jeudi 28 janvier 2016

Diego Bardon torero panique


 Ici ou là, chez nos adversaires ou chez les défenseurs, on lit parfois sur la tauromachie des choses ahurissantes. Souvent écrites avec le plus grand sérieux. Diego Bardon, torero panique, que l'on vit dans une émission de télévision taurine il y a quelques années sur France 3, est peut-être leur inspirateur caché.
   L'ancien torero est actuellement connu pour sa pratique de la course pédestre à reculons. Il fut, dans les années 60 et 70, un novillero excentrique et de très peu de contrats. On dit qu'un jour, à Vista Alegre, il aurait tendu une salade à son novillo plutôt que de lui porter l'estocade. Ravie, une ligue de défense des animaux l'aurait invité à donner une conférence ... au cours de laquelle il tordit le cou à un poulet vivant devant les yeux effarés de l'assistance! En 1972, dans une galerie d'art parisienne, il pratiqua la autocornada, cérémonie qui consista à se blesser avec une corne de toro.
   Dans la compilation de Fernando Arrabal sur le panique, qu'ont publiée les éditions 10-18 en 1973, on trouve un entretien de Diego Bardon avec Alexandro Jodorowsky. Après une analyse très psycholo-marxisante du monde taurin, Diego imagine une corrida contestataire. En voici quelques morceaux de bravoure :

     "Je voudrais un taureau très large, du genre lit à deux places, avec des cornes à la queue. De la sorte, le torero, s'il était blessé, tomberait sur l'échine comme sur un matelas et les cornes lui serviraient de support pour ne pas glisser. J'aimerais que l'animal puisse jouer de la trompette pour accompagner l'orchestre."

     "J'apparaîtrais en costume d'astronaute avec une soutane par-dessus. Je remplirais les gradins découverts de fakir, de yogis et de moines. Dans le callejon des toreros, je mettrais des prostituées de Salamanque (la Margot et la Cartones) et André le cireur de bottes. La Margot me transmettrait la faculté de contrôler mon corps en me donnant des pouvoirs de fakir. La Cartones me donnerait la puissance spirituelle d'un moine et André le cireur, le contrôle émotionnel d'un yogi. Grâce à la captation télépathique de ces pouvoirs, je pourrais me dépouiller des costumes d'astronaute et de curé, et j'attendrais la divinité en restant nu. La divinité doit être épidermique. Grâce à mes pouvoirs divins, je ferais s'élever le taureau, je le ferais flotter et danser dans les airs et moi et tous les autres, les tapineuses, le cireur de bottes, les yogis, les moines, les fakirs et aussi des nuées de naines enceintes, nous formerions une unité aérienne, où le taureau serait un astre."

     "Je pourrais parvenir à réaliser le toreo convexe en multipliant les muletas. J'en aurais une dans chaque main, dix ou douze par terre. Grâce à elles, je pourrais obtenir d'infinies possibilités de passes qui sont autant d'infinies possibilités d'aimer. La corrida ''normale'', que moi j'appelle ''anormale'', se divise en passes; elle est fragmentaire. Si l'on dispose de plusieurs muletas, la corrida cesse de se diviser en passes, car le taureau va d'une passe à l'autre continuellement et l'on obtient ainsi une passe infinie qui peut durer tout le jour.
     La corrida contestataire met un terme à la Tragédie pour atteindre l'Amour."

     "Le torero peut avoir un micro-cravate et parler pendant qu'il torée; réciter, exprimer des émotions et des idées; chanter ... Répondre à ce que le public lui criera."

     "La pique du picador peut renfermer des papillons tropicaux vivants, de sorte qu'au moment de piquer le taureau, un volet s'ouvre et laisse échapper un nuage multicolore."


   On le voit Diego Bardon a parfois la divagation visionnaire. Le toreo moderne d'aujourd'hui n'est pas si éloigné de sa conception de la passe infinie (qui met fin à la corrida tragique).
   J'ai personnellement un petit faible pour les papillons s'échappant de la pique. Enfin une idée originale et poétique pour la rénovation du tercio de pique!