lundi 29 mars 2010

Hemingway, un grand aficionado

A propos de Maera
Dans le texte de In our time, Hemingway n'hésite pas une seconde à faire mourir Maera sous la corne d'un toro. Hemingway est un écrivain et, comme il le dit dans Sur l'écriture, "la seule écriture valable, c'est celle qu'on invente, qu'on imagine. C'est ça qui rend les choses réelles". Le véritable Maera, celui de chair et d'os, n'est donc pas mort glorieusement sous la corne d'un toro mais plus banalement de tuberculose comme fréquemment à l'époque. C'était en décembre 1924, il était âgé de 28 ans.
Manuel García "MAERA" était un torero du barrio de Triana, il fut compagnon d'escapades nocturnes de Juan Belmonte avant de devenir son peon de confiance, doublé d'un excellent banderillero. Mais son ambition était d'être matador de toros, il prit l'alternative en 1921 et fut le premier matador à enthousiasmer Hemingway lorsque celui-ci découvrit la corrida en 1923. Don Ernesto lui consacra plusieurs pages de Mort dans l'après-midi. En voici un extrait :


"Tout d'abord, Maera eut, comme matador, à surmonter beaucoup des fautes et des manières d'un peon, des fautes telles que l'excès de mouvement (un matador ne doit jamais courir), et de plus il n'avait, à la cape, aucun style. Avec la muleta, il était capable et scientifique, mais imparfait; il tuait avec des ruses, mais convenablement. Mais il avait une connaissance achevée des taureaux, et sa valeur au combat était si absolue et si solidement inhérente à lui, que tout lui devenait facile dès qu'il avait compris; et il comprenait tout. Aussi en était-il très fier. C'était l'homme le plus fier que j'aie jamais vu.
En deux ans, il corrigea toutes ses fautes dans l'usage de la cape, et parvint à manier magnifiquement la muleta; il était toujours l'un des plus fins, des plus émouvants et des plus accomplis de ceux qui aient jamais cloué une paire de bande­rillas; et il devint l'un des meilleurs et des plus satisfaisants matadors que j'aie jamais observés. Il était si brave qu'il couvrait de honte tous ces stylistes qui ne l'étaient pas, et la course de taureaux était pour lui une chose si importante et si merveilleuse que, dans sa dernière année, sa présence dans l'arène enlevait cet art tout entier aux habitudes de « moindre-effort », de « s'enrichir-vite », d' « attendre-le-taureau-mécanique » où il était tombé, et, tant qu'il était dans l'arène, la corrida retrouvait dignité et passion. Si Maera était dans la plaza, c'était une bonne course, au moins pour deux taureaux, et souvent pour les quatre autres, dans la mesure où il intervenait. Quand les taureaux ne venaient pas à lui, il ne faisait pas remarquer le fait à la foule pour demander son indulgence et sa sympathie; il allait aux taureaux, arro­gant, dominateur, sans regarder au danger. Il provoquait toujours l'émotion et finalement, comme il s'appliquait sans cesse à améliorer son style, c'était un artiste. Mais pendant toute la dernière année où il combattit, on pouvait voir qu'il allait mourir. Il était guetté par la phtisie galopante, et il s'attendait à mourir avant que l'année ne fût terminée."

samedi 27 mars 2010

Hemingway, fascination pour la corrida (2)

C'est au printemps 1923 qu' Hemingway découvre l'Espagne et les courses de taureaux. En juillet, il assiste à sa première San Fermin. Ce sera le début d'une grande passion pour l'Espagne et pour les toros. A la suite de ce voyage, il écrit cinq histoires à thème taurin qui paraîtront dans In our times (De nos jours) un recueil de très courts textes publié à Paris en 1924.


