dimanche 29 décembre 2013

Toreros para la historia IV

   Il y a dans l'Histoire une grande ambigüité. Elle nous aide à comprendre notre présent mais les histoires qu'elle raconte sont aussi celles que nous voulons bien entendre ou celles que les idéologues politiques ont décidé qu'il fallait que nous entendions. On n'avance jamais avec suffisamment de prudence sur ce terrain-là.
   L'histoire de la tauromachie n'échappe pas à la règle. Et, si j'aime bien la série de Fernando Achucarro, c'est qu'elle nous donne à voir  des documents bruts, témoignages pris par une caméra qui se veut objective, que chaque aficionado reçoit d'abord de plein fouet puis peut analyser et commenter à l'aune de ce qu'est sa représentation du toreo d'hier et d'aujourd'hui ... et tant mieux (ou tant pis) si ces témoignages nous incitent à modifier nos représentations.

   Le grand intérêt du volume IV est de nous offrir de larges extraits d'une corrida donnée à Valence le 23 septembre 1925. Au cartel des toros de Carmen de Federico pour Nicanor Villalta, Cayetano Ordoñez "Niño de la Palma" et Francisco Tamarit "Chaves", jeune promesse locale qui prenait ce jour-là l'alternative.
   Les titulaires du fer de Murube, annoncés Carmen de Federico à la suite de l'achat de la ganaderia par J. M. Urquijo son banquier de mari, sont combatifs, braves, nobles, avec une fixité (fijeza) que n'avaient peut-être pas les toros des époques antérieures, fixité qui permet aux toreros de parar et d'aguantar avec plus de sérénité. Nous sommes au cœur de la révolution belmontine.
   Le lot est crédité de 45 piques pour 18 chutes et 14 chevaux tués. Je ne suis pas de ceux qui s'esbaudissent devant ces chiffres car les chevaux sans peto sont des proies faciles pour des toros combatifs et les picadors passent plus de temps à essayer de garder leur équilibre ou à rouler au sol qu'à piquer. Il me semble qu'un assez bon lot de toros d'aujourd'hui, piqué dans les mêmes conditions, arriverait assez facilement à un tel résultat.
   Ce qui est certain c'est que les toros de ce 25 septembre 1926 ne sont pas tardos ou parados au dernier tiers, ils chargent avec vivacité au moindre cite et ne font preuve d'aucune faiblesse de pattes.
   En ce qui concerne la manière  de toréer ce qui m'a le plus frappé c'est l'évolution du toreo de cape par rapport à l'époque précédente (celle qui s'est achevée avec la mort de Joselito). Les quites sont toujours aussi nombreux mais ils ne sont plus constitués de simples recortes et desplantes, le toro est désormais conduit dans des passes complètes au cours desquelles son embestida est templée. Les toreros chargent la suerte au maximum et font passer le toro au plus près de leur corps avec le souci de lier les passes entre elles pour constituer une série. Il en résulte une émotion artistique indéniable qui nous touche malgré le filtre de l'écran.
   A la muleta on sent la même volonté d'appliquer les nouveaux canons du toreo mais, soit que la technique manque encore, soit que les toros fassent preuve d'une codicia encore trop difficile à maitriser, la réussite est incertaine. D'autres temps viendront...

On trouve, sous forme de coffret (6 dvd), l'intégrale de la série pour la somme raisonnable de 50€.

vendredi 20 décembre 2013

Bien faire les choses

...C'est ce à quoi se sont attachés les membres du collectif Pedro Llen. Ils ont d'abord réussi à mobiliser l'aficion autour de leur projet, à savoir permettre à un lot de toros de Sanchez Fabres (origine Coquilla) de finir leur vie en combattant dignement sur le sable d'une arène plutôt que pitoyablement dans un anonyme abattoir.
   Et le 8 mai dernier, à Saintsever, le succès était au rendez-vous : organisation impeccable et tarde de toros de grand intérêt.
   Aujourd'hui pour clôturer leur projet, ils envoient aux donateurs un compte rendu détaillé de leur action et un bilan financier complet, le tout accompagné d'un dvd retraçant les principaux moments taurins de l'aventure.
   Du bilan financier il ressort que, grâce à la taquilla (1014 entrées payantes) et aux dons des aficionados (17 680 €), le collectif a équilibré ses comptes. Il convient de préciser que le ganadero avait offert les toros. Il a reçu le prix de la viande (2000 €) et la tête naturalisée du dernier toro lidié. Sans compter - ce qui n'a pas de prix - la joie de voir ses toros combattre - et bien combattre.
   Le dvd met en évidence la classe et l'excellent toreo de José Calvo (On est étonné qu'avec de telles qualités le Valencien soit si peu connu, l'époque est bien dure pour les toreros con clase), la vaillance de Thomas Dufau dont la carrière a peut-être pris un tour nouveau ce jour-là.
   Au vu du bon comportement des toros de Sanchez Fabres (y compris les sobreros combattus en privé - longue séquence sur le dvd) dont plusieurs furent des toros complets, la situation marginale dans laquelle se trouve l'élevage aujourd'hui parait une claire injustice. On mesure à quel point la facilité que représente pour le mundillo l'utilisation à outrance du domecq aseptisé fait des ravages.
   Mais l'aventure des coquillas de Sanchez Fabres continue; la camada 2013 compte 25 mâles qui devraient être combattus en non piquée.
   En attendant des jours meilleurs...





