samedi 28 février 2009

A propos du tercio de piques (2)

(suite)


  • Des chevaux adaptés
Grâce à Alain Bonijol, qui a été un précurseur - Philippe Heyral a su lui emboîter le pas - nous avons aujourd'hui en France des chevaux de picadors plus légers, plus mobiles, équipés de petos ressemblant moins à la muraille de Chine qu'il y a une dizaine d'années. Incontestablement, le tercio de piques s'en est trouvé amélioré.
En revanche, on ne peut pas dire qu'en Espagne la situation ait beaucoup évolué. Les blocs de marbre qui sévissent à Bilbao ou à Madrid sont un bon exemple de la manière dont on peut tuer le tercio de pique. Il faut dire que l'aficion madrilène est étrangement silencieuse en ce qui concerne le premier tiers. Même sa frange la plus dure semble aller aux arènes dans une optique uniquement torerista, essentiellement pour soutenir les toreros modestes et mener la vie dure aux figuras. Ce qui serait intéressant et permettrait peut-être de faire bouger les choses c'est que les cuadras de caballos françaises puissent grignoter les marchés du nord de l'Espagne...

  • Ne faire sortir qu'un seul cheval à la fois
Voilà une mesure facile à appliquer, logique, consensuelle et qui élimine de nombreux inconvénients. Elle est d'ailleurs déjà appliquée dans plusieurs plazas françaises. Elle est parfaitement logique étant donné qu'il est rarissime que l'on ait besoin de faire appel au picador de réserve et que, de toute façon, celui-ci, resté dans le patio de caballos, se tient prêt à intervenir en quelques instants si nécessaire. C'est pourquoi cuadrillas et maestros n'ont aucune raison de s'y opposer. Les avantages sont évidents : lidia des toros abantos ou mansos facilitée, suppression des piques malencontreuses données par le réserve, facilitation de la bonne réalisation des quites par les matadors. (Ah! ce moment toujours grotesque qui voit, au sortir d'une chicuelina, le toro filer directement vers le picador de réserve.)
Cette mesure pourrait avec un grand bénéfice se généraliser à toutes les arènes françaises puis être officialisée par un léger aménagement du règlement taurin.



  • Augmenter la distance entre les deux lignes concentriques
L'écart entre les deux lignes concentriques prévu actuellement par le règlement est de trois mètres. Cette distance, trop peu importante, a des inconvénients liés à la trop grande proximité toro/cheval. Elle facilite notamment les mises en suerte bâclées, al relance (le toro n'est pas arrêté par le torero mais mis en mouvement en direction du cavalier). Il est vrai qu'à cette distance, le toro brave a déjà le cheval dans son champ de vision, il devient alors difficile de le mettre en suerte convenablement. Une augmentation de l'écartement des lignes pallierait à ces inconvénients et permettrait de retrouver l'esprit des corridas-concours. Ainsi le public pourrait vibrer devant le spectacle du toro brave galopant à l'assaut du cheval.
Bien sûr tous les toros ne possèdent pas une bravoure suffisante pour offrir un tel combat. Il faudrait alors, après trois cites exécutés en manœuvrant le cheval, autoriser le picador à franchir la première ligne concentrique.
Un tel déroulement de la suerte de piquer non seulement montrerait un grand respect pour le toro et mettrait en valeur sa bravoure mais permettrait également de mettre en évidence la virtuosité du picador.



  • Appliquer dans toutes les arènes la règle des deux piques minimum
Certes ce principe est déjà en application dans toutes les arènes de première catégorie aussi bien en Espagne qu'en France. Il existe toutefois, dans le Sud Ouest en particulier, des villes qui n'osent pas franchir le cap. Je pense à Dax et à Mont de Marsan. Il leur serait pourtant facile de se mettre en conformité avec le règlement. Informer les spectateurs par voie de presse ou par des prospectus à l'entrée des arènes; informer les matadors et les cuadrillas avant le début de la course. Mais il faut aller plus loin. Au-delà de la question du nombre, ce qu'il faut montrer aux toreros c'est la volonté des organisateurs et de la présidence de favoriser une bonne exécution du tercio de piques. Pour peu que, durant la lidia, le public, lui aussi, montre son attachement au bon déroulement de la suerte, ce n'est plus la question de la deuxième pique qui se posera mais celle de la troisième car un toro brave et d'une puissance normale est parfaitement capable de supporter trois piques données dans les règles de l'art, c'est à dire citées de loin, brèves, avec quite rapide de la part des toreros. Je suis persuadé qu'un toro ainsi piqué garderait beaucoup plus de charge au troisième tiers que celui qui a subi un long puyazo avec carioca.
Arrivé à ce stade de mon propos, j'aperçois un écueil se profiler. Piquer un toro en lui donnant la possibilité d'exprimer toute sa combativité, c'est contribuer à lui donner un rôle plus important, c'est réevaluer sa place dans le monde de la corrida d'aujourd'hui et je ne suis pas sûr que les figuras soient disposées spontanément à accepter le moindre partage de leur gloire. C'est pourquoi cette rénovation du tercio de pique ne pourra s'accomplir que si les principaux matadors sentent bien l'intérêt qu'il y a pour eux à accepter le jeu. Organisateurs, publics, journalistes, présidents doivent s'y employer. La dernière des propositions que je voudrais mentionner ne me paraît donc pas tout à fait inutile.



