mardi 28 novembre 2023

El Juli

 

 
   El Juli n'a jamais été un de mes toreros de prédilection. Les très grandes tardes qu'il a connues n'ont jamais réussi à me faire oublier les facilités qu'il s'est trop souvent octroyé tout au long de sa carrière, l'empêchant de rentrer dans le panthéon de mes favoris. Facilité dans le toreo de muleta; facilité au moment de la mort qui, en contrepartie, l'a privé de nombreux triomphes importants; facilité dans le bétail qu'il a affronté, ôtant beaucoup d'intérêt à ses démonstrations. Enfin je n'oublie pas que, par ses exigences financières démesurées, il a contribué à l'augmentation du prix des places des corridas.
 
   Pourtant, à l'heure où il a décidé de mettre un terme à sa carrière, me restent de lui quelques souvenirs heureux et émouvants.
   C'est dans la petite arène qui jouxte le Batan madrilène que je l'ai découvert alors qu'il n'était qu'un gamin, tentant de banderiller un becerro aussi grand que lui et ne se décourageant pas malgré les échecs et les bousculades. Une volonté de fer, déjà, se lisait dans son attitude.
   Une dizaine d'années plus tard, alors qu'il était devenu une figure indiscutable, lors des fêtes de la Madeleine 2003, il connut une journée mémorable face à deux toros de San Martin. Deux faenas d'une grande pureté où il fit preuve d'une douceur, d'un abandon qui confinèrent au sublime; jamais depuis je n'ai eu l'occasion de le voir toréer ainsi.
   Enfin, ces dernières années, vu cette fois par le biais de la télévision, il a donné en plaza de Madrid plusieurs véritables leçons de tauromachie. Pour l'occasion, sa sincérité, son temple parfait lui ont permis de dominer, de façonner à sa guise des adversaires rétifs et d'un grands sérieux. L'aboutissement de 25 années de maestria!

   Dans un récent article de la revue Toros qui analyse remarquablement la carrière du torero, Thierry Vignal distingue quatre périodes dans sa trajectoire taurine. 
   Dans ses premières années d'alternative, le Madrilène fut un torero largo et dominateur.
   Il eut une deuxième période durant laquelle, après avoir cessé de banderiller, il se mit en quête d'une plus grande pureté et profondeur.
   Sa troisième époque fut celle de la recherche des muletazos les plus longs possibles, liés et la main très basse, le tout parfois au détriment de l'esthétique et avec l'aide d'un bétail de circonstance.
   Enfin, ces dernières années, délivré de la pression qu'implique la poursuite de triomphes constants, le maestro toréa avec un plus grand naturel en basant son dominio sur une maîtrise parfaite du temple.
 
   Déjà, en 2002, dans Le Toreo revu et corrigé, Domingo Delgado de la Camara disait : ''El Juli est le Gallito du XXIe siècle. Avec une tête prodigieuse et une caste sans pareil. Ses racines sont chez Joselito, bien sûr; mais il torée avec les modes actuels : en rond et en se rapprochant d'une esthétique néoclassique. Parmi ses qualités se distingue aussi un bon sens du temple. Si l'on voulait mettre un léger bémol, on pourrait dire qu'il lui manque un peu de classe. On ne peut tout avoir.''

   Il faut aussi souligner les immenses capacités d'El Juli à la cape, non seulement pour la variété de son répertoire (et notamment l'apport des fameuses zapopinas venues d'Amérique) mais par le pouvoir souverain qu'il était capable d'exercer sur le toro dès les premiers capotazos.
   Malgré les ombres au tableau, El Juli fut la principale figure des vingt premières années de ce siècle durant lesquelles il exerça son autorité sur les toros, le public et le monde du toro.
 




Thierry Vignal, Julián Lopez "El Juli" : à propos d'une trajectoire, Toros n°2204 (novembre 2023)



  

vendredi 10 novembre 2023

Bilan 2023

 
Ma corrida rêvée
 
 
                              6   toros de Victorino MARTIN   6 
               El JULI   -   Sébastien CASTELLA  -  Borja JIMENEZ


   Les toros blessent et parfois tuent. Cette année ils se sont contentés de blesser. Morante, Roca Rey et Daniel Luque ont dû interrompre leur temporada alors que celle-ci, au plus ardent du mois d'août, était à son zénith. Après un début d'imperator romain (les deux oreilles et la queue à Séville), Morante n'a pu renouveler sa marche triomphante de l'an passé, Daniel Luque n'a pu s'imposer définitivement en Espagne et Roca Rey a laissé sans sommeil de nombreuses empresas.
   Mais il y avait Sébastien Castella. À partir de son triomphe de la San Isidro, sa saison a été une succession de jours heureux avec, en hauts faits d'armes, sa porte du Prince sévillane  (il en rêvait) suivie quelques jours plus tard d'une faena épique et dominatrice qui constitue un des sommets de la temporada face à un manso perdido de Victoriano del Rio lors de la feria d'Automne madrilène. Heureusement que sortent encore des chiqueros des toros - braves ou mansos - avec du caractère, de la caste, comme ceux de l'éleveur madrilène qui permirent au Français de montrer chaque fois sa trempe et son talent.
   El Juli est figure de la tauromachie depuis 25 ans et depuis 25 ans il a triomphé dans toutes les arènes de la planète taurine et pourtant il n'avait jamais figuré dans mon cartel de rêve. Son julipié - qui restera, pour toujours, une ombre à sa carrière, et le peu d'intérêt que présentaient ses prestations devant des toros de peu de présence et de caste en sont les causes. Pourtant ces dernières années, il a illuminé de sa maestria de nombreuses tardes, particulièrement à Las Ventas ce qui lui a permis de retourner en sa faveur un public qui lui avait été longtemps hostile. Aujourd'hui il s'en va, laissant des regrets : pour ce qu'il a été et pour ce qu'il aurait pu être.  
   Borja Jimenez, lui, représente l'avenir. Après une longue période de maturation (alternative en 2015) qui semble être aujourd'hui nécessaire à l'éclosion de beaucoup de matadors, il a gravi cette année le premier échelon qui peut mener à la gloire : s'extraire du monton et imposer sa sincérité aux toros et aux aficionados. Il lui reste à accomplir le plus difficile : confirmer et durer. La force du rêve. ...
   
   L'excellente temporada réalisée par les toros de Victorino Martin est une bonne nouvelle. Les élevages toristes capables de se maintenir en haut de l'affiche sont rares et pour cela précieux. On ne peut que se réjouir d'y voir les victorinos à leur meilleur niveau. En espérant que quelques figures auront le pundonor lors des prochaines temporadas de s'afficher face à eux.

   Je ne voudrais pas terminer sans un mot sur Paco Ureña, injustement oublié cette année par les organisateurs français. Il a rappelé lors de la mémorable corrida de Victoriano del Rio de l'automne madrilène à quel point il était un torero de pundonor, de sincérité et d'art. De ceux qui méritent d'être en haut de l'escalafon et qui, pour d'obscures raisons, ne s'y trouvent pas.