mercredi 27 décembre 2023

Thomas Dufau : une belle aventure

   


 
   À l'auberge de Saint-Vidou, dans l'Armagnac landais, un petit garçon avait l'occasion de voir et d'approcher les matadors les plus célèbres de l'époque qui se rendaient au festival de Villeneuve-de-Marsan. Il rêva de devenir l'un d'eux.
   Aujourd'hui, après plus de quinze années d'une vie de torero, il peut contempler le chemin parcouru et le rêve réalisé. Il n'est certes pas devenu une figure du toreo, mais il a toréé dans les arènes les plus importantes de la planète taurine, jusqu'à la lointaine plaza de Acho au Pérou. Il a triomphé chez lui à Mont-de-Marsan aussi bien face aux faciles Juan Pedro Domecq que face aux très sérieux Pedraza de Yeltes.
   Bien sûr sa carrière a connu des hauts et des bas. Sans doute n'était-il pas suffisamment artiste pour espérer intégrer les "meilleurs cartels" et, malgré sa bonne technique et sa lucidité devant le toro, pas assez batailleur pour rejoindre le rang des belluaires.
   Mais on l'imagine heureux de sentir torero au souvenir d'une sortie a hombros en compagnie de José Tomas dans les arènes de Nîmes ou d'un tour de piste à Las Ventas l'oreille du toro en main.
    



photos Laurent Bernède

jeudi 7 décembre 2023

Croquis de la fête taurine (poésies 9)

 
El Juli
 
Phœnix superbe d'orgueil
toujours
maître
des toros
dans la simplicité
 
 
 
José Maria Manzanares (padre)
 
Il  fait  soleil  dès  que
tu montres
ton art
Chose rare mais précieuse 



Ortega Cano

Matador modeste avant d'être
grand 
torero
puis caricature de toi-même
 
 
 
 
 


 

mardi 28 novembre 2023

El Juli

 

 
   El Juli n'a jamais été un de mes toreros de prédilection. Les très grandes tardes qu'il a connues n'ont jamais réussi à me faire oublier les facilités qu'il s'est trop souvent octroyé tout au long de sa carrière, l'empêchant de rentrer dans le panthéon de mes favoris. Facilité dans le toreo de muleta; facilité au moment de la mort qui, en contrepartie, l'a privé de nombreux triomphes importants; facilité dans le bétail qu'il a affronté, ôtant beaucoup d'intérêt à ses démonstrations. Enfin je n'oublie pas que, par ses exigences financières démesurées, il a contribué à l'augmentation du prix des places des corridas.
 
   Pourtant, à l'heure où il a décidé de mettre un terme à sa carrière, me restent de lui quelques souvenirs heureux et émouvants.
   C'est dans la petite arène qui jouxte le Batan madrilène que je l'ai découvert alors qu'il n'était qu'un gamin, tentant de banderiller un becerro aussi grand que lui et ne se décourageant pas malgré les échecs et les bousculades. Une volonté de fer, déjà, se lisait dans son attitude.
   Une dizaine d'années plus tard, alors qu'il était devenu une figure indiscutable, lors des fêtes de la Madeleine 2003, il connut une journée mémorable face à deux toros de San Martin. Deux faenas d'une grande pureté où il fit preuve d'une douceur, d'un abandon qui confinèrent au sublime; jamais depuis je n'ai eu l'occasion de le voir toréer ainsi.
   Enfin, ces dernières années, vu cette fois par le biais de la télévision, il a donné en plaza de Madrid plusieurs véritables leçons de tauromachie. Pour l'occasion, sa sincérité, son temple parfait lui ont permis de dominer, de façonner à sa guise des adversaires rétifs et d'un grands sérieux. L'aboutissement de 25 années de maestria!

   Dans un récent article de la revue Toros qui analyse remarquablement la carrière du torero, Thierry Vignal distingue quatre périodes dans sa trajectoire taurine. 
   Dans ses premières années d'alternative, le Madrilène fut un torero largo et dominateur.
   Il eut une deuxième période durant laquelle, après avoir cessé de banderiller, il se mit en quête d'une plus grande pureté et profondeur.
   Sa troisième époque fut celle de la recherche des muletazos les plus longs possibles, liés et la main très basse, le tout parfois au détriment de l'esthétique et avec l'aide d'un bétail de circonstance.
   Enfin, ces dernières années, délivré de la pression qu'implique la poursuite de triomphes constants, le maestro toréa avec un plus grand naturel en basant son dominio sur une maîtrise parfaite du temple.
 
   Déjà, en 2002, dans Le Toreo revu et corrigé, Domingo Delgado de la Camara disait : ''El Juli est le Gallito du XXIe siècle. Avec une tête prodigieuse et une caste sans pareil. Ses racines sont chez Joselito, bien sûr; mais il torée avec les modes actuels : en rond et en se rapprochant d'une esthétique néoclassique. Parmi ses qualités se distingue aussi un bon sens du temple. Si l'on voulait mettre un léger bémol, on pourrait dire qu'il lui manque un peu de classe. On ne peut tout avoir.''

