mercredi 26 novembre 2008

Trois raisons d'espérer

De la même façon que nous nous gaussons avec délectation des fracasos répétés des pupilles de Juan Pedro Domecq, les partisans du toro-toutou ne manquent pas une occasion de mettre en évidence la médiocrité des prétendus toros-toros que les adeptes de la tauromachie de verdad essaient de promouvoir. La vérité oblige à dire qu'ils ont souvent raison.
En effet, les élevages, sur lesquels sont obligés de se rabattre les amateurs de toro sérieux sont loin, dans la plupart des cas, d'apporter les satisfactions escomptées. Il faut dire que les exigences des aficionados sont, à juste titre, élevées.
De plus, à l'exception notable d'El Fundi, les limites des toreros engagés face à ce bétail ne permettent pas toujours d'apprécier pleinement la qualité des toros. Il est bien loin le temps où l'on pouvait aligner devant les élevages les plus durs des Ruiz Miguel, Victor Mendes, Nimeño II, Tomas ou José Antonio Campuzano. (A l'inverse, il y a actuellement dans l'escalafon pléthore de toreros susceptibles de triompher devant le toro pastueño que certains éleveurs sont en train de réussir à produire en série).
C'est pourquoi, pour ceux qui, parce qu'ils se font une autre idée du combat taurin, ont du mal à s'enthousiasmer pour les triomphes prévisibles des figures face à des animaux à la puissance et à la férocité réduites, il est important qu'existent des ganaderias capables de fournir d'authentiques toros de respect. Cette année trois d'entre elles ont donné de sérieuses satisfactions et des raisons d'espérer pour l'avenir.
Le retour des Miuras
Après plusieurs années de bache, Miura est revenu, au cours de la temporada écoulée, à un très bon niveau. Avec en particulier d'excellentes corridas à Pampelune, Bayonne et Saragosse, et des toros intéressants dans la plupart des autres lots (9 corridas et 2 novilladas). La caste qui fait la personnalité des Miuras semble de nouveau être au rendez-vous. Les deux points faibles restant l'état des cornes (gros problème à Mont de Marsan) et la faiblesse de patte encore trop souvent présente dans l'élevage. Selon les dernières nouvelles, les organisateurs français auraient acheté une bonne partie de la camada 2009. Les aficionados ne s'en plaindront pas.
La nouvelle dimension des Escolar Gil
Ce qui frappe dans le comportement des Escolar Gil cette année (5 corridas et 2 novilladas) c'est la régularité dans la caste. Avec deux lots supérieurs (Vic Fezensac et Céret) et, en point d'orgue, le meilleur toro de la corrida-concours d' Arles. S'il parvient à maintenir son élevage à ce niveau José Escolar Gil - qui est le seul ganadero (hormis le cousin Adolfo) à posséder du sang Victorino Martin - pourrait entrer en concurrence directe avec la maison mère. Pour le plus grand plaisir des aficionados...
Y a-t-il un avenir pour les Raso de Portillo?
Comme tous les aficionados présents ce jour-là, j'ai été impressionné par le poder et la bravoure des novillos de Raso de Portillo lidiés à Parentis. Mais aussi par la noblesse de certains d'entre eux. N'oublions pas que noblesse ne signifie pas forcément facilité. La noblesse est une qualité de franchise dans la charge qui est donnée au toro par l'élan de sa bravoure et l'assurance de son poder. Cette franchise va permettre au matador de toréer avec confiance mais la bravoure et le poder nécessitent que celui-ci fasse preuve d'entrega et de dominio s'il veut rester maître de la charge de son adversaire. Il y eut dans ce lot quelques exemplaires qui, me semble-t-il, auraient pu permettre le triomphe à des toreros plus expérimentés. Je ne sais si cet encierro était une exception ou bien si les éleveurs pourront renouveler un envoi d'un tel niveau, ou encore mieux développer leur élevage (2 novilladas piquées seulement cette saison). Si c'était le cas, je pense que les arènes intéressées ne manqueraient pas et la commercialisation d'un tel bétail ne poserait pas de problème à ses propriétaires. En tout cas, la famille propriétaire de la ganaderia, bien que nombreuse, semble ne pas manquer de ressources financières ni de terres d'élevage (plus de mille hectares dans la province de Valladolid).