  • Tenir compte du déroulement du premier tiers pour l'attribution des trophées
Les matadors en seraient informés par le président avant le début de la course. Bien entendu il ne s'agit pas d'avoir une attitude rigide, mais dans les cas où il y a indécision (pétition d'oreille difficile à évaluer, hésitation sur l'attribution des deux oreilles) le souvenir du tercio de pique bien ou mal mené devrait donner pente à la balance. Il n'est pas interdit de penser que les matadors pourraient devenir rapidement assez sensibles à cette nouveauté. Il serait possible par la suite de mentionner dans le règlement taurin français cette prise en considération du premier tiers tout comme elle vient d'apparaître dans le nouveau règlement du pays basque espagnol.
Il va sans dire que tout ce qui contribue à relever le prestige des picadors a également son importance : prix à la meilleure pique, personnalisation (indication de leur nom dans le ruedo ou sur les programmes).




Voilà. C'était mon petit grain de sel dans le débat actuel. Contribution à un rêve qui se frotte à la médiocre réalité pour essayer de lui faire prendre la voie du respect du toro et du spectacle de sa bravoure. La plupart des propositions ici exprimées ne sont pas miennes. Je les ai trouvées venant d'horizons variés :


Toros
A propos de bravoure et du tercio de pique de Joël Bartolotti n°1836 septembre 2008
Suerte de varas de Pierre Alban Delannoy n°1563 à 1568 année 1997

Terres Taurines n°19 octobre 2008
Campos y Ruedos nombreux textes sous le libellé "Suerte de varas", entre autres :Feudal une énigme résolue de Thomas Thuriès 30 avril 2008Décalogue de la suerte de varas 7 août 2008
Site de la FSTF




Picador de Christian Antonelli 2007

jeudi 26 février 2009

A propos du tercio de piques (1)

A défaut de le voir correctement exécuté, on n'a jamais autant parlé du tercio de piques qu'aujourd'hui. Colloques, articles, textes sur internet, discussions au sein des clubs taurins, la revue Terres Taurines a même publié un numéro complet sur le sujet.

Qu'est-ce qui justifie dans le moment que vit actuellement la corrida un tel intérêt porté à la suerte de picar?
La question est complexe tant le monde de la corrida est parcouru de mouvements divers et ondoyants, parfois contraires ou obscurs. Il me semble, par exemple, que, ces dernières années, sous l'influence des aficionados, grâce aussi à l'organisation de corridas-concours, on a redécouvert la grandeur du premier tiers lorsqu'il est bien mené. Cet affrontement entre le picador et le toro, laissé seul à une grande distance, a su, par sa beauté propre, séduire et captiver un grand nombre de spectateurs et a suscité une demande pour qu'un tel spectacle se renouvelle plus fréquemment.


