lundi 20 juillet 2020

Fêtes de Mont-de-Marsan 1963 : une Madeleine très ordinaire




   La temporada taurine connait une timide reprise mais elle est encore quasiment à l'arrêt  dans notre Sud-Ouest où il semblerait que l'épidémie a fait davantage de ravages dans les esprits que dans les corps. Continuons donc à nous pencher sur le passé en nous aidant de notre collection de la revue Toros.
   1963 c'est l'année de la grande finale bordelaise. Celle opposant les deux clubs landais et gagnée, après un match accidenté, par les Montois des frères Boniface au détriment des Dacquois des frères Albaladéjo. Durant la semaine qui précéda, une effervescence extraordinaire régna dans toutes les villes et tous les villages du département. Les enfants, nous avions décoré nos bicyclettes aux couleurs de notre équipe favorite et nous nous exhibions fièrement à travers les chemins et les rues du village. Toutes les pensées, toutes les conversations étaient tournées vers le grand jour. Il semblait que plus rien d'autre n'existait. Paradoxalement je ne me souviens ni du match, ni de ce qui est advenu après. La fièvre de l'avant est souvent le moment le plus marquant d'un évènement trop attendu, les aficionados le savent bien.
   A cette époque, les fêtes de la Madeleine comportaient immuablement trois corridas, les dimanche, lundi et mardi. Il en sera ainsi entre 1959 et 1981. Comme aujourd'hui, on y voyait, les meilleurs matadors face aux élevages les plus réputés ... pour des résultats souvent aléatoires ... comme aujourd'hui.

Dimanche 21 juillet
Six toros de Fermin Bohorquez (faibles) pour Pedres (silence, une oreille), Paco Camino (une oreille, sifflets) et El Viti (silence, silence).
   La grosse déception de la journée vint des toros de Fermin BOHORQUEZ. Ils étaient pourtant attendus avec espoir par les aficionados montois à la suite du grand triomphe de l'élevage lors de la San Isidro madrilène. Mais ceux du jour, pourtant bien faits, montrèrent peu de bravoure en 13 piques et la plupart furent handicapés par leur manque de force. Le plus brave du lot était le cinquième, il fut pourtant à l'origine d'un charivari, comme on les aime, de temps en temps, au Plumaçon. Voici ce qu'écrit Claude Popelin dans Toros n°725 : " Bien armés, la conservation de leurs cornes laissait cependant à redire (sic).  Le très brave cinquième abandonna sa corne droite, antérieurement ébranlée, dans le caparaçon dès sa première rencontre avec le picador et suscita ainsi un beau scandale qui se prolongea tout au long de sa lidia.
   Il serait vraiment temps que la municipalité, si zélée à maintenir la belle tradition de ses Fêtes, si désireuse d'égaler sur le plan des taureaux le triomphe de l'équipe montoise de rugby, se penchât efficacement sur le problème et prît à cœur d'assumer ses propres responsabilités."
   PEDRES qui, avec sa nouvelle manière, plus classique, de toréer, a été le grand triomphateur de la feria d'Avril à Séville, a laissé une très bonne impression et coupera une oreille méritée au quatrième.
    Une belle faena de Paco CAMINO au second lui vaudra également une oreille mais il eut le tort de ne pas abréger avec le cinquième déjà mentionné, ce qui lui valut l'hostilité du public.
   EL VITI n'eut pas une bonne après-midi et laissa le public indifférent.

