dimanche 29 novembre 2009

Les toristas roulés dans la farine

Je n'aime pas ce clivage, de plus en plus marqué au fur et à mesure que passent les années, entre corridas toristas et corridas toreristas. Il est pourtant indéniable; aujourd'hui les toristas ont leurs arènes, leurs ferias (ou leur morceau de feria), leurs élevages, leur toreros. Cela pourrait être une bonne chose, et pourtant j'ai l'impression qu'ils se font allègrement rouler dans la farine.
Depuis quelques années, une partie torista dans les cartels de certaines grandes ferias constitue la manifestation la plus évidente du phénomène. Séville, Madrid, Zaragoza en sont de bons exemples. On devrait y voir les toros des élevages les plus sérieux face aux meilleurs toreros et ce pourrait être alors le moment cumbre de la feria. Or, qu'y voit-on? Des toros le plus souvent médiocres faces à des matadors et des cuadrillas de troisième ordre, la plupart du temps incapables de mener des lidias correctes. Et quand, par bonheur, sort un toro ou un lot excellent, personne pour être à la hauteur de l'évènement. Il y a bien sûr quelques rares exceptions mais, dans l'ensemble, j'ai plutôt l'impression que ces corridas servent à amadouer l'aficion toriste locale et à mieux lui faire avaler le reste de la feria...
Le malheur est que les toros sont trop souvent à mille lieues du comportement attendu. Où sont-ils donc les toros braves, puissants, encastés que nous ont promis les éleveurs autoproclamés toristas? Au jour d'aujourd'hui Palha est l'arbre qui cache le désert. Derrière, personne. Victorino Martin et Cebada Gago qui ont longtemps tenu la boutique sont en ce moment dans une période difficile. Dolores Aguirre alterne le meilleur et le pire. La Quinta et Fuente Ymbro sont très en dessous de ce que l'on pouvait espérer. San Martin, qui était un espoir, a disparu de la circulation. Miura a connu un bache profond dont on ne sait trop s'il en sortira. Cuadri, Guardiola, Partido de Resina et tant d'autres font pitié. Arrêtons là cette litanie de la désespérance et bornons nous à constater qu'il n'y a pas grand chose actuellement dans le campo bravo qui puisse nous faire rêver à des lendemains meilleurs.
Ceux qui ne se plaignent pas de la situation, ce sont les empresas. Ah! vous en voulez des corridas toristas, en voilà! Mais attention, avec des cartels baratos qui, certes, attirent moins de monde mais peuvent laisser, malgré tout, grâce aux économies réalisées du côté des matadors, de substanciels bénéfices.
Alors, bien sûr, l'aficion toriste est un peu désorientée; elle tire - souvent avec raison - sur tout ce qui bouge, ce qui ne l'empêche pas de se faire allègrement rouler dans la farine. Je pense, par exemple, à certains aficionados de Madrid, très agressifs avec leur actuelle empresa bien que celle-ci offre tout au long de la temporada - y compris devant les figuras - des toros remarquablement présentés. Une manière bien naïve de préparer l'arrivée à Madrid de Simon Casas... Ce serait la cerise sur le gâteau.
PS A l'ombre des grands élevages, il y a les petits. Avec leur variété d'encastes. Leurs résultats sont forcément irréguliers mais tous méritent d'être défendus car ils sont un gage de diversité et peut-être d'avenir. Actuellement l'élevage de Sanchez Fabres est en passe de disparaître. Pour le soutenir, c'est ici.