   Il faut aussi souligner les immenses capacités d'El Juli à la cape, non seulement pour la variété de son répertoire (et notamment l'apport des fameuses zapopinas venues d'Amérique) mais par le pouvoir souverain qu'il était capable d'exercer sur le toro dès les premiers capotazos.
   Malgré les ombres au tableau, El Juli fut la principale figure des vingt premières années de ce siècle durant lesquelles il exerça son autorité sur les toros, le public et le monde du toro.
 




Thierry Vignal, Julián Lopez "El Juli" : à propos d'une trajectoire, Toros n°2204 (novembre 2023)



  

vendredi 10 novembre 2023

Bilan 2023

 
Ma corrida rêvée
 
 
                              6   toros de Victorino MARTIN   6 
               El JULI   -   Sébastien CASTELLA  -  Borja JIMENEZ


   Les toros blessent et parfois tuent. Cette année ils se sont contentés de blesser. Morante, Roca Rey et Daniel Luque ont dû interrompre leur temporada alors que celle-ci, au plus ardent du mois d'août, était à son zénith. Après un début d'imperator romain (les deux oreilles et la queue à Séville), Morante n'a pu renouveler sa marche triomphante de l'an passé, Daniel Luque n'a pu s'imposer définitivement en Espagne et Roca Rey a laissé sans sommeil de nombreuses empresas.
   Mais il y avait Sébastien Castella. À partir de son triomphe de la San Isidro, sa saison a été une succession de jours heureux avec, en hauts faits d'armes, sa porte du Prince sévillane  (il en rêvait) suivie quelques jours plus tard d'une faena épique et dominatrice qui constitue un des sommets de la temporada face à un manso perdido de Victoriano del Rio lors de la feria d'Automne madrilène. Heureusement que sortent encore des chiqueros des toros - braves ou mansos - avec du caractère, de la caste, comme ceux de l'éleveur madrilène qui permirent au Français de montrer chaque fois sa trempe et son talent.
   El Juli est figure de la tauromachie depuis 25 ans et depuis 25 ans il a triomphé dans toutes les arènes de la planète taurine et pourtant il n'avait jamais figuré dans mon cartel de rêve. Son julipié - qui restera, pour toujours, une ombre à sa carrière, et le peu d'intérêt que présentaient ses prestations devant des toros de peu de présence et de caste en sont les causes. Pourtant ces dernières années, il a illuminé de sa maestria de nombreuses tardes, particulièrement à Las Ventas ce qui lui a permis de retourner en sa faveur un public qui lui avait été longtemps hostile. Aujourd'hui il s'en va, laissant des regrets : pour ce qu'il a été et pour ce qu'il aurait pu être.  
   Borja Jimenez, lui, représente l'avenir. Après une longue période de maturation (alternative en 2015) qui semble être aujourd'hui nécessaire à l'éclosion de beaucoup de matadors, il a gravi cette année le premier échelon qui peut mener à la gloire : s'extraire du monton et imposer sa sincérité aux toros et aux aficionados. Il lui reste à accomplir le plus difficile : confirmer et durer. La force du rêve. ...
   
   L'excellente temporada réalisée par les toros de Victorino Martin est une bonne nouvelle. Les élevages toristes capables de se maintenir en haut de l'affiche sont rares et pour cela précieux. On ne peut que se réjouir d'y voir les victorinos à leur meilleur niveau. En espérant que quelques figures auront le pundonor lors des prochaines temporadas de s'afficher face à eux.

   Je ne voudrais pas terminer sans un mot sur Paco Ureña, injustement oublié cette année par les organisateurs français. Il a rappelé lors de la mémorable corrida de Victoriano del Rio de l'automne madrilène à quel point il était un torero de pundonor, de sincérité et d'art. De ceux qui méritent d'être en haut de l'escalafon et qui, pour d'obscures raisons, ne s'y trouvent pas.
 




mardi 24 octobre 2023

Croquis de la fête taurine (poèmes 8)

 

Arènes de Torrevieja

Cailloux  béton  soleil

Et les toros de Prieto de la Cal

Et les toros de Javier Moreno de la Cova

Terreurs de cette terre de sel

 

 

Arènes de Carthagène 

Arène romaine et portuaire

Rondeur du temps, rondeur des traces

Oh ! quel bonheurs les passes

du Niño de la Capea

 

 

Arnedo
 

Ils ont détruit la vieille place des toros

les affairistes

les modernes

Ils ont tué une âme qui ne renaîtra pas






poèmes 7

 

mercredi 4 octobre 2023

Arnedo : trois jours

 

