mardi 30 mars 2021

1961 : la dernière temporada des arènes de Bordeaux-Bouscat (fin)

 

 
Dimanche 9 juillet 1961      dernière course aux arènes de Bordeaux-Bouscat
Six novillos de Prieto de la Cal pour Jesus Sanchez Jimenez, Tomas Sanchez Jimenez et Alfredo Sanchez 

   Personne ne le sait encore mais cette novillada sera le dernier spectacle qui se donnera dans ces arènes.
   L'empresa continue dans la note sérieuse qui a été la sienne depuis le début de la temporada avec la présentation à Bordeaux des veraguas de Prieto de la Cal. Présentation réussie puisque les novillos seront applaudis à l'arrastre après avoir fait preuve d'une bravoure pleine d'aspérités.
   Les frères Sanchez Jimenez brillent aux banderilles mais ils sont débordés par l'allant et la combativité des novillos. Le triomphateur sera Alfredo Sanchez qui coupe une oreille de chacun de ses novillos et se signale lui-aussi dans la pose des fuseaux en particulier en deux belles paires al quiebro.

   La tragédie survient une fois le spectacle terminé lorsque les spectateurs quittent leur place pour se diriger vers la sortie. Un escalier des gradins supérieurs s'effondre. On relèvera six blessés parmi lesquels Maria Escarret, habitant à Caudéran, succombera trois jours plus tard à l'hôpital Saint-André.
   Dans les mois qui suivent plusieurs commissions d'enquête concluront toutes à l'extrême dangerosité de l'édifice dont la structure en béton armé se trouve fortement dégradée. La tenue de spectacles est interdite. Il faudrait pour remédier aux problèmes engager des frais (rénovation  totale ou démolition suivie d'une reconstruction) qui dépassent largement les possibilités de l'unique propriétaire monsieur Emile Lataste.
   Pour la première fois depuis 1895, après soixante-sept ans d'activité tauromachique (excepté en temps de guerre) il n'y aura pas de temporada taurine à Bordeaux. Et il faudra attendre vingt-six ans avant que, le 25 octobre 1987, les arènes de Floirac renouent avec la tradition taurine bordelaise.

  Terminons sur une anecdote  tirée du livre de Briscadieu. Il restait dans les corrals de la plaza un sobrero (non identifié). Après qu'il fut clair qu'il n'y aurait plus de spectacle dans les arènes, celui-ci fut lidié secrètement en 1962 devant un petit comité d'aficionados. C'est l'un des frères Sanchez Jimenez qui avait participé à la dernière novillada de juillet 1961 qui officia. Ce toro anonyme est donc le dernier à avoir combattu sur le sable des arènes du Bouscat. Ainsi se bouclait un cycle débuté le 8 juin 1921 avec la lidia de Jabonero, un toro manso de Graciliano Perez Tabernero banderillé à feu qu'expédia ad patres le Mexicain Luis Freg.

   Aujourd'hui, après le riche intermède de Floirac (1987-2006), Bordeaux possède plusieurs clubs taurins en activité et le département de la Gironde, zone la plus septentrionale de la planète des toros, maintient la tradition taurine avec deux arènes secondaires mais bien vivantes : La Brède située dans l'aire urbaine bordelaise, et Captieux aux portes de la forêt landaise.


Sources :
Antoine Briscadieu, Bordeaux capitale tauromachique, UBTF, 2021
Auguste Lafront "Paco Tolosa", Histoire de la tauromachie à Bordeaux, UBTF, 1982
Revue Toros, année 1961
 

Plein total aux arènes de Bordeaux-Bouscat le 15 mai 1949 pour la présentation de Conchita Cintron (archives Sud Ouest)

lundi 29 mars 2021

1961 : La dernière temporada des arènes de Bordeaux-Bouscat

  

