mercredi 27 mai 2020

Quelques citations à propos de Joselito




¿Qué es torear ? Yo no lo sé. Creí que lo sabía Joselito y vi cómo lo mató un toro.
           (Gregorio Corrochano,  ¿Que es torear ? ,  1966)


Joselito, qui pratiqua merveilleusement l'art prestigieux du toreo à la Pepe-Illo, fut, à coup sûr, l'intelligence vive naturelle la plus extraordinairement sensible. Aussi le toreo en ses mains paraissait-il magie, prodige, merveille, intelligible jeu de Birlibirloque.
          (José Bergamin,   L'art de Birlibirloque,   1930)



Dans ces novilladas de l'été 1912, comme dans ses corridas de 1913, il y avait des instants où, faisant, parce qu'il se savait capable de le réussir, mille choses qu'aucun autre n'osait tenter, il obligeait à se dresser les spectateurs les plus blasés. Tantôt il rénovait des suertes oubliées tels les galleos, tantôt il rendait à d'autres encore usitées, leur plus classique pureté, ou inventait des adornos nouveaux. Et ce, toujours avec à la fois une variété, une "gracia", une allégresse dont, qui l'a vu, n'a jamais pu depuis trouver chez les autres que des reflets.
Déjà, lorsqu'il le voulait, et c'était alors fréquent, les toros passaient de la tête à la queue aussi près que jamais de sa ceinture ou de sa poitrine.
          (Juan Leal,  Le paseo des ombres,  2001)


Joselito fue, sobre todo, el torero dominador, el diestro eje de una época, la antena alrededor de la cual giraba el torbellino de la fiesta taurina, y ello desde su aparición en los ruedos. La cualidad suya más eminente fue, sin duda, su vocación por la profesión torera, a la que se entrega sin reserva desde los catorze años.Vive soló para los toros, habla tan sólo de toros y a los toros supedita todas sus expansiones, costumbres y deseos.
Joselito fut surtout le torero dominateur, le diestro axe d'une époque, l'antenne autour de laquelle tournait le tourbillon de la fête taurine, et cela depuis son apparition dans les ruedos. Sa qualité la plus éminente fut, sans doute, sa vocation pour la profession de torero, à laquelle il se consacra sans réserve depuis l'âge de quatorze ans. Il vit uniquement pour les toros, parle uniquement de toros et subordonne entièrement son épanouissement, ses habitudes et ses désirs aux toros.
          ( Cossío,  Los Toros,  1943)


Joselito recule alors de trois pas et marque une légère pause. Selon de nombreux témoins, il baisse la tête et s'apprête même à changer sa muleta de main, perdant donc un instant de vue son adversaire. Il n'en faut pas plus... C'est le drame !
Bailaor - peut-être car il distingue maintenant très bien ou mieux la silhouette de l'homme à cette distance - charge vite, fort et de manière inattendue comme un traître de tragédie. José est surpris par cette subite attaque et avance d'instinct ou par réflexe le bras tenant la pièce d'étoffe rouge, pour se protéger, recueillir l'élan de son ennemi et lui donner la sortie, c'est à dire le rejeter vers l'extérieur.
Le quadrupède hélas ! n'obéit pas cette fois à ce drap d'ordinaire si savant et poursuit son trajet. Joselito est accroché à la cuisse droite et projeté en l'air violemment, puis tel un pantin désarticulé reçoit une profonde cornada dans le bas-ventre.
          (Joël Bartolotti,   Gallito,  1997)


Se acabaron los toros.
         (Guerrita,  télégramme à Rafael Gomez "El Gallo" après la mort de Joselito)




illustrations :
     kikiriki de Gallito (Roberto Domingo, 1917)
     naturelle à Madrid le 5 avril 1920 (Roberto Domingo)

vendredi 22 mai 2020

Les deux faces de José Gomez "Gallito" dit aussi "Joselito"




   Le 16 mai 1920, dans la plaza de Talavera de la Reina, Bailador cinquième toro de la viuda Ortega, mettait fin à la vie de Joselito à la suite d'une charge inattendue qui surprit le maestro. Cent ans plus tard, on s'apprêtait à commémorer a lo grande le souvenir de Gallito, et ce particulièrement à Madrid, lors de la San Isidro lorsque la crise du coronavirus est venue interrompre toutes les manifestations publiques. Gageons que l'hommage sera rendu au maître sévillan l'année prochaine avec tous les honneurs qui lui sont dus.
   Peu de toreros ont été portés aux nues de manière aussi continue et systématique que ne l'a été, depuis son décès, le cadet des Gallo. La dithyrambe a cependant eu pour effet de gommer certaines facettes de son toreo et de sa personnalité.

