dimanche 30 mars 2025

Croquis de la fête taurine (poèmes 18)

 
Roman
 
Pêcheur breton ou matador levantin
la vie
vaut
d'être vécue, ta joie en est l'épreuve.
 
 
 
Diego Urdiales
 
Une perle si fine dans un écrin modeste
Perle 
ton toreo
Ecrin toi Diego l'homme de la Rioja.
 
 
 
José María Manzanares (fils)
 
Séduisant recibir, volapié sans merci
ton corps
est un appel
à se perdre dans les méandres de la mort. 







samedi 15 mars 2025

Un texte de Jérôme Forsans

 
J'avais présenté il y a peu les réflexions de Jérôme Forsans sur la tauromachie (ici). Voici en complément à son dernier recueil CogiToro un texte qui établit un lien entre l'actualité et notre expérience d'aficionado :
 

La corrida nous rend-elle meilleurs?

L’aspiration au changement est inhérente à notre nature humaine. Ce processus actif depuis le simple organisme unicellulaire jusqu’à nos sociétés développées a accompagné notre évolution biologique et fait le tissu de notre histoire. Nous voyons actuellement un bouleversement de cette organisation planétaire qui ressemble plus à une destruction de l’ordre établi qu’à la reconfiguration de celui-ci vers des libertés nouvelles.

La mécanique évolutionniste semble s’être enrayée et nous conduire vers une période plus sombre de notre histoire.

Sans jamais se répéter, l'histoire oscille entre des cycles de progrès et de régressions.  Le siècle dernier en témoigne : l'élan émancipateur des années 60, marqué par les indépendances géopolitiques et les révolutions sociétales, contraste clairement avec la montée des intolérances et des forces destructrices des années 30. Là où le progrès rend possible la nouveauté, le nihilisme imite ce progrès par la simple rupture du cadre existant. Il est difficile de faire le bilan du 20ème siècle mais nous pouvons constater à la sortie des deux grands conflits mondiaux  deux avancées portées par la science: une augmentation de l’espérance de vie et un bouleversement fertile des conceptions de notre place dans l’univers. Les arts ont accompagné ces bouleversements et ont renouvelé la capacité de l’humanité à s’imaginer elle-même. Ces progrès, s'ils ont su entraîner les foules ont souvent été initiés par de simples individus dont les noms ornent les frontons de nos académies d'arts et de sciences.

Les périodes d’obscurantismes ont été aussi annoncées par des individus qui souvent sans aucun titre ni qualité ont  entraîné les foules.

Ces individus n’ont pas fait advenir de nouveaux possibles, avec leur lot inquiétant d’inconnu, mais ont réactivé une pensée archaïque en guise de changement. Là où le progrès nous donne un ailleurs dans lequel exister, l’obscurantisme mime un mouvement qui n’est qu’un défilé de vieux totems. Seuls des individus ayant abdiqué leur capacité de jugement au profit d’un collectif qu’ils se  sont paresseusement choisi peuvent accepter de se leurrer ainsi. Les arts et les sciences deviennent des ennemis pour eux car ils se satisfont d’une société où le vrai et le faux n’ont pas plus de valeur que le bien et le mal.

La confusion générale les préserve de penser par eux-mêmes ou de simplement recevoir toute expérience leur rappelant leur responsabilité personnelle. Ces individus simplifiés, selon la formule de Georges Bernanos, n’aspirent qu’à se décharger d'eux-mêmes dans un collectif rassurant, aussi évidemment mortifère soit-il.

Cet abandon qui contredit la composante élémentaire de la vie nous interroge. En admettant que la corrida, forme d'art actuellement la plus menacée survive, pourra-t-on dans cette atmosphère distinguer un taureau qui consent en toute plénitude au don que lui fait le torero de celui qui se rend passivement à la main de ce dernier? 

Un animal qui choisit d'entrer dans un cadre jusqu’alors inconnu avec celui qui se leurre d’exercer encore sa combativité?

