jeudi 19 février 2015

Toreos (2) le toreo pur

   Il arrive que l'on parle du toreo puro de tel ou tel matador, mais que veut-on  dire lorsque l'on attribue ce qualificatif de pur au toreo? L'adjectif est ambigu. Dans l'histoire de l'humanité, bien trop d'exactions et de massacres ont été commis au nom d'une hypothétique pureté pour que son utilisation n'entraine pas une certaine méfiance dès qu'on l'entend ou qu'on le voit écrit. Il a néanmoins gardé un sens positif lorsqu'on le cantonne au champ artistique. Musique pure, poésie pure, couleur pure, geste pur, toreo pur. Dire d'un torero qu'il torée avec pureté est sans doute un des plus beaux compliments qu'on puisse lui faire.
 

Le toreo puro selon Rafael Ortega


















 En 1986 est paru un petit livre signé Rafael Ortega, écrit en collaboration avec Angel Fernandez Mayo, intitulé El toreo puro.

   Dans une première approche, le maestro gaditan  englobe suffisamment de styles différents sous l'étiquette toreo puro pour qu'on puisse considérer qu'il s'agit davantage d'un état d'esprit que d'une question de technique.
   "A mí siempre me ha gustado el toreo rondeño, el toreo puro que han hecho, por exemple, Ordóñez y Antoñete, sin menospreciar el toreo sevillano cuando también se haze con pureza. (Il cite alors Pepe Luis Vazquez, Pepin Martin Vazquez, Manolo Gonzalez et Manolo Vazquez) (...) Con otro estilo, sentí gran admiración por Manolete, que a su manera hacía un toreo puro y estoquea muy bien."

   Le toreo puro est aussi pour lui une question de répertoire. La véronique, la naturelle et la passe de poitrine, l'ayudado por bajo en constituent la base. Les adornos doivent être rares. Mais surtout le toreo puro a un ennemi : le toreo en redondo.
   "Dar los pases totalmente en redondo, eso no es el toreo; eso les gusta hoy a los públicos, pero a mí no. El pase debe darse, cuanto más largo, mejor, pero con cite y con remate, y quedándose uno colocado para ligar el siguiente."

   Les considérations techniques reprennent alors toute leur importance. Ainsi pour pratiquer le toreo pur Rafael Ortega nous dit que le torero doit :
     - citer avec la muleta avancée
     - parar
     - attirer le toro dans la panse de la muleta
     - charger la suerte, c'est à dire avancer la jambe contraire et s'appuyer dessus
     - templer
     - mandar.
Le tout permettant de lier les passes - qui sont bien différenciées l'une de l'autre - dans le même terrain.
   Ce sont là les fondements techniques qui correspondent à ce que l'on appelle aussi aujourd'hui le toreo classique.

   "El natural no es puro si no se carga la suerte. Yo lo he dado asi siempre que he podido. Ahí está la pureza y el riesgo."
   En établissant un lien entre pureté et risque, Rafael Ortega rappelle que le toreo puro, en exigeant de l'homme une prise de risque maximale, est celui qui respecte le mieux l'éthique taurine. En effet tuer un toro en public implique de la part du matador un engagement tel que la possibilité de blessure et la menace de la mort s'en trouvent accrus.
   Dans un même ordre d'idée, l'estocade, donnée sincèrement, exercice dans lequel El Tesoro de la Isla était un maitre, est bien sûr, l'apothéose du toreo pur.

   Dernier élément important pour le maestro, celui de la maitrise des terrains.  Faire le choix du bon terrain : "La regla de oro del toreo es saber cual es el terreno mas favorable para hacerlo."   Être capable de conserver ce terrain : "No me cansaré de insistir en la importancia de hacer la faena en un solo terreno, porque asi es como el torero manda en el toro."   Et pour cela, maitriser par son temple et son mando la charge du toro : "La última parte del pase ha de permitir que el toro te deje colocarte de nuevo sin modificarte el terreno, pues lo más classico y lo más puro es que, en la faena, cuanto menos andas, mejor."