Pour plus d'information :
Miura (Terre de Toros)
José Escolar Gil (Terre de Toros)
Raso de Portillo (Terre de Toros)
Retour au Raso de Portillo, la plus ancienne ganaderia brava de Pierre Dupuy (Toros n°1565 du 6 novembre 1997)
Le toro est un animal sauvage de Manolillo (Toros n°1839 du 17 novembre 2008)

dimanche 16 novembre 2008

Les voix du terroir

Dans la catégorie des films sur le vin, il existe le célèbre documentaire Mondovino de l'impitoyable Jonathan Nossiter qui excelle dans l'art de rendre ridicules la plupart des gens qu'il filme.
Il y a le jubilatoire Sideways d'Alexander Payne, road movie érotico-dégustatif californien.
Il en est un très peu connu mais qui vaut bien les précédents : Les voix du terroir, documentaire d' Etienne Besancenot et Florent Giroux. Il s'agit là d'une réflexion très belle, très sérieuse et très approfondie sur la notion de terroir. Avec une modeste caméra semi-professionnelle, les auteurs sont partis à la rencontre de vignerons en Amérique latine (Chili, Argentine, Brésil), en Océanie (Australie et Nouvelle Zélande) ainsi qu'en France. Ils ont filmé la beauté des vignobles et l'intelligence des hommes qui en parlent. On peut se procurer le dvd sur internet (http://www.lesvoixduterroir.fr/) ou le voir à l'occasion de certaines manifestations vinicoles, prochainement à Monein (haut lieu du Jurançon), le samedi 13 décembre.

dimanche 9 novembre 2008

Pour la beauté du geste


photographies de Jacques Valat



avant-propos de Bernard Manciet



éditions Loubatières 1993



Un "beau livre" sur la course landaise. Chose rare car les coursayres ne sont pas forcément amateurs de ce genre de petites sophistications de bourgeois.
Le résultat est ici de haut niveau puisqu'il conjugue les talents de Bernard Manciet et de Jacques Valat et bénéficie par les éditions Loubatières d'une mise en page soignée.
En guise de Cazérienne, le poète gascon nous offre une évocation lyrique et historique de la course landaise. On y retrouve les figures des femmes, brodeuses de boleros ou tenaces ganaderas comme Adèle Pabon. Celles des écarteurs les plus célèbres et, bien sûr, un hommage aux vaches de la course landaise, ces déesses.
"Elle sort, elle jaillit de la loge. Elle renifle, essaie de voir un peu ça, dépaysée au milieu de ces cercles mouvants de coloris; elle cherche son domaine, entre la courbe de l'ombre et le barbouillage des bérets, des canotiers et des robes au soleil. Elle est légère, elle est hardie, un peu folle; elle sent sa noblesse de race, et sa primauté; ardente, et son pelage luit; prête à bondir, sur ce sol fauve qu'elle ignore, trop raplapla, trop chic; et très chic elle aussi, sur ses pattes soudain de défilé de mode; rapide, mais sans ostentation; vive, mais avec quelque retenue; un peu hautaine, tant soit peu dédaigneuse, mais sans l'arrogance des mâles stupides. Tout en elle dénote l'intelligence."
Jacques Valat vit et travaille actuellement en Aragon. Au-delà des ''belles photos'' d'écarts et de sauts, il a su capter gestes, regards et attentes propres à la course landaise. Outre les écarteurs du début des années 90, on retrouve, pour le plaisir du souvenir, de magnifiques portraits de Ramuntchito et Ramuntcho en fin de carrière.
Un beau livre sur la course landaise.

dimanche 2 novembre 2008

Indulto (2)

De cette temporada, qui aura connu pas mal de motifs de satisfactions, il me reste, malgré tout, le souvenir de quelques potions amères qui me sont un peu restées en travers du gosier. Parmi celles-ci, l'indulto de ce toro de Victoriano del Rio à Dax. Ce qui me turlupine dans ce cas est que je n'arrive pas à en saisir le sens profond ni à en mesurer la portée dans l'éventuelle perspective d'un changement des goûts du public. Car, enfin, cet après-midi-là, une grande majorité des 8000 spectateurs qui avaient payé leur place pour voir précisément tuer six toros a tout à coup fait preuve d'une furieuse hystérie afin qu'on ne tue pas le dernier d'entre eux! Voilà qui m'a laissé songeur et même quelque peu effrayé.
Alors, de droite et de gauche, sur la toile ou sur papier, au gré de mes inspirations, j'ai essayé d'aller chercher des informations, peut-être des explications et si possible des moyens de me rassurer.