Seul un spectateur qui dans sa propre existence n’aura cessé d’exercer sa douloureuse liberté pourra percevoir encore cette vérité.

La corrida comme tous les arts majeurs exigera toujours face à elle cet individu libre.

 

Jérôme Forsans

 

mardi 25 février 2025

Les trois ferias

    Elles ne jouent pas dans la même catégorie que la quasi-totalité des autres ferias de la planète taurine dont l'objectif principal est de permettre aux matadors de couper des oreilles à gogo après avoir instrumenté des faenas d'au moins  cinquante passes. Elles, les trois ferias, ont une ambition bien supérieure : offrir la lidia complète de toros de caste et d'irréprochable présentation. La cause est belle et difficile à atteindre. On ne peut que souhaiter que toros et toreros soient le plus souvent possibles au rendez-vous à San Agustin del Guadalix en avril, à Vic-Fezensac en juin et à Céret en juillet.
   Voici pour cette temporada 2025 leurs cartels : 

 

 
Samedi 26 avril   
12h   novillada
Barcial - Alicia Chico
Miguel Andrades - Jesús de la Calzada 

18h   corrida
Prieto de la Cal - Cuadri
Luis Gerpe -  Juan de Castilla - Cristobal Reyes
 
Dimanche 27 avril   
12h   corrida
Dolores Aguirre
Damián Castaño 
 
 

Samedi 7 juin   
11h   novillada
Prieto de la Cal
Jesús de la Calzada - Pepe Luis Cirugeda - Cristiano Torres
   
18h   corrida
Saltillo 
Sanchez Vara - Gomez del Pilar - Luis Gerpe
 
Dimanche 8 juin   
11h   corrida concours
Miura - Prieto de la Cal - Villamarta
Veiga Teixeira - Pallares - Pagès Mailhan
Esaú Fernandez - José Garrido - Roman
 
18h   corrida
Dolores Aguirre
Fernando Robleño - Damian Castaño - Juan de Castilla
 
Lundi 9 juin   
11h   novillada sans picadors
 
17h   corrida
Arauz de Robles - Flor de Jara
   Morenito de Aranda
 
 
 
Samedi 12 juillet   
18h   corrida 
Saltillo
Rafael de Julia - Damian Castaño - Cristobal Reyes
 
Dimanche 12 juillet   
11h   novillada
Hermanos Quintas
Jesús de la Calzada - Pepe Luis Cirugeda - Mario Vilau
 
18h   corrida
Sobral
Curro Diaz - Fernando Robleño - Juan de Castilla
 
 
   Honneur aux braves qui participeront aux trois ferias : le novillero Jesus de la Calzada et les matadors Juan de Castilla et Damian Castaño. Avec pour ce dernier l'épreuve majeure d'affronter seul le 27 avril à San Agustin del Guadalix six pensionnaires de Dolores Aguirre. Ce sera un des cartels cumbres de la temporada. À Vic c'est Morenito de Aranda, grand triomphateur de la temporada 2024 dans le Sud Ouest, qui affrontera seul six toros le lundi de Pentecôte. Suerte Maestros !
   Côté toros, on retrouvera avec plaisir les classiques du genre (Dolores Aguirre, Saltillo) mais on pourra aussi découvrir des fers peu connus. La ganaderia Alicia Chico d'origine Arranz est la dernière à pratiquer la transhumance de son bétail (de la province de Teruel à celle de Jaen); il semble que, malgré le décès d'Alicia il y a quelques années, la tradition se perpétue. Arauz de Robles a la particularité de posséder une multiplicité d'origines, ce qui apparait dans les robes très variées de ses  toros; ils n'avaient pas foulé le sable d'une arène française depuis trente ans. Enfin les novillos des Hermanos Quintas, présents à la novillada cérétane, sont annoncés d'origine Vicente Martinez, prestigieux élevage madrilène du début du XXe siècle. On pourra en revanche regretter la surreprésentation des pensionnaires de Prieto de la Cal dont la caste est trop souvent en berne depuis longtemps déjà.
 
