mercredi 26 février 2020

Ouverture (d'esprit) 2


   Les premières affiches de la temporada ont paru. On est navré par le conformisme des cartels espagnols; la France dans ce domaine fait preuve de davantage de variété. Tant mieux pour nous.
   Comme l'an dernier à la même époque, c'est le moment d'y aller de mon refrain sur la nécessaire diversité de la corrida, s'appuyant sur une non moins nécessaire ouverture d'esprit des aficionados. J'utiliserai cette année les propos de René Pons tirés d' Une question noire dont j'ai parlé récemment :
   "Je n'ai quasiment jamais fréquenté les milieux tauromachiques, souvent détestables comme la plupart des milieux (littéraires, artistiques, politiques ou autres). Je me méfie de ceux qui prétendent détenir une vérité, je me méfie des engouements d'une saison pour tel ou tel et des "connaisseurs" de toutes sortes. Je ne suis qu'un amateur discret, solitaire et, paradoxe, j'aime un spectacle qui a besoin de la foule, moi qui ai en horreur cette foule criarde, souvent injuste, à l'abri sur les gradins et où tout le monde prétend en savoir plus que les autres. Tous les "toreros", pour moi, si modestes soient-ils, ont droit à mon admiration. Je sais qu'il y en a de plus grands que d'autres, évidemment, mais lorsque je les vois devant les cornes, j'oublie les hiérarchies."



lundi 10 février 2020

Une question noire


   René Pons est écrivain, c'est aussi un vieil aficionado nîmois qui, dans Une question noire, se propose d'essayer de comprendre la passion taurine qui l'anime depuis plus de 60 ans.
   Dans ce petit livre publié en 2012, il ne cherche pas à écrire un plaidoyer pour la corrida; sa démarche est plutôt introspective, volontiers désordonnée, à saut et à gambade comme disait Montaigne. Toutefois, à travers les questions qu'il se pose et les réponses qu'il se donne, il en vient, sans éluder sa noirceur, à justifier pleinement l'existence de la corrida dans le monde qui est le notre. Face à l'angélisme cynique qui est en train d'envahir notre mode de penser, face à la censure et à la violence des animalistes intégristes et à une société presqu'entièrement dévolue au pragmatisme et à la rentabilité, la corrida lui parait constituer une résistance nécessaire qui permet à notre humanité de se maintenir dans toute sa richesse et sa complexité. Cette résistance, que Jacques Teissier appellera quelques temps plus tard "effraction salutaire", René Pons la met par son questionnement au cœur de notre aficion.
  "Ce spectacle où rien n'est écrit à l'avance et où sans cesse, comme dans un drame, on risque de basculer du sublime au grotesque et vice-versa, où, à travers une gestuelle relativement réduite, se manifestent des personnalités très variées, serait-il un antidote à un grégarisme de plus en plus accablant ?
   Pourquoi un pacifiste comme moi, qui hait la violence, peut-il être fasciné, au point de ne pouvoir se débarrasser de l'intérêt qu'il lui porte, par la tauromachie ?
   Pourquoi n'ai-je jamais, même lorsque l'agonie du taureau est longue, la sensation de participer à l'infamie qu'évoquent les adversaires de la corrida ? Pourquoi devant la caste manifestée par la bête mourante arc-boutée sur ses pattes, ai-je des larmes non pas de pitié mais d'admiration qui me viennent aux yeux ?"

René Pons, Une question noire, Atelier Baie, 2012