CHAPITRE XVI
Maera gisait immobile, la tête dans ses bras, le visage dans le sable. Il se sentait tout chaud et gluant de tant saigner. À chaque fois, il sentait venir la corne. Parfois, le taureau se contentait de lui donner un coup de tête. Une fois la corne le transperça complètement et alla s'enfoncer dans le sable. Quelqu'un tirait le taureau par la queue. Ils lui lançaient des injures et brandissaient la cape sous son nez. Puis le taureau s'éloigna. Quelques hommes ramassèrent Maera et l'emportèrent en courant à travers l'arène, ils s’engouffrèrent derrière la barrera, sous la tribune d'honneur, jusqu’à l'infirmerie. Ils étendirent Maera sur une couchette et l'un des hommes partit chercher le médecin. Le médecin accourut depuis le corral où il était occupé à recoudre des chevaux de picador. Il dut s'arrêter un instant pour se laver les mains. On entendait des hurlements dans la tribune au-dessus. Maera voulut dire quelque chose, mais il s'aperçut qu'il ne pouvait pas parler. Maera sentit que tout, autour de lui, devenait de plus en plus grand, puis de plus en plus petit. Et de nouveau de plus en plus grand, et de plus en plus petit. Puis tout se mit à courir de plus en plus vite comme lorsqu'on accélère un film cinématographique. La seconde d’après il était mort.


Extrait des Nouvelles complètes d'Ernest Hemingway, Quarto, Gallimard, traduction de Céline Zins.
Sur ses rapports avec l'Espagne : Pierre Dupuy, Hemingway et l'Espagne, La Renaissance du livre, 2001

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mardi 23 mars 2010

Hemingway, fascination pour la corrida (1)

Voici le premier texte écrit par Ernest Hemingway sur la corrida. Sa particularité est d'avoir été écrit et publié (au début de 1923) avant que le jeune écrivain n'ait vu la moindre corrida. Les spécialistes pensent qu'il s'est appuyé sur des récits d'amis américains comme Gertrude Stein. Il montre la fascination qu'exerçait la corrida sur Hemingway avant même qu'il ait pu se frotter à sa réalité. Il montre aussi sans doute que devenir aficionado c'est, dans un premier temps, avoir la possibilité d'être happé par l'imaginaire des mots et des récits; et j'ai bien peur que les pauvres images vidéo qui en tiennent trop souvent lieu aujourd'hui soient loin d'avoir la même force.

"Le premier matador prit la corne au travers de la main droite et il sortit sous les huées. Le second matador glissa et le taureau lui transperça le ventre ; le matador s'accrocha à la corne d'une main tandis que l'autre se pressait contre la blessure, puis le taureau le projeta, boum, contre la barrière et la corne sortit; le matador tomba dans le sable, puis il se releva comme pris d'une ivresse folle et se débattit contre les hommes qui l'emportaient, hurlant qu'on lui rende son épée, mais il s'évanouit bientôt. Le gosse entra dans l'arène et il dut tuer cinq taureaux car il n'y a jamais plus de trois matadors et au dernier taureau il était si fatigué qu'il n'arrivait pas à enfoncer l'épée. Il pouvait à peine lever le bras. Il essaya cinq fois, mais la foule resta calme car c'était un bon taureau et cela semblait être lui ou le taureau, puis il finit par réussir. Il s'assit par terre et se mit à vomir; on le recouvrit d'une cape tandis que la foule hurlait des vivats et lançait des choses dans l'arène."


Extrait des Nouvelles complètes d'Ernest Hemingway, Quarto, Gallimard, traduction de Céline Zins
Hemingway en 1923
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vendredi 12 mars 2010

Les cartels de Vic Fezensac 2010

Samedi 22 mai
11h novillada
Flor de Jara
Thomas Joubert - Patrick Oliver - Esaú Fernández

18h corrida
Escolar Gil
El Fundi - Sergio Aguilar - David Mora


Dimanche 23 mai
11h corrida-concours
La Quinta - M. L. Dominguez P. de Vargas - F. San Román
Dolores Aguirre - Alcurrucén - Rehuelga
J. L. Moreno - Antonio Barrera - Luis Bolivar