 
   Le récent livre d'Antoine Briscadieu, Bordeaux capitale tauromachique, publié par l' UBTF, constitue une bonne occasion de se pencher sur la dernière temporada des arènes du Bouscat.
   En 1961, la plaza de toros de Bordeaux-Bouscat est en activité depuis très exactement quarante ans. Elle a en effet été inaugurée le 8 mai 1921 avec la lidia de toros de Graciliano Perez Tabernero par les espadas Luis Freg et Saleri II. On en célèbrera donc le centenaire dans quelques semaines. Avec ses 10 500 places, l'arène bordelaise est, avec celle de Bayonne, la plus importante du Sud-Ouest. Emile Lataste, empresa des anciennes arènes de la Benatte démolies en 1918, en est le concepteur et le propriétaire. Une trop lourde charge pour un homme seul ...
   Agé, il n'organise plus lui-même les corridas depuis un certain temps déjà. En 1961 c'est Rafael Garcia associé avec l'empresa de Madrid qui dirige les arènes.



Jeudi 11 mai 1961     corrida de la Presse
Six toros de Carlos Nuñez pour Antonio Ordoñez, Manolo Vázquez et Jaime Ostos
 
   Beau succès populaire pour cette première corrida de la saison vu ainsi par Don Claro dans la revue Toros : "La nouvelle empresa avait mis plusieurs et solides atouts dans son jeu pour l'ouverture de la Temporada Bordelaise aux arènes du Bouscat. - Présentation d'un excellent cartel composé d'hommes classés et d'une ganaderia réputée pour sa noblesse donc très prisée par les toreros. - Choix d'un jour férié en semaine, ce qui à Bordeaux, exclut les départs massifs du public local vers les plages proches lors des Weekends. - Enfin le patronage et le concours efficace de la Presse et de la Radio.
   Ainsi, cette corrida de la PRESSE a connu un inhabituel et réconfortant succès d'affluence pour l'Aficion Bordelaise.
   Si l'on ajoute à cela un temps très ensoleillé on comprendra pourquoi les gradins furent à peu près totalement garnis d'une foule bruyante et colorée qui malheureusement ne manifesta pas toujours à bon escient au cours du spectacle."
  Conformément à la tradition de sérieux de l'arène bordelaise, les Carlos Nuñez sont bien présentés, avec des armures bien développées. Ils se révèlent durs et âpres avec une tendance à se réserver après le tercio de piques. Le quatrième est un manso intégral qui, après neuf rencontres avec ruades et une pique plus appuyée, devient dangereux.
   Antonio Ordoñez torée avec classe et parvient à donner au manso "quatre magistrales naturelles aussi valeureuses qu'inattendues" (Don Claro). Mais selon son habitude, il tue bas. (Division d'opinion, salut).
   Manolo Vázquez est peu vu en France où sa nonchalance est peu prisée. Ce jour, il donne la mesure de son art à son premier mais tue sans s'engager et fait couper par sa cuadrilla une oreille non attribuée par la présidence.
   Jaime Ostos connait une journée noire  et entend sifflets et bronca.
   La tarde n'a pas été un franc succès mais elle a permis de montrer qu'un bon cartel pouvait remplir les vastes arènes de Bordeaux. L'avenir semble radieux ...
 

 

Dimanche 4 juin 1961
Six novillos de Francisco Ramirez pour Tomas Sanchez Jimenez, Alfredo Sanchez et Orteguita.
 
