderia Los Eulogios, non loin de celle de Flor de Jara. Dans la salle de réception, les fers historiques de Garcia Aleas, Vicente Martinez, Felix Gomez rappellent le riche passé de ces pâturages situés sur les premiers contreforts de la sierra de Guadarrama. Alors que nous ne sommes qu'à la mi-mai, l'herbe est déjà grillée ... Les temps sont durs et la finca est aménagée pour recevoir d'importants groupes. Demain ce sera un repas de communion.
 
 
 



   Manuel Sanz de la Morena possède 200 têtes de bétail  et fournit chaque année quelques novillos (origine Domecq après avoir été  Guardiola Soto) dans les arènes de la région. L'un d'entre eux doit participer en septembre à Las Ventas à une novillada concours de ganaderias de la Communauté de Madrid. Le ganadero ne cache pas qu'il préfère la sensibilité du public de Séville à celle du public madrilène.





   À 19 heures, Las Ventas affiche à nouveau le No hay billetes pour un cartel de toreros qui n'ont pas paru ces derniers temps au meilleur de leur forme.
   Mais c'est à Madrid qu'il faut voir Sébastien Castella.
   Le début de la faena à Rociero, quatrième Jandilla de l'après-midi, porte le public au rouge vif : statuaires, aidées par le bas, desprecios, pechos enchaînés à un toro qui répond parfaitement. Les séries à droite sont remarquablement templées et lorsque le Biterrois veut prendre la gauche, le fort vent qui souffle à ce moment le conduit à intelligemment repousser. Plus tard, au moment opportun, surgit ce qui sera le sommet de la faena, une énorme série de naturelles qui fait rugir Las Ventas. Après l'estocade entière, les gradins se couvrent de blanc pour demander et obtenir les deux oreilles. Sébastien Castella est bel et bien de retour.
   José Maria Manzanares a été absent tout l'après-midi mais la partie festivalière du public - de plus en plus importante à Las Ventas, hélas ! - ne pouvait pas avoir fait le déplacement sans l'applaudir un peu. En d'autres temps une prestation aussi indigente aurait provoqué deux broncas.
   En s'obstinant à toréer le troisième toro qui était un invalide, Pablo Aguado s'est montré pesant, voire indécent.
   On sentait chez les très beaux toros de Jandilla le fond de caste de la maison domecq prêt à affleurer mais, hormis le 4, leur regrettable faiblesse de pattes réduisit leur combat à bien peu de choses.



mardi 23 mai 2023

Madrid, jeudi 18 mai

 
   C'est un plaisir de retrouver, après quelques années de purgatoire, la ville de Madrid et le chaudron de Las Ventas, plus bouillant que jamais, surtout quand, comme ce jour, le cartel est de relumbrón et le No hay billetes placardé depuis longtemps. À l'affiche Morante de la Puebla, un torero pour l'Histoire, El Juli, au sommet depuis 25 ans et Tomas Rufo, jeune triomphateur ici même l'an passé. 
   Les toros d'Alcurrucén sont correctement présentés, mais sans cette étincelle de grâce que donne le vrai trapío; leur caste est en sourdine, dominée par la mansedumbre et la fadeur.
   Après avoir expédié sous la bronca l'infumable premier, Morante répond au quatrième à un quite du Juli. Trois véroniques heurtées mais données avec le minimum de toile et donc extrêmement serrées, et une somptueuse demi lancent le run-run des attentes inconsidérées. Le début de faena avec une courte série à droite d'une sublime toreria met Las Ventas en feu ... Hélas ! le toro manque de race, il ne peut répondre aux exigences de toreo profond du maestro de La Puebla. La faena tourne court, tout s'achève sur une simple ovation renouvelée à la sortie de la plaza ...  Vendredi 2 sera-t-il le jour ?
   El Juli a donné au cinquième une énième leçon de toreo. Aujourd'hui : comment tirer de l'eau d'un puits sec. Son magistère régulièrement répété au cours de ces dernières temporadas a fini par le faire entrer dans les bonnes grâces du public madrilène. Mais, encore une fois, tout s'est évanoui à l'heure de la mort. Son incapacité à bien tuer restera une ombre sur la carrière du torero.
   Avec le meilleur lot, Tomas Rufo a alterné le bon et l'ordinaire. En comparaison de ses compagnons de cartel, il a fait figure de novillero prometteur, lui qui est pourtant déjà sorti par un nombre considérable de grandes portes. C'est ce qu'il en coûte de partager l'affiche avec les plus grands maestros. Il dut en outre lutter contre la vindicte du tendido 7 qui, pour exister, doit se trouver chaque jour une tête de turc. Mon voisin de tendido, un jeune aficionado madrilène, me donne son avis : les gens du 7 ont souvent raison mais leur comportement outrancier et irrespectueux les déconsidère et leur vaut l'hostilité du reste de l'aficion venteña.
 













 

mercredi 3 mai 2023

Trois toreros

 
   Ils n'ont pas ouvert la porte du Prince à Séville lors de la dernière feria d'avril ... et ne l'ouvriront sans doute jamais. On les retrouvera en revanche tout au long de l'année dans des arènes de moindre catégorie mais de grande importance pour les aficionados où ils combattront avec leur savoir-faire et avec leur cœur des toros d'encastes variés.
 
 
                                           Sanchez Vara
 

                                           Alberto Lamelas
 

                                 Maxime Solera