   Je voudrais pour terminer mentionner la cité béarnaise d'Orthez qui, le dimanche 27 juillet, organise une journée taurine particulièrement attractive avec une novillada de Yonnet le matin et une corrida de Veiga Teixeira et Dolores Aguirre l'après-midi.
 
   (On peut cliquer sur les mots en bleu pour de plus amples renseignements) 
   
   
 
 
 
 

samedi 15 février 2025

Exposition Goya à Bordeaux

 

 
   On peut voir en ce moment et ce jusqu'au 13 avril quatre lithographies taurines de Goya au MusBA (Musée des Beaux-Arts de Bordeaux). On sait que le célèbre peintre espagnol passa en exil à Bordeaux les dernières années de sa vie (1824 - 1828). Il y retrouva nombre de ses concitoyens afrancesados, c'est à dire aux idées politiques libérales, et pour cette raison en butte à l'absolutisme de Fernando VII.
   Ces fameux ''Taureaux de Bordeaux''  montrent à quel point sa créativité et son aficion a los toros sont restées intactes malgré les épreuves. Son ami, exilé comme lui, Leandro Fernandez de Moratin témoigne : "Goya dit qu'il a toréé dans sa jeunesse, et que l'épée à la main, il ne craint personne. Dans deux mois il fêtera ses quatre-vingts ans."
   On regrettera l'absence d'une lithographie de la série bordelaise (la 4, la plaza partida) mais on se consolera en admirant l'épreuve unique de "Combat de taureaux", unique car écartée au moment du tirage. En tout état de cause, cette modeste exposition se veut un simple amuse-bouche par rapport à celle en préparation pour 2028 qui célèbrera le bicentenaire de la mort du génial Aragonais.
 
 
 
 
 

 
 illustrations : - Goya   Taureaux de Bordeaux  n°3   1825
                       - statue de Goya   Bordeaux   place du Chapelet  (réplique de l'œuvre de Mariano Benlliure)

mercredi 5 février 2025

Les cogitations taurines de Jérôme Forsans

 

   Jérôme Forsans a plusieurs cordes à son arc : chimiste, artiste plasticien, voyageur, philosophe, écrivain et, bien sûr, aficionado a los toros. Dans des articles toujours passionnants parus dans des revues taurines (Toros et Mexico Aztecas y Toros) ainsi que dans les deux livres qu'il a publiés (Alchimie taurine en 2003 et Cogitoro en 2024), le natif d'Orthez s'attache à montrer en quoi la corrida conserve toute sa valeur et sa raison d'être dans le monde d'aujourd'hui.
   Il est vrai que les mutations de notre société ont connu une rapidité extrême, inconnue aux époques antérieures, à tel point que, comme le dit avec à propos Annie Ernaux, nous sommes passés - et particulèrement les gens de ma génération, les boomers -, d'une enfance dans un roman de Giono à une vie actuelle dans un film de science-fiction. Dans Cogitoro, récemment paru, Jérôme Forsans met en évidence la pertinence que garde justement la tauromachie dans les enjeux de notre époque.
   Ainsi, par la place accordée au toro, la corrida est un art qui permet de relier nature et  culture. "Nous venons au monde nus et à l'état d'ébauche comme le taureau entre dans l'arène nu et dans l'attente de la main qui le rendra à lui-même. Nos deux formes de vie convergent ici dans ce chemin à parcourir vers notre accomplissement."
   Il voit dans l'art taurin un rempart contre le divertissement inoffensif que veulent nous imposer, en guise de culture, les gurus de la Silicon Valley.
   Et, en lieu et place d'une écologie intolérante et coupée du peuple qui voudrait régir le monde en l'uniformisant selon ses propres notions du bien et du mal