  "Expérience  concluante", titre Don Claro dans Toros, "Malgré un temps gris et menaçant toute la matinée, quelques brèves mais fortes ondées en début d'après-midi qui ont certainement retenu chez eux pas mal de spectateurs, cette course s'est déroulée devant des rangées confortablement garnies.
   Assistance populaire et moins sévère qu'à l'habitude mais toute heureuse sembla-t-il de renouer avec la novillada et les avantages pécuniers qu'elle offre".
   De fait la novillada résulta entretenida. En premier lieu grâce aux novillos de Francisco Ramirez (origine Atanasio), fougueux, vifs, encastés. Quant aux novilleros, avec leurs limites, ils donnèrent le meilleur d'eux-mêmes. Tomas Sanchez Jimenez est encore très vert mais c'est un banderillero spectaculaire (oreille, vuelta). 
   Alfredo Sanchez excelle lui-aussi dans la pose des banderilles. A la muleta il n'hésite pas à toréer de la main gauche et donne des naturelles de bonne qualité. Une entière foudroyante à son premier (oreille), une demi-estocade habile à son second (deux oreilles). "Sans être un artiste, Alfredo Sanchez possède un bagage et un entrain qui lui permettront de remporter d'autres succès".
   Orteguita, relevant de blessure et moins bien servi, fait preuve de chic et d'intelligence mais il s'engage moins que ses camarades (vuelta, silence).



Dimanche 18 juin      corrida de l'Oreille d'or
Six toros d'Alvaro Domecq pour Antonio Ordoñez, Diego Puerta et Paco Camino.
 
   La buena racha continue. L'excellent cartel proposé par les organisateurs a rempli les tendidos d'un public qui s'améliore. "Depuis quelque temps, le clinquant cède le pas devant le TOREO sincère et classique et de plus en plus le public réagit judicieusement et spontanément devant le travail de valeur", note Don Claro dans Toros. Il faut dire qu'un cartel de ce niveau ne peut que tirer le public vers le haut.
   "Le déroulement de la course fut toujours intéressant, passionnant parfois et émotionnant en raison de l'âpreté de certains combats.
   Et puis les trois diestros étaient décidés ce qui donna à la course une empreinte sérieuse.
   La plupart des toros de Don Alvaro Domecq se sont vraiment battus et il n'était pas question de fignoler ou de composer la figure. Il fallait s'arrimer".
   Le grand triomphateur de la corrida fut Antonio Ordoñez. Face à Rabioso, quatrième toro de l'après-midi, brave et noble, honoré d'un tour de piste, il se montre sous son meilleur jour, ses naturelles sont admirables. "Trasteo d'une grande pureté, d'un classicisme parfait qui incita la foule à réclamer les deux oreilles et la queue". Antonio Ordoñez sera donc le dernier vainqueur de l'Oreille d'or.
   Diego Puerta, payant toujours comptant, coupe l'oreille du second mais il éprouvera des difficultés à dominer ses adversaires.
   Paco Camino se trouve dans un moment délicat de sa carrière. Physiquement et moralement il a du mal à porter sur ses épaules de tout jeune homme le poids de son statut de figure. Depuis le début de la temporada il alterne les triomphes d'anthologie avec les journées de fracaso et de renoncement. Ce jour il rassure les aficionados à son premier adversaire auquel il coupe une oreille après une bonne faena mais échoue avec le dernier.
   A l'issue de cette corrida pleinement satisfaisante et qui s'inscrivait dans une temporada sérieuse, portée par un public nombreux et un solide noyau d'aficionados, on pouvait penser que les toros à Bordeaux étaient sur le point de connaitre une nouvelle jeunesse.
   Hélas ! le fatal 9 juillet va tout remettre en question.


               suite et fin prochainement ...


samedi 20 mars 2021

Jean-Marie Magnan

   L'écrivain Jean-Marie Magnan est décédé en juillet dernier. Il fut l'ami de grands artistes : Picasso, Jean Cocteau, Curro Romero (entre autres) qui furent pour lui source d'inspiration. Il laisse une œuvre littéraire foisonnante dont la partie taurine n'est pas la moins importante. Il a beaucoup écrit en complémentarité avec des photographes et particulièrement avec son compatriote arlésien Lucien Clergue.
   Je me souviens avoir parfois eu du mal à lire ses excessivement longues reseñas dans la revue Toros où, vilain petit canard, il incarnait une ligne toujours favorable aux toreros artistes. Il fut d'ailleurs évincé de la revue dans les années 90 pour déviationnisme torériste. 
  Pourtant, dans Corrida-spectacle, corrida-passion, s'il consacre l'essentiel du texte à une analyse pertinente des principaux matadors de l'après-guerre, il déplore avec une grande lucidité l'évolution des ganadérias vers un défaut de caste dommageable à l'expression de l'art taurin. Il regrette aussi la mort programmée de la corrida-combat.