   Doit-on par exemple considérer Joselito uniquement comme le meilleur et dernier représentant de la lidia à l'ancienne ou bien peut-on également lui attribuer un rôle dans l'évolution qu'a connue la manière de toréer après sa mort ? Durant des décennies l'historiographie du toreo a partagé les mérites des deux monstres sacrés de l' "âge d'or" de la tauromachie. À Joselito l'héritage de toute la tauromachie du XIXè siècle dont il serait le couronnement sans postérité, à Juan Belmonte la révolution qui va ouvrir au toreo des possibilités jusqu'alors insoupçonnées. Depuis quelques années, cette vision binaire et figée a été remise en question, en particulier par Domingo Delgado de la Camara et par José Morente. Pour eux, Joselito est, tout autant que Belmonte, un des grands initiateurs du toreo moderne. Bien sûr, Belmonte a été à l'origine de la recherche systématique d'une certaine immobilité toute empreinte de pathétisme ainsi que d'un accord plus grand avec le rythme de charge du toro, mais il ne toréait que par aller-retour, c'est-à-dire passe naturelle suivie du pecho (passe changée), ceci assez rarement d'ailleurs et uniquement lorsque le toro le lui permettait. Mais "le toreo en rond, authentique base de sustentation des faenas modernes, n'est pas dû à Belmonte. Il ne l'employa jamais. C'est une découverte de Gallito, qui rompt ainsi avec l'idée très répandue et faisant de lui le torero le plus traditionnel. Oui, Joselito fut cela, mais aussi un innovateur. Il toréa en rond, c'est à dire en donnant des passes successives sur la même corne du toro alors que le torero tourne sur son axe." (Domingo Delgado de la Camara). Ce sont finalement les toreros des années 20 et en particulier Chicuelo, puis Manolete après la guerre civile, qui firent la synthèse des deux formes de toréer - le toreo en rond et lié de Joselito, la quête de l'immobilité et du temple de Belmonte - et mirent réellement au point ce que l'on appellera le toreo moderne (aujourd'hui devenu classique).
 
   Une autre question que pose la figure de Joselito est celle de savoir si, malgré le pouvoir que ses qualités dans le ruedo lui avaient donné, il était bien le parangon de vertu et d'éthique que l'on a souvent présenté, ou bien s'il avait recherché les facilités d'un toro amoindri, écarté les concurrents gênants et profité de sa notoriété pour augmenter ses cachets, tout cela au détriment des aficionados.
Il semblerait que dans ce domaine le maestro de Gelves ait soufflé le chaud et le froid et que, en tout état de cause, son image posthume se soit trouvée grandie par comparaison avec les dévoiements que certaines figures ont trop souvent imposés à la fiesta brava depuis la fin de la guerre jusqu'à nos jours.
   Son début de carrière a été exemplaire. Ainsi pour sa présentation comme novillero à Madrid en 1912, Gallito refuse de toréer la novillada prévue du duc de Tovar qu'il juge insuffisante de présentation et exige de combattre le lot de toros d'Eduardo Olea prévu pour une corrida ultérieure. Son succès, face à ces toros, sera total. Ainsi se forge une légende !
   Cette attitude n'eut qu'un temps. Les années passant, le maestro fit preuve de moins de zèle et, surtout, il "accompagna" les principaux ganaderos dans leur sélection pour obtenir un toro moins imposant et plus facile à toréer. Sélection dont profitèrent les matadors des années 20 et qui facilitera l'épanouissement de la nouvelle tauromachie - au prix toutefois de nombreux morts, il ne faut pas l'oublier. Il privilégia les ganaderias d'origine Vistahermosa et c'est à partir de ce moment que commencèrent à se faire plus rares celles issues des autres sangs. Il continua toutefois à combattre régulièrement celle d' Eduardo Miura, qui était un ami personnel.
   Concernant les autres toreros on sait les bonnes relations qu'il entretint toujours avec Juan Belmonte, lequel lui servait la plupart du temps de faire valoir en raison de son inefficacité face aux toros un tant soit peu difficiles. Par ailleurs aucun jeune matador d'envergure n'apparut au cours de son règne. Rodolfo Gaona fut en réalité le seul concurrent qu'il craignît car le Mexicain était, tout comme José, un redoutable dominateur de toros. Leur relation fut toujours orageuse mais cela n'empêcha pas qu'ils apparussent régulièrement sur la même affiche.
   Aujourd'hui, l'un des reproches que les aficionados adressent aux figures de ce début de XXIè siècle est l'excès des cachets exigés, ce qui contribue à la cherté des places et donc à l'éloignement des publics. Cette question du prix des places a toujours été un problème pour la tauromachie qui est un spectacle cher et difficile à organiser - qui plus est très peu voire pas du tout subventionné, contrairement à la plupart des autres spectacles culturels. Conscient du problème, Joselito fut le grand promoteur des plazas de toros monumentales. Le maestro inaugura celle de Barcelone en 1916, celle de Séville (un brin mégalomaniaque avec ses 23 000 places) en 1918. Il fut à l'initiative de celle de Las Ventas à Madrid, inaugurée bien après sa mort en 1931. Ainsi sans augmenter le prix des places on pouvait augmenter le cachet des toreros ... à condition de vendre tous les billets, ce qui s'avéra difficile pour la Monumental sévillane, qui ne survécut pas à la mort du maestro.

   On le voit, la personnalité de Joselito fut riche et complexe. Sa mort prématurée l'a transformé en mythe. Elle a, hélas, empêché sa confrontation avec les nouvelles formes de toréer dont il avait été l'un des initiateurs et qui s'épanouirent vraiment  dans les années qui suivirent le drame de Talavera.
 

A lire sur Joselito :

Joël Bartolotti, Gallito, UBTF, 1997
Paco Aguado, Joselito El Gallo Rey de los toreros, 1999, réédition 2020
José Bergamin, L'art de Birlibirloque, 1930


deux blogs sur internet :

La razón incorpórea (José Morente)
La fiesta prohibida (Manuel Hernández)



illustrations :
   Roberto Domingo   dessin pour le journal El Liberal  17 mai 1921
   Rafael Alberti   Joselito en su gloria   1949