dimanche 22 novembre 2009

Joseph Peyré La Tour de l'Or

Je restais sur le souvenir désastreux que m'avait laissé, encore adolescent, la lecture de Sang et Lumière (prix Goncourt 1935), le livre le plus connu de Joseph Peyré. A tort ou à raison; il faudrait le relire. Toujours est-il que cette Tour de l'or, parue en 1947, m'a réconcilié avec l'écrivain béarnais. Les clichés sont certes bien là - le matador gitan, la belle aristocrate amoureuse, la riche française névrosée, la cuadrilla picaresque - mais le plus souvent détournés. Le style est léger, vif, parfois incisif, telle cette magnifique phrase :"Miguel Santamaria, après sa carrière d'étoile, ne battait pas monnaie de ses adieux, les promenant comme tant d'autres dans toutes les villes d'Espagne, à trente mille le cachet."
Le mélo nous est épargné; c'est au contraire un sourd malaise, parfois teinté d'ironie, que distille le livre, chapitre après chapitre. L'époque est en effet très particulière, quasiment inimaginable pour un lecteur d'aujourd'hui. Il est mal vu de participer aux processions de la Semaine Sainte, le torero hésite à s'y montrer; et, se marier avec une aristocrate, est-ce, par les temps qui courent, la meilleure façon d'assurer son avenir?... Car nous sommes en 1936, le Frente Popular a gagné les élections et, en Andalousie, les anarchistes ont le vent en poupe. Bientôt, Miguel Santamaria sera happé par le tourbillon de l'histoire jusqu'à faire le paseo dans les arènes de Madrid au son de l'Internationale. Joseph Peyré, avec une ironie impitoyable pour son héros s'amusera même de sa peur des révolutionnaires dans un épisode barcelonais hallucinatoire.



La belle couverture (maladroitement rafistolée) de l'édition de 1947

NB On peut lire sur le blog La fête sauvage un texte très intéressant de Joseph Peyré qui dénonce certains égarements de la corrida.

samedi 14 novembre 2009

Bilan 2009

Ma corrida rêvée

6 toros de Palha 6
José Tomas
Diego Urdiales
Sébastien Castella

Le long vide de l'hiver sert sans doute à accumuler les illusions pour la temporada à venir. L'une d'entre elles étant que les meilleurs toreros osent affronter les élevages les plus sérieux. Ce ne sera vraisemblablement pas le cas puisque, si le retour de José Tomas dans les grandes arènes est annoncé (Seville, Madrid, Bilbao), il aura lieu, semble-t-il, avec des Nuñez del Cuvillo y consort.
Castella devant des Palha voilà une rencontre intéressante qui constituerait un vrai geste...
Morante de la Puebla a disparu de mon cartel cumbre. Son toreo m' est toujours aussi caro mais sa temporada m'a paru décevante. Deux ou trois gris-gris (et demi) face à des Juan Pedro Domecq en début de saison; puis une malencontreuse succession de blessures qui a incité le maestro à attendre des jours meilleurs.

2008
2007

samedi 7 novembre 2009

Les entrevues de toreros

"Le lendemain matin, quelques heures avant qu'il prenne son avion, je l'interviewai dans le petit salon de l'hôtel Bolivar. Je restai perplexe en me rendant compte qu'il était moins intelligent que les toros qu'il combattait et presque aussi incapable qu'eux de s'exprimer au moyen de la parole. Il ne pouvait construire une phrase cohérente, il ne tombait jamais sur le temps juste en maniant ses verbes, sa façon de coordonner ses idées laissait penser à des tumeurs, à l'aphasie, aux hommes-singes. La forme était non moins extraordinaire que le fond : il parlait avec un accent malheureux, fait de diminutifs et d'apocopes, qu'il nuançait, durant ses fréquents vides mentaux, par des grognements zoologiques."
Mario Vargas Llosa, La tante Julia et le scribouillard, traduction d'Albert Bensoussan


Le passage est certes caricatural mais il traduit bien la plaie que constituent ces entrevues à tout bout de champ avec des gens - les toreros, en l'occurrence - qui n'ont assurément pas fait sans raison le choix de côtoyer les toros mais dont le mystère est, de toute évidence - au moins dans un premier temps, réfractaire à tout discours.
Le pire, ce sont les interviews dans le feu de l'action. Le matador est encore couvert de sueur et de sang que déjà on lui tend, depuis le callejon, un micro (dérisoire corne arrondie) auquel il n'a strictement rien à dire, lui qui, il y a quelques secondes encore, était en relation avec le plus bel animal de la terre.
Ne parlons pas des pensums que sont les interviews dans la presse taurine espagnole. Les toreros y sont devenus maîtres incontestés de la langue de bois.
Bien sûr il peut y avoir de grandes et belles réussites. Mais c'est toujours la distance, le recul qui les rend possibles. Le plus bel exemple en est le travail que François Zumbiehl a mené à bien avec les principales figures de la tauromachie et qui a donné ce magnifique livre Des taureaux dans la tête, paru en 1987 aux éditions Autrement.


NB Un colloque sera très prochainement consacré à Mario Vargas Llosa à Bordeaux. L'auteur y sera présent.