   Voici, sur ces thèmes, quelques extraits de cet ouvrage paru en 1978 :

   "Le taureau de Salamanque a eu, dès 1920, la fâcheuse réputation d'être fait sur mesure, élevé et créé pour plaire aux toreros et faciliter leur tâche.
   A cette époque, la technique moderne de la corrida innovée par Belmonte commence déjà à se pratiquer avec une telle absence de défense et de mouvement de la part de l'homme, qu'elle exige non plus de l'opposer à un combattant redoutable mais de lui fournir une sorte de partenaire. Salamanque, la première, acceptera de réduire l'un peu trop de toutes les bonnes qualités que possédaient les taureaux andalous transplantés sur son sol et de les dénaturer pour les rendre populaires auprès des toreros. Le type étudié et patiemment élaboré par les ''maquignons" de Salamanque s'emploiera à diminuer taille et longueur de corne et à ôter au fauve de sa puissance et de son acharnement dans l'attaque. On commercialise le taureau et on le vend jeune grâce aux aliments composés qui hâtent son développement et lui donnent du poids, mais sans la maturité et la vigueur requises et l'adresse à se servir de ses armes."    (p. 131)

   "C'est de ce fauteur de trouble [le taureau] qu'on s'occupera d'abord si l'on veut préparer d'avance, et avec un quasi-automatisme, les conditions du succès. On le soumettra autant que possible aux exigences du jeu moderne. ''En tendant vers l'amélioration ou la commodité du taureau de combat, peut-être en altérons-nous un peu notre époque", reconnaîtra avec bonne grâce Alvaro Domecq, propriétaire d'un des meilleurs élevages andalous. Il s'agissait de régulariser à tout prix la réussite du spectacle et, puisque l'homme en vedette retenait seul l'attention populaire, de l'aider à atteindre avec une certitude croissante ce niveau de perfection théorique où la réclame l'avait hissé. De là, les multiples précautions dont les organisateurs en sont venus à entourer le fauve avec l'accord implicite de la majorité des publics. Dès l'instant qu'on ne s'attache pas à ses vertus mais plutôt à son absence de défauts. Ne suffit-il pas qu'il ne contrarie pas par quelque faiblesse trop marquante la bonne marche du spectacle ? Qui vient voir la vedette, demande surtout au taureau de tenir debout et de bien suivre l'étoffe. Seuls ses agenouillements ou ses chutes le consternent."      (p. 161)

 
   "L'imprévu du combat, autrement dit l'ambiguïté d'un fauve, se trouve presque toujours renforcé par les manifestations pesantes du public, bien propres dans nombre de cas à provoquer la dépression. Comment reprocher désormais aux toreros de mettre d'abord l'accent sur le côté aimable et spectaculaire de leur travail et de choisir des adversaires propices, quand le sérieux du combat suscite tant de quiproquos, de méprises et de colères aussi violentes qu'injustifiées ! 
   Cette bagarre dure, sévère, ingrate contre un fauve moins jeune et malléable, qui n'autorise rien d'autre que de limiter les dégâts et ne peut s'achever dans l'agrément du toreo ravissant, combien de gens, enfin, dans cette arène de Madrid, sont capables de s'y intéresser et d'en suivre les phases méritoires ? ''Quinze cents'', m'a répondu Claude Popelin sans excès de conviction. Et la Monumental peut contenir quelque vingt-trois mille personnes et le but de tout organisateur est de faire le plein. L'évolution du goût du public vers le divertissement apparaît irréversible."    (p.194)