   Assurément être capable de mettre en pratique tous ces préceptes est une tache colossale qui trouve son accomplissement, parfois, dans quelques minutes de toreo rêvé.

   Pour conclure je dirai que si le toreo puro reprend beaucoup des critères du toreo classique il va au-delà par sa dimension de quête spirituelle. Il y a d'abord  la recherche d'une pureté des origines qui s'exprime par une préférence pour l'utilisation des passes de base, celles qui ont été créées par les inventeurs de la tauromachie. Il y a ensuite une recherche de pureté morale par la volonté de pratiquer un toreo qui assume une prise de risque maximale face au toro. Il y a enfin la recherche de la pureté du geste. Le toreo pur ne se conçoit que sans brusquerie, sans geste ni suerte superflus, avec, dans son élaboration, un dépouillement et une sobriété qui nécessitent une justesse totale dans les effets produits sur le toro.


Traductions
   "Le toreo qui m'a toujours plu c'est le toreo rondeño, le toreo pur qu'ont pratiqué, par exemple, Ordoñez et Antoñete, sans sous-estimer le toreo sévillan quand il est pratiqué aussi avec pureté. (...) Dans un autre style, j'ai éprouvé une grande admiration pour Manolete, qui à sa manière pratiquait un toreo pur et estoquait très bien."
   "Donner les passes entièrement en rond, cela n'est pas le toreo; ça plait aujourd'hui aux publics, mais à moi non. La passe doit se donner, plus elle est longue mieux c'est, mais elle doit avoir un cite et une terminaison, nous laissant en position pour lier la suivante." 
   "La naturelle n'est pas pure si l'on ne charge pas la suerte. Je l'ai moi même donnée ainsi chaque fois que j'ai pu. Là est la pureté et le risque."
   "La règle d'or du toreo est de savoir quel est le terrain le plus favorable pour l'accomplir."
   "Je ne me lasserai pas d'insister sur l'importance de faire la faena en un seul terrain, parce que c'est ainsi que le torero commande au toro."
   " La dernière partie de la passe doit permettre que le toro te laisse te placer de nouveau sans modifier ton terrain, ainsi le plus classique et le plus pur est que, durant la faena, moins tu te déplaces mieux c'est."


















Robert Wylie  Les joueurs de cartes 1870

mercredi 11 février 2015

Toreos (1)

   Toreo classique, toreo moderne, toreo pur, toreo trémendiste, toreo artistique ... On pourrait allonger la liste : baroque, ventajista, rondeño, sévillan ...
   Tous ces qualificatifs disent la richesse de l'art taurin, mais ils nécessitent de prendre parfois le temps de faire le point. Quelle saison plus indiquée pour cela que la fin de l'hiver, avant la reprise de la temporada.
   Je voudrais, pour commencer, signaler deux sites qui prennent un malin plaisir à analyser (photos et vidéos à l'appui) les principales manières de toréer actuelles.

   Sur son site Toreo y Arte, René Philippe Arneodau "Niño de San Rafael", lui même torero practico, découpe au scalpel la technique des principales figures d'aujourd'hui. Il compare toreo moderne et toreo pur et explique pourquoi son cœur penche vers le toreo pur, plus sincère donc plus respectueux de l'éthique de la tauromachie.

Toreo y Arte, Analyses tauromachiques, Technique du toreo


   De son côté, dans son richissime blog La razón incorpórea, José Morente aime bien jouer les iconoclastes. Il se plait à pourfendre les lieux communs, à relever les contradictions, à souligner les incohérences. Ça irrite parfois l'aficionado bienpensant que je suis, nourri au dogme tiopepesque, mais au final ça ouvre l'esprit et me parait donc tout à fait salutaire.

La razón incorpórea, Técnica