Le dernier coquilla?
photo Laurent Larrieu Campos y Ruedos

mardi 3 décembre 2013

Deck grand cru

On peut savourer un met, un vin; on peut aussi se délecter d'un texte. Éloge de l'aficion, celui qu' Olivier Deck a écrit et que Campos y Ruedos vient de publier fait partie de ceux dont on déguste la justesse et la finesse.
Merci Olivier Deck de si bien dire la dignité de notre aficion.

Olivier Deck   Éloge de l'aficion  Campos y Ruedos

Vincent Van Gogh, arènes d'Arles, 1888, Musée de l'Ermitage

lundi 2 décembre 2013

Ganaderos en difficultés (3)

   Cuadri, Adolfo Martin : prononcer ces deux noms de ganaderias suffit à vous propulser dans le gotha de l'aficion torista. Céret récupère un lot de Cuadri initialement prévu pour Bilbao et l'aficion tout entière admire l'audace des Catalans. Les Vicois annoncent des Adolfo Martin pour leur prochaine feria, les voilà réadmis par les plus grincheux  dans le giron des arènes de la plus pure tradition torista. Annoncer des Cuadri ou des Adolfo Martin sanctifie une feria. C'est là le grand succès de ces élevages dans la gestion de leur image.
   Pourtant, si l'on se risque à évaluer la prestation de leurs toros sur le sable des ruedos français et espagnols, on s'aperçoit bien vite que le compte n'y est pas tout à fait. Les deux dernières temporadas ont été des plus discrètes. Si l'on se borne à 2013, aucun lot complet n'est venu justifier le prestige des deux élevages. Certes quelques bons toros de ci de là ont permis de rappeler les potentialités de chaque fer. Je pense par exemple aux deux Cuadri de Dax dont l'un a permis un tercio de pique qui restera dans les mémoires, à un Adolfo lidié lors des Fallas qui obtint le prix du meilleur toro. C'est peu en regard des attentes de l'aficion et des nombreux toros faibles, mous et décastés qu'il lui a fallu aussi trop souvent subir.
   Ce qui me soucie dans cette morne plaine c'est que, pendant ce temps, beaucoup d'élevages dits "toreristas" ont fait de gros progrès. Ils sont parvenus à fabriquer en masse des animaux parfaitement adaptés aux objectifs de production qui leur sont assignés. Dans le meilleur des cas, lorsque s'exprime leur noblesse vive, permettre aux figures qui les toréent de triompher. Dans le pire, lorsque prédomine faiblesse et fadeur, ne gêner personne, pas même le public puisque le professionnalisme des toreros leur permet la plupart du temps de couper quelques oreilles de peu de poids ... y todos contentos.
   Mais la corrida ne doit pas se borner à cela et, si elle veut tenir toute sa place, la tauromachie du toro fort et encasté, celle où l'émotion artistique nait d'un combat authentique, nécessite des élevages sur lesquels l'aficion doit pouvoir compter pour fournir avec un minimum de régularité les toros qui  rendent cette tauromachie si passionnante. On peut donc regretter qu'à ce jour les élevages de Cuadri et d'Adolfo Martin ne soient pas parvenus à cette réussite.
   Noël approche et chacun sait qu' "aimer les toros, c'est chaque après-midi vers les cinq heures, croire au Père Noël et aller à ses rendez-vous", aussi je ne doute pas un seul instant que la temporada prochaine viendra balayer d'un vent léger toutes mes réticences ...


Toros de Cuadri de la camada 2014
Photo tirée de l'excellent site de la ganaderia