18h corrida
Palha
Morenito de Aranda - Alberto Aguilar - Medhi Savalli


Lundi 24 mai
17h corrida
Victorino Martin
El Fundi - Rafaelillo - Juan Bautista


Muy atractivo.
Difficile de faire mieux question toro avec le retour des Palha et des Victorino Martin en corrida complète même si on peut penser que les Fidel San Román avaient gagné l'an dernier leur répétition. Par contrecoup, la corrida-concours paraît plus modeste. Un veragua de Prieto de la Cal y aurait eu fière allure d'autant que mettre un Dolores Aguirre à l'affiche d'une concours c'est ce qui s'appelle un pari risqué...
Côté torero, El Fundi et Alberto Aguilar retrouvent les engagements qu'ils n'avaient pas été en mesure d' assumer l'an dernier. David Mora et Medhi Savalli qui avaient été loin de convaincre sont reconduits alors que Diego Urdiales reste sur la touche...
On verra avec plaisir Morenito de Aranda et José Luis Moreno. Ce dernier était déjà venu il y a une dizaine d'années mais il n'avait laissé comme souvenir que son nom sur l'affiche.
La présence d'Antonio Barrera est une énigme pour le commun des aficionado, dont je fais partie, qui n'est pas au parfum des tractations d'arrière-boutique (mais qui les subodore). Voilà un torero qui n'est jamais bon, jamais franchement mauvais non plus, autrement dit sans personnalité aucune, mais qui, année après année, continue à signer des contrats pendant que d'autres sont obligés de se battre pour ne récolter que des miettes, et encore, quand il leur en reste à se mettre sous la dent.


lundi 1 mars 2010

Contre le toreo culero

Il n'avait certes jamais disparu mais, depuis quelque temps, on voit refleurir le toreo culero qui consiste à citer le toro en lui présentant son cul. Certaines figures n'hésitent pas à y recourir, je pense en particulier à Enrique Ponce, El Juli, Sébastien Castella ou Miguel Angel Perera.
Si je fais appel à mes plus anciens souvenirs taurins, je ne trouve pas trace, dans ma mémoire, de cette pratique par les toreros des années 70, à l'exception de Damaso González, le fakir d'Albacete, qui en abusait lors de ses interminables faenas.
Dans les années 80, Paco Ojeda s'appropria le procédé. Il parvint à lui donner une touche personnelle qui enflamma les publics de l'époque. Ainsi légitimée, cette manière de toréer, restée jusque là cantonnée dans le répertoire trémendiste et pueblerino, fut reprise par tous ceux qui, limités dans leur expression artistique, voyaient là un bon moyen de substitution pour toucher le public.
Et pourtant quoi de plus anti-taurin et anti-esthétique que le site culero. Le torero tourne le dos au toro, lui montre ses fesses (Quel manque de respect!). Il s'est contorsionné inesthétiquement pour aller chercher la corne contraire et se contorsionne à nouveau lorsqu'il fait tourner le toro autour de lui. En outre, l'objectif de faire accomplir un tour complet au toro nécessite de le faire passer assez loin du corps et de le guider le plus souvent avec le pico de la muleta ce qui réduit d'autant la valeur de la suerte.
Je ne résiste pas ici au plaisir de vous faire partager cette citation de Claude Pelletier extraite d'une de ses reseñas dans la revue Toros (n° 1254, juin 1985) :
"Une seule scorie : il tend soudain son postérieur et lorgne par dessus l'épaule pour l'affreuse passe du ''pétomane convulsif'' qu'on appelait jadis la ''bilbaina''. C'est laid à faire peur, mais je suppose que le torero à ce moment ne résiste pas à la tentation de se donner la preuve terminale et giratoire de sa domination."
Preuve de domination?... peut-être en certaines occasions mais lorsque la suerte est donnée plusieurs fois de suite, et parfois jusqu'à la nausée, elle met surtout en évidence l'excessive docilité du toro. Et, lorsqu'elle est donnée sur la corne gauche (circulaire inversée), cas le plus fréquent de nos jours, elle se substitue alors aux naturelles, prive le public de la plus belle (et la plus risquée) des passes et signe ainsi l'incapacité du matador à toréer de verdad.
On pourra objecter que ce toreo culero vient souvent en conclusion d'une faena complète et qu'il peut alors être considéré comme un adorno. Mais que penser d'un adorno qui enlaidit?...Je préfère quant à moi aidées par le bas et kikirikis riches du parfum d'Andalousie ou ayudados por alto plus empreints d'austérité castillane.
Le toreo culero est inesthétique, irrespectueux du toro et il révèle l'insuffisance du toreo avec la main gauche : une escroquerie trop souvent applaudie par des publics consentants.