Mais considérons dans un premier temps les fondamentaux. A quoi sert le tercio de piques?
Tout d'abord, il constitue une étape essentielle dans le continu processus de transformation du toro depuis sa sortie du toril, pleine de fougue désordonnée, jusqu'à la conclusion de l'estocade. Il s'agit de rendre possible la suite du déroulement de la lidia : tercio de banderilles, puis troisième tiers. Pour cela, il est nécessaire d'ôter de la force au toro, de régler son port de tête et enfin de donner de la fixité à sa charge. Ce dernier objectif est particulièrement important dans la tauromachie moderne car la fixité va considérablement faciliter l'action du matador au cours de la faena. Il n'est pas sans intérêt de constater que c'est à partir de la fin du XIXème siècle, sous l'influence de Guerrita, que la manière de piquer a évolué vers la manière actuelle. Guerrita demande en effet à ses piqueros de sacrifier leurs chevaux afin que le toro puisse exercer une poussée plus longue et plus continue qu'auparavant. Carnage de chevaux et disparition définitive du prestige des picadors en seront les conséquences. Dès lors, le toreo à pied va lui aussi évoluer, Belmonte n'est pas loin et, après lui, la faena de muleta va prendre de plus en plus d'importance.
Mais le tercio de piques a un autre objectif : montrer la bravoure du toro. C'est un renseignement précieux pour le matador qui va pouvoir penser sa stratégie en fonction du comportement du toro face au picador. C'est bien sûr aussi un renseignement essentiel pour le ganadero qui pourra juger de la qualité de ses reproducteurs et faire éventuellement les ajustements nécessaires.
Je vois enfin une troisième fonction au tercio de piques : faire de la bravoure un spectacle. N'oublions pas, en effet, qu'une corrida est une relation entre trois parties : le toro, les toreros, et le public. Ce dernier est venu et a payé pour assister au combat des toros, il a donc le droit d'assister à un spectacle complet et non pas amputé d'une de ses parties. Tout dans le déroulement du premier tiers devrait logiquement être fait pour mettre en valeur ce combat.Le spectacle d'un toro qui charge le picador de loin est un spectacle grandiose qui fait vibrer tous les publics car il crée de l'émotion et de la beauté. En outre, montrer la combativité du toro et par voie de conséquence la valeur de l'homme qui l'affronte est la meilleure manière de mettre en évidence l'éthique de la corrida.
Ainsi tout le monde gagnerait à ce qu'un tel spectacle puisse devenir fréquent dans une plaza de toros.
En résumé, un tercio de pique idéal permettrait de rendre le toro propice à la suite de la lidia, de montrer sa bravoure (ou son absence, avec toutes les nuances qu'il peut y avoir entre ces deux extrêmes), d'apporter au public beauté et émotion (lorsque les qualités du toro le permettent).


Je voudrais maintenant examiner diverses propositions qui ont été avancées ces derniers temps dans le but d'améliorer le tercio de pique pour voir dans quelle mesure elles pourraient être adoptées et transformer les choses de manière positive. Étant entendu que, pour avoir une chance de réussite, une nouveauté doit d'abord être parlée, discutée, diffusée dans les esprits, demandée par le public, acceptée par les professionnels. Tout un processus dans lequel les aficionados peuvent et doivent avoir un rôle moteur.

  • La réduction de la taille de la pique
Il s'agit actuellement du point qui provoque, au moins parmi les aficionados français, le plus de polémique. Nous avons, d'un côté, les partisans du statu quo, qui estiment que la pique actuelle convient parfaitement pour réduire le toro puissant tel qu'il sort encore relativement fréquemment et que toute réduction est en réalité destinée avant tout à ménager le toro faible et sans race. Toute diminution de la taille de la pique est perçue par eux comme un cheval de Troie qui conduirait à la dénaturation du tercio de piques donc de la corrida.
D'un autre côté, les partisans d'une pique réduite, dite andalouse car elle correspond à la pique réglementairement utilisée en Andalousie, ont pour eux l'évidence des lois de la mesure en disant : "à pique réduite, dégâts occasionnés aux toros réduits". Parmi eux certains, plus radicaux, pensent que cette pique pourrait être simplement transitoire car ils préconisent le retour à une pique de type à limoncillo telle qu'utilisée au XIXème siècle. Dans ce type de pique, seule la puya (le fer) entre dans les chairs du toro et les lésions subies sont évidemment bien moindres.
Je dois dire , cher lecteur, que j'ai longtemps hésité avant de prendre parti. Dans un premier temps, j'ai été séduit par la simplicité de l'argumentation en faveur de la pique andalouse, puis par le romantisme que constituerait un retour à la pique minimale des débuts de la tauromachie. En fin de compte, quelques évidences me sont apparues. Le toro puissant encaisse sans problème particulier la pique actuelle. On a vu lors de la temporada passée plusieurs toros sortir pimpants de trois piques appuyées. De ce fait, toute réduction de la taille de la pique pourrait avoir un effet pervers contraire au but recherché, à savoir inciter les maestros à faire d'autant plus charcuter un toro jugé trop puissant qu'il sagirait de pallier à l'insuffisance d'une pique jugée trop peu efficace. Quant aux toros faibles et doux, ils resteront, quoi que l'on fasse, faibles et doux, une pique réduite ne leur donnera ni force, ni caste. J'en suis donc arrivé à la conclusion que ce problème est un faux problème, que la pique actuelle convient parfaitement car tout dépend en réalité de l'usage qui en est fait. Utilisée sans manœuvres frauduleuses (pomper, vriller, piquer à plusieurs endroits) et avec une intensité et une durée proportionnées à la puissance du toro, la pique actuelle me paraît parfaitement apte à châtier tous les toros qui sortent actuellement dans les ruedos de France et d'Espagne.


(à suivre)



Pablo Picasso Petit picador jaune 1889