Lundi 22 juillet
Six toros de Juan Pedro Domecq (encastés) pour Curro Romero (division d'opinions, bronca), Paco Camino (une oreille, une oreille) et El Caracol (vuelta, sifflets).
   Cette seconde après-midi souffrit certainement de l'absence de Jaime Ostos (très grièvement blessé à Tarazona de Aragon - on lui administra même l'extrême onction - la semaine précédente) remplacé par Curro Romero et de Diego Puerta (blessé également) remplacé par El Caracol. Mais elle connut un grand moment avec le combat du second toro de Juan Pedro DOMECQ. "L'animal, terciado, portait le n° 53 et se nommait Puntero. Ce Puntero fit deux ou trois fautes bénignes sur les capes, mais une fois bien fixé par Camino il fut bravissime sous la pique, poussant dur à la première, revenant de lui même pour prendre la seconde (compliquée de chute). A la troisième rencontre, il repoussa le groupe sur plusieurs mètres jusqu'à la barrière et, continuant sa poussée, le ramena au tercio où, rechargeant, il essuya encore un quatrième, puis un cinquième coups de pique. Le sang ruisselait jusqu'au sabot jusqu'à former sur le flanc gauche comme une écharpe, et Puntero fonçait toujours au moindre appel avec un entrain magnifique qui ne décrut pas pendant la faena de muleta." (Paco Tolosa, Toros)
   Paco CAMINO dut puiser dans ses ressources, qui, on le sait sont grandes, pour parvenir, en fin de faena, à dominer Puntero. Il tua mal et coupa une seule oreille. Celle coupée à son second adversaire fut, en revanche, sans signification.
   Malgré quelques moments d'élégance, Curro ROMERO fut dominé par la caste des domecqs, en particulier par le brave premier.
   Quant à EL CARACOL, jeune matador gitan d'Alicante, s'il fit parfois illusion, il fut lui aussi mis en échec par la caste des andalous.
   Heureux temps que celui où les pupilles de Juan Pedro Domecq étaient des toros chargés de dynamite. Le ganadero va s'évertuer à éliminer cette caste et il n'y réussira que trop bien, à tel point qu'il était déjà rare dans les années 70 de voir sortir des Juan Pedro Domecq aussi encastés que ceux combattus ce 22 juillet 1963. Et mieux vaut ne pas parler de leurs descendants actuels ...
   En revanche leur présentation laissa grandement à désirer. Les trois premiers avaient l'allure de novillos et leurs pitones manquait d'aigu.

Mardi 23 juillet
Six toros du Marquis de Domecq (jeunes et faibles) pour César Giron (vuelta, sifflets), Mondeño (une oreille, vuelta) et El Cordobés (une oreille et deux oreilles et la queue).
   Cette troisième et dernière corrida des fêtes de la Madeleine a connu un final triomphal avec les deux oreilles et la queue coupées par EL CORDOBES à l'ultime toro de la feria. " Le sixième est plus léger, se révèle fuyard sur la cape et sous la première pique, acceptée en ruant. Manuel le fixe avec habileté. Le bicho s'améliore au cours de trois autres rencontres. El Cordobés signe un trasteo intéressant, avec le souci de toréer, de garder la bête et réussit des séquences impavides, en courant la main comme aux plus beaux jours; ente autres, notons un redondo à double tour reprenant la bête après arrêt à trois reprises. Quoique brève, la faena emballa le public. Plongeant sur le garrot, Manuel porte une entière, mis entre les cornes, est projeté au sol où il reste immobile. Émotion générale et quite collectif. Relevé, la culotte déchirée, le torero voit le toro s'effondrer. C'est du délire sur les gradins debout. Les deux oreilles et la queue sont accordées." (Georges Lestié, Toros)
   Rappelons que Manuel Benitez vient de prendre l'alternative à la feria de Cordoue. Il a déjà gagné des sommes importantes lors de ses campagnes précédentes de novillero et beaucoup pensent que le passage au stade de matador de toros mettra fin à ce qu'ils considèrent comme une hérésie et une supercherie ...
   César GIRON qui remplace le jeune Palmeño retenu en Espagne par le service militaire, connaitra une journée contrastée. Il donne au premier, mal tué, une belle faena classique qui lui vaut un tour de piste mais il ne fait aucun effort avec le beau cinquième ce qui déclenche la colère des gradins.
   Décidé, calme et sincère, MONDEÑO donnera une prestation satisfaisante. Son style est toujours sec et étriqué mais il s'appliqua dans la lidia et eut le souci d'allonger le bras plus que de coutume.
   Les toros du Marquis de DOMECQ paraissent jeunes, ils pèchent par leur faiblesse ce qui obligera à abréger les piques et à écourter le deuxième tercio. Ils sont assez bien armés ... mais avec certaines pointes un peu abîmées.


   Malgré ses deux points forts - la lidia de Puntero de Juan Pedro Domecq par Camino et le triomphe final d'El Cordobés - cette feria a été bien ordinaire. Elle a connu beaucoup de déceptions, en particulier avec le comportement des toros de Bohorquez et le manque d'investissement de beaucoup de matadors pour qui notre pays fait trop souvent figure de délices de Capoue. Le public montois, qui n'hésite pas à montrer son mécontentement, s'est faché à plusieurs reprises. Ordinaire, elle l'a été aussi dans le sens où l'on y a vu ce que l'on voit trop souvent en France, années après années, arènes après arènes : des toros jeunes et suspects d'être afeités. Au début de la temporada 63 Arles avait pourtant réussi à construire une feria sérieuse avec des toros limpios et d'âge réglementaire mais les autres grandes arènes françaises ne sont pas parvenues à imposer cette ligne. Ce sera pour l'aficion de notre pays un combat de longue haleine parsemé de hauts et de bas, de victoires et de défaites ... et qui dure encore. Dans les années qui vont suivre, ce combat connaitra quelques succès avec l'adoption de la proposition française du marquage de l'année de naissance des toros ainsi que la création de l'Union des Villes Taurine de France.




 
   
   

vendredi 10 juillet 2020

Pamplona : San Fermin 1927 (suite)




Dimanche 10 juillet 
Huit toros de José Encinas pour Antonio Marquez, Pablo Lalanda, Martin Agüero et Rayito.
   Si hier on ne parlait que de faenas de toreros, aujourd'hui c'est la caste des toros de José ENCINAS qui emporta l'adhésion.
   "Une grande tarde de toros, de toros braves, francs, sans défauts pour la plupart. Un lot homogène, fin de formes, remarquablement présenté.
   Le numéro 53, qui sortit en second lieu, Farineto, negro, fut un toro admirable, suave, brave, suivant le leurre jusqu'à son agonie; un toro rêvé par les toreros ! On lui fit faire le tour de piste, et on l'ovationna à l'arrastre, ainsi que les quatrième, n° 8, Limeto, cardeno oscuro, cinquième, n° 29,  Bravo, negro,  et sixième, n° 9, Monudito, negro bragao. Le premier n'eut d'autre défaut que de aplomarse rapidement. Le troisième très franc et noble, un peu tardo, contribua au succès de Agüero; le septième, brave également, arriva réservé à la muleta; le dernier, qui parut d'abord chercher la fuite, se montra brave aux piques, puis bronco à la muleta. Ils eurent à peu près tous une magnifique forme de embestir. Bravo au ganadero !
   Les 8 toros prirent 28 piques pour 16 chutes; ils ne laissèrent que 3 chevaux sur le sable, mais on en emmena à l'écurie une demi douzaine qui auraient dû être puntillés sur place. Ils pesèrent en moyenne 275 kilogs" (460 kg en vif).
   Notons que la ganaderia porte le fer de José Vega, elle a été achetée par José Encinas à Victorio Villar, elle est donc issue du fameux croisement Veragua Santa Coloma qui a longtemps fait les beaux jours du Campo Charro, elle est installée à Ledesma (Salamanca). Le fer existe toujours, après avoir longtemps appartenu à Justo Nieto, il est aujourd'hui propriété de Jesus Angel Perez Villareal, un négociant aragonais qui s'est empressé d'éliminer les vega villar pour les remplacer par du sous domecq d'El Montecillo.
   Antonio MARQUEZ connut à nouveau une après-midi grise avec bronca à son premier.
   Face à deux bons adversaires, Pablo LALANDA se montra "d'une nullité désolante".
   Le triomphateur de la tarde fut Martin AGÜERO. Il tua son premier d'un grand volapié, "de ceux que l'on voit si rarement, l'estocade portée en pleine cruz et le torero sortant limpio par les costillares. Quelle ovation, lorsque les deux oreilles et la queue furent concédées au vaillant muchacho que l'on applaudit follement pendant la vuelta al ruedo !"
   RAYITO fut sans recours ni dominio et ses parones suicidaires ne sont pas à encourager. Il tua avec sincérité de deux bons coups de rapière.