Il y a eu 18 toros indultés au cours de la temporada européenne 2008. Voici la liste, dans l'ordre chronologique, des villes dans lesquelles ont eu lieu ces indultos :
Ecija
Sonseca
Los Barrios
Sanlucar de Barrameda
Marbella
Châteaurenard
Puerto de Santa María
Baeza
Constantina
Cieza
Sotillo de la Adrada
Dax
Pozuelo de Alarcón
Almodovar del Campo
Barcelona
Zafra
Montoro
On le voit, à l'exception de Barcelone et du Puerto de Santa María, le phénomène touche très majoritairement des arènes de troisième ordre. Dax se trouve ainsi prise entre Sotillo de la Adrada et Pozuelo de Alarcón, comme dirait mon fils, ça fait un peu pitié. J'ai le sentiment que dans ces petites arènes, les élites locales (organisateurs, élus, voire journalistes s'il y en a) sont en mesure d'influencer public et présidence afin de créer un évènement qu'ils sauront faire mousser et dont ils tireront un profit personnel (en terme d'affirmation de leur pouvoir). Dès lors, la dérision est sans doute la meilleure réponse que les aficionados peuvent apporter à de telles pratiques. N'étant pas un paroissien rouge et blanc, je me réjouis par avance des moqueries que vont subir les dacquois pour avoir gracié un toro qui n'a pris qu'une demi-pique. A moins que les concurrents montois et bayonnais ne s'avisent malencontreusement de vouloir les imiter lors de la temporada prochaine...


J'ai essayé de voir l'évolution du nombre d'indultos années après années mais je n'ai pu remonter que jusqu'en 1999. Voici les chiffres (hors novilladas et festivals) :
1999 : 5
2000 : 11
2001 : 6
2002 : 14
2003 : 18
2004 : 12
2005 : 15
2006 : 21
2007 : 15
2008 : 18
Depuis 2002, on franchit systématiquement la barre des 10 indultos annuels. Il est difficile de savoir si le pic des 21 toros indultés de 2006 est un sommet qui ne sera plus atteint ou bien le signal d'une nouvelle progression. Réponse au cours des prochaines temporadas...

Interrogé sur la question de l'indulto Eduardo Miura déclara: "¡Ay! de aquel ganadero que deje se le vaya a la plaza un toro susceptible de ser semental."
Quant à Atanasio Fernández, il sacrifia un de ses toros indulté en disant : "Mes sementals, c'est moi qui les choisis et non le public."
On ne peut d'ailleurs qu'être inquiet en pensant au nombre de médiocres reproducteurs qui vont se retrouver à couvrir des vaches à la suite d'indultos abusifs. La situation de la cabaña brava mexicaine ne plaide pas en faveur du procédé.

Dans Philosophie de la corrida, Francis Wolff met en lumière deux phénomènes contraires. D'un côté, les publics sont de plus en plus sensibles au spectacle de la mort - l'agonie du toro luttant seul contre la mort après l'estocade devenant de ce fait un moment de grande émotion. D'un autre côté, ils semblent bannir cette mort en réclamant de plus en plus souvent la grâce pour le toro.
"Est-ce à dire que les corridas tendent à n'être plus ''de mort''? Pas du tout. Et même au contraire. Elles sont de mort, plus que jamais. C'est la vie ou la mort elles-mêmes du toro qui comptent désormais de plus en plus; le fait qu'il vive (ou survive, parfois), le fait qu'il meure, l'événement même de sa mort, ou parfois de sa non-mort."

NB : J'avais ici-même exprimé mon opinion, il y a quelques mois, sur la grâce du toro considérée par certains comme une réponse aux attaques des anti-taurins.