 
   Dans la disproportionnée arène couverte d'Arnedo, même les jours où l'entrée est bonne, le public parait clairsemé. On y voit beaucoup d'enfants et d'adolescents, des familles, de bons aficionados, quelques Français, un grand torero. Il y a aussi des peñas bruyantes dont une particulièrement peu respectueuse des toreros et des aficionados à tel point qu'elle continua à cacophoner alors qu'un novillero attendait a portagayola.
   De bonne caste les novillos d'Adolfo Martin mais manquant de la chispa qui en aurait fait un bon lot. Décastés les Guadalmena, avec toutefois deux exemplaires (les 3 et 6) qui permettaient beaucoup. Enfin la caste des Fuente Ymbro atténuée par une faiblesse de patte latente.
   Se déroulant devant un public compétent, avec un président peu porté sur le triomphalisme, face à des novillos en général sérieux, le Zapatero de Oro est un assez redoutable examen de fin d'année pour la fine fleur des novilleros. Ici des carrières s'achèvent, d'autres prennent leur envol.
   Samedi, devant les Adolfo Martin, la prestation de Jorge Molina, pourtant leader de l'escalafon, résulta de piètre qualité. Il fut sifflé en conséquence. Diego Bastos, victime d'une cuadrilla lamentable après laquelle il est difficile de toréer en confiance, montra qu'il a de l'allure, mais rien de plus. Daniel Medina en revanche rallia tous les suffrages. Il donna au troisième une belle faena, sincère, classique, pure, avec de magnifiques passages al natural (une oreille et à lui le prestigieux Zapato de Oro).
   Dimanche, devant une belle entrée, le Riojano Fabio Jimenez, natif d'Alfaro, se fit trop souvent toucher la muleta pour espérer dominer ses adversaires. Manuel Caballero eut la malchance de toucher deux novillos totalement dénués de caste. Il laissa entrevoir oficio et classe naturelle. Cristiano Torres, bullidor, spectaculaire, connectant facilement avec le public, coupa avec justice l'oreille du troisième mais resta en dessous du sixième.
   Lundi, Sergio Rodriguez ne justifia pas sa présence en remplacement d'Ismael Martin et n'écouta que le silence. Nek Romero, au contraire, a montré qu'il était un novillero puesto et dominateur, de plus bon capeador et tueur efficace. Il coupa une oreille à chacun de ses adversaires et fut, de ce fait, l'unique novillero de la feria à sortir a hombros. Sergio Sanchez actua face au dernier novillo de la feria avec la fougue et la verdeur d'un vrai novillero. Il sortit miraculeusement indemne d'une larga a puerta gaiola suivie d'une  poursuite. Après une faena d'émotion, son mauvais maniement des aciers ne lui permit pas de tocar pelo.

vendredi 29 septembre 2023

Moralzarzal

 


 
Lundi 25 septembre 2023                 Moralzarzal
très beau temps
un tiers d'arène

Six novillos d'Angel Luis Peña (10 piques, 2 chutes, excellents) pour Ruben Nuñez (salut, une oreille), Victor Barroso (une oreille, silence) et Pepe Luis Cirugeda (palmas, silence).

À 50km de Madrid, au pied de la Sierra de Guadarrama, la ville de Moralzarzal s'est développée en accueillant urbanizaciones et chalets destinés à un public aisé, passant de 2000 habitants en 1991 à 12 000 en 2011. Depuis 2005, elle s'est équipée d'une plaza de toros couverte de type Saint Sébastien (6000 places) un brin mégalomaniaque mais qui n'est pas réduite à une coquille vide car, outre la feria taurine de fin septembre, elle permet de nombreuses activités durant l'année et accueille plusieurs commerces en rez-de-chaussée.
Le chemin de l'aficionado est souvent semé de déceptions heureusement compensées par de divines surprises. Comme celle de ce jour. En effet sortirent des chiqueros six novillos pleins de feu de l'élevage voisin et peu connu d'Angel Luis Peña. Tous très bien présentés, braves, puissants, nobles, encastés. Les tercios de pique connurent une grande animation avec des charges violentes mais franches se soldant par deux énormes batacazos et le départ à l'infirmerie de Raul Lopez, picador de Victor Barroso, chargé au sol par le cinquième novillo. Une surprise encore plus grande lorsque l'on sait que l'élevage est annoncé d'origine Jandilla via Daniel Ruiz, un sang produisant plus fréquemment des bédigues générant l'ennui que de véritables toros de combat.
Face à un tel lot, qui n'avait pas de mauvaises intentions mais qu'il fallait dominer, la modeste terna de novilleros connut des fortunes diverses. 
Le Mexicain Ruben Nuñez sortit grandi de son combat face au brave et poderoso quatrième tué d'un magnifique volapié (oreille). 
Victor Barroso, qui s'était comporté de manière totalement ridicule il y a quelques semaines en annonçant sa retirada quelques jours avant la novillada de Yonnet à Roquefort qu'il devait toréer le 13 août dernier pour annoncer son retour au lendemain de ladite novillada, n'a pu cette fois éviter de se retrouver devant un adversaire de respect, le cinquième, qui blessa son picador et mis en déroute la cuadrilla. Il ne parvint pas à s'imposer à la fiera mais tua rapidement. Auparavant il avait montré face au second, le plus facile de l'envoi, qu'il possède le sens du temple mais il avait vite versé dans les culerinas, signe d'un manque certain d'ambition. Le longiligne Pepe Luis Cirugeda fit ce qu'il put c'est à dire peu.
Après une telle novillada on ne peut que se réjouir de la caste montrée par les pupilles d' Angel Luis Peña ce jour.  Un  élevage  qui montre  la voie ?