Mardi 12 juillet
Deux novillos de Celso Cruz del Castillo pour le rejoneador Antoño Cañero et six toros du Conde de la Corte pour Antonio Marquez, Marcial Lalanda et Cagancho.
   Il faisait un temps si exécrable le lundi 11 juillet que l'on dut reporter la corrida au lendemain.
   Cette tarde permit à la feria de s'achever dans l'enthousiasme en raison de l'immense triomphe de CAGANCHO. Le gitan aux yeux verts, qui avait pris l'alternative en début d'année à Murcie, coupera les deux oreilles et la queue du dernier toro de la feria. "Ses lances sont classiques et purs, d'une tranquillité absolue. Il s'imposa plus encore à la muleta, toréant de près, dominant complètement. A son premier, il fut désarmé et esquissa une espanta après un pase de tête à queue et un de pecho; il se reprit aussitôt, et sous les olé, aux sons de la musique, il continua une faena grande qu'il dut prolonger à la demande du public et qui lui valut ovation et vuelta malgré que le sort ne l'accompagnât pas pour mater. Sa dernière faena fut énorme, de vaillance et d'art, avec des parones formidables et des passes de toute beauté. Le toro était fuyard; Cagancho le torea d'abord par le bas, se faisant avec lui, l'obligeant à embestir comme un toro brave, et le fit passer sous la muleta. La musique joue, le public, debout, acclame ce torerazo, qui fait dérouler devant nos yeux, des images de beauté."
   Antonio MARQUEZ, en torero artiste qu'il est, se racheta à son dernier toro de ses six échecs antérieurs (vuelta).
   Marcial LALANDA, en torero complet qu'il est, se montra également à son avantage (vuelta).
   Les toros de La CORTE prirent 21 piques pour 10 chutes et 4 chevaux. Ils pesèrent 268 kg en moyenne (450 kg). Leur comportement donna satisfaction au public et aux toreros. La dépouille des quatrième et cinquième fut honoré par une vuelta al ruedo et le mayoral fut appelé à saluer, mais Miqueleta a préféré les Encinas de la veille, plus braves et plus puissants mais tout aussi nobles.
   En début de corrida Antonio CAÑERO se défit de deux novillos mansos de Celso CRUZ del CASTILLO qui ne lui permirent pas de briller. Il tua le premier en mettant pied à terre et le second d'un rejon dans tout le haut.


Quelques réflexions en guise de bilan
   Ce qui m'a frappé à la lecture des reseñas de Miqueleta, c'est le peu de poids des toros combattus. Si l'on excepte les Pablo Romero qui sont nettement au-dessus de 500 kg (on considère généralement que 300 kg en canal correspondent à 500 kg en vif) tous les autres toros sont nettement en dessous, avec 268 kg pour les plus légers, les La Corte. Ils sont toutefois considérés comme bien présentés, ce qui laisse à penser qu'il s'agit de la norme à l'époque. Deux explications peuvent être données à ce peu de poids. En premier lieu, leur âge. Il s'agit peut-être tout simplement de novillos. En second lieu, la nourriture. Le pienso compuesto industriel n'est pas encore utilisé et les toros de l'époque sont nourris avec l'herbe des pâturages et le fourrage produit à la propriété. Ils ne sont pas "préparés" comme ceux d'aujourd'hui. Il semble que dans ces conditions le poids normal d'un toro de quatre ans se situe autour de 500 kg, un peu en dessous même pour beaucoup d'encastes. On le voit, on est loin de certains mastodontes suralimentés d'aujourd'hui dont l'apparence est cependant en parfaite harmonie avec les excès (et les goûts) de notre société de consommation. On est loin aussi des toros d'épouvante du XIXè siècle. Mais ceux-ci relèvent sans doute en grande partie du mythe, même si l'on peut penser que l'action de Guerrita puis de Joselito pour réduire le trapío de leurs adversaires n'est pas restée sans effets.
   Le mal dont ils ne souffrent pas en revanche est la faiblesse de pattes. Ils peuvent être braves ou fuyards, plus ou moins poderosos, parfois quedados, mais jamais la faiblesse de pattes n'est mentionnée. Toutefois, les "scores" de leur combat face à des chevaux sans caparaçon restent modestes. On imagine les carnages que feraient les toros qui sortent aujourd'hui dans le ruedo navarrais s'ils étaient piqués dans les même conditions.

   Côté toreros, le triomphe le plus marquant de la feria est celui de Cagancho, ce qui montre bien l'évolution du toreo et des goûts du public vers une tauromachie artistique. Le jour des Pablo Romero, Miqueleta note en conclusion de sa reseña : "Le public est sorti de la plaza enchanté, discutant avec animation les diverses faenas de la tarde." Une telle conclusion eut été impensable une quinzaine d'années auparavant, avant la révolution initiée par Belmonte et Joselito.  On vient désormais aux arènes pour voir de belles faenas. On remarquera dans le même ordre d'idée qu'un bon toro est désormais un toro qui permet "la faena".
   On notera à propos de la corrida de Pablo Romero - la mieux présentée de la feria et un fer redouté - qu'elle fut combattue par trois figures, dont le plus prestigieux torero de l'époque, Juan Belmonte.
   Notons aussi pour terminer que la tauromachie de l'ancien temps continue à émouvoir les foules; en témoigne le grand triomphe obtenu pour sa vaillance et une grande estocade  par l'un de ses grands représentants de l'époque, le Bilbaino Martin Agüero.
   On le voit, les années 20 du siècle dernier sont pour la corrida des années passionnantes. Celles où un changement radical s'est imposé dans les valeurs taurines et les goûts du public. La corrida que nous connaissons aujourd'hui, avec toutes les nuances qui la composent, est l'héritage de cette révolution.


Documentaire sur les Sanfermines dans les années 20
   Je mets ici le lien de la page du blog Desolvidar sur laquelle on pourra visionner un documentaire passionnant d'une vingtaine  de minutes constitué d'archives sur les fêtes de Pampelune tournées dans les années 20. Les amoureux de la capitale navarraise trouveront de nombreuses explications complémentaires dans le texte qui accompagne le film et dans le blog en général.
            Desolvidar : Sanfermines 1928 (actualizado)


   
La plaza de toros de Pamplona (rénovée laidement en 1967) a été inaugurée en 1922.

mardi 7 juillet 2020

Pamplona : San Fermin 1927




   A défaut de pouvoir nous plonger dans l'effervescence d'une San Fermin 2020 qui, pour des raisons trop connues, n'aura pas lieu cette année, je vous propose un retour 93 ans en arrière. 1927, c'est un an après la parution aux Etats-Unis de The sun also rises d'Ernest Hemingway. Si l'écrivain américain est à nouveau présent avec quelques amis à Pampelune en 1927 on imagine que le nombre de touristes étrangers y est encore extrêmement limité d'autant qu'en ces années, un franc faible et une peseta forte rendent le séjour en Espagne assez onéreux pour les Français. Une Nîmoise y est pourtant bien présente. Il s'agit de Marcelle Cantier "Miqueleta" qui a fondé en 1925 la revue Biou y Toros (aujourd'hui Toros, le plus ancien journal taurin au monde). Elle rend compte de la feria dans le numéro 49 de la revue.
   Voici sa description de la fête : "La feria traditionnelle de San Fermin s'est inaugurée par un temps pluvieux et froid. Dès la soirée du 6, des bandes joyeuses de ''San Fermines", avec la classique chemise bleue et le foulard rouge, parcourent les rues de la ville en chantant et dansant, sur le rythme de la musique du pays. C'est, jour et nuit, presque continuellement, un fracas assourdissant; les danses ne cessent même pas à la plaza, où les peñas vont avec de grandes bannières sur lesquelles sont peints des sujets originaux, pas toujours taurins.
   Tous les matins, à 7 heures précises, a lieu l'encierro qui a quelque analogie avec notre abrivado. Les toros que l'on a conduits dans la nuit aux corrals qui sont situés à l'entrée de la ville, sont lachés sur le parcours habituel qui conduit à la plaza. Les cabestros les entourent, et devant eux courent les hommes et jeunes gens, par centaines. Le tout s'engouffre dans la plaza et si un maladroit glisse et tombe, il entraîne fatalement ceux qui le suivent, ainsi que cela s'est produit le premier jour. Les toros passent alors sur cette masse humaine  grouillante; c'est un moment de grosse émotion.
   Aussitôt l'encierro achevé a lieu la capea. Des vaches emboulées sont livrées au public. De partout surgissent des toreros improvisés, déployant capes et muletas plus ou moins fantaisistes. Nombreuses sont les bousculades, car la piste est noire d'amateurs. Dès qu'une vache rentre au corral, les danses reprennent. Cela est d'un mouvement, d'une couleur extraordinaires."

Les encierros
   Avec une victime mortelle (la seconde après celle de 1924), 1927 fait partie des années tragiques en ce qui concerne les encierros.

7 juillet, toros du Conde de Santa Coloma
   Un coureur reçoit un coup de corne sans gravité dans la côte de Santo Domingo. Un montón se forme à l'entrée des arènes occasionnant de nombreuses contusions sans qu'il n'y ait toutefois de blessés graves.

8 juillet, toros de Celso Cruz del Castillo
   L'encierro s'est déroulé sans incident, mais à l'intérieur de la plaza un toro se sépare des autres et attrape près d'un burladero dans lequel il tentait de se réfugier, Santiago Martinez, un maçon de Pampelune âgé de 34 ans. La cornada, dans le ventre, est effrayante. On amène le malheureux à l'hôpital où une intervention chirugicale de deux heures n'empêchera pas l'issue fatale.

   Pas de problèmes particuliers pour les encierros des jours suivants (9, 10 et 11 juillet).

Les corridas de toros

Jeudi 7 juillet
Six toros du Conde de Santa Coloma pour Antonio Marquez, Martin Agüero et Rayito.
   Les toros de SANTA COLOMA pèsent 281 kg de moyenne en canal, soit 470 kg en vif. Ils prennent 24 piques pour 12 chutes et 7 chevaux tués. Précisons que les chevaux de picadors sont encore sans protection, le décret entérinant l'usage du caparaçon sera pris l'année suivante en 1928. Un lot qui aurait dû permettre le succès à des toreros honnêtes ou connaissant leur métier, selon Miqueleta. Mais ce ne fut pas le cas et la tarde résulta décevante.
   Malgré quelques détails (une bonne demi-véronique, une paire de banderilles méritoire, un bon pecho), le fin torero madrilène Antonio MARQUEZ se comporta comme un sin vergüenza.
   Le Basque Martin AGUERO se montra en revanche égal à sa réputation qui est celle d'un torero à l'ancienne, vaillant et tueur sincère et efficace. Il fit preuve de bonne volonté et d'application et surtout il tua par deux magnifiques estocades de la casa ce qui lui valut de couper l'oreille du cinquième.
   Manuel del Pozo "RAYITO", spécialiste du toreo en paron avait connu le succès à Madrid en début de temporada pour sa confirmation d'alternative. Il connut ce jour une tarde désastreuse à tel point qu'il dut être protégé par la police lors de sa sortie de la plaza.
   Le meilleur de la tarde : deux grandes paires de banderilles de Magritas.

Vendredi 8 juillet 
Quatre toros de Celso Cruz del Castillo pour Antonio Marquez, Marcial Lalanda, Martin Agüero et Rayito.
   Encore une corrida décevante, qui plus est donnée par un temps pluvieux.
   Les toros  de l'élevage tolédan de Celso CRUZ del CASTILLO n'eurent ni qualités extraordinaires, ni mauvaises intentions mais les diestros n'essayèrent rien pour tirer le public de l'ennui. Tardo le premier, quedado le second, brave le troisième et manso le quatrième. Ils étaient très armés et pesèrent 276 kg en moyenne (460 kg). Les quatre prirent 15 piques pour 9 chutes et 7 chevaux.
   Antonio MARQUEZ se fit siffler.
   Marcial LALANDA remplaçait Zurito, malade. Lui aussi entendit les sifflets du public navarrais.
   Martin AGUERO contrairement à la veille tua mal.
   RAYITO enfin donna le meilleur de la tarde avec des lances de cape ovationnés.

Samedi 9 juillet
Cinq toros de Pablo Romero, un de Moreno Santamaría pour Juan Belmonte, Marcial Lalanda et Cayetano Ordoñez "Niño de la Palma".
   "Aujourd'hui enfin nous avons pu ovationner de grands toreros et nous avons vu toréer !" note Miqueleta dès le début de sa reseña. "Nous avons vu alterner le torero d'émotion, Belmonte; le torero alègre, Niño de la Palma; le torero scientifique, Marcial; et le grand Belmonte reste infiniment au-dessus de tous ses camarades."
   En effet Juan BELMONTE, malgré son peu de réussite à l'épée connut une grande tarde, de celles qui ne s'oublient pas. "A son second, qu'il toréa de cape avec cette lenteur et cette simplicité admirables, on lui ovationna des véroniques et des demies, et des farols exécutés dans le berceau des cornes. La faena de muleta débuta par un de tête à queue, une naturelle, un de pecho. Elle se poursuivit merveilleusement calme, et quand le grand Trianero se profila pour mater, le public debout réclama la continuation de la faena, et la musique joua. Ayudados por bajo, molinetes, afarolado, de tête à queue d'une limpidité admirable se succédèrent sous nos yeux éblouis de tant de beauté."
   Marcial LALANDA ne put tuer qu'un Pablo Romero car l'un d'entre eux s'inutilisa le matin lors de l'encierro. Le substitut de Moreno Santamaría passa son temps à sauter les barrières.
   NIÑO de la PALMA se devait de faire oublier sa désastreuse actuation de la feria antérieure. Il y parvint à son premier adversaire grâce à son jeu de cape varié suivi d'une faena pleine d'art et de valeur. Il obtint une oreille après trois-quart de lame contraire et un descabello.
   Les toros de PABLO ROMERO furent de présentation imposante, avec un pouvoir indéniable mais tous n'eurent pas cette bravoure remarquable qui a contribué à la renommée de la ganaderia. Les cinq prirent 19 piques pour huit chutes et 6 chevaux. Leur promedio fut de 310 kg, soit 520 kg en vif.
   Entre la lidia des cinquième et sixième toros on fit une quête au profit de la veuve et des enfants de l'homme tué lors de l'encierro de la veille.





  
Juan Belmonte face à un Pablo Romero (photo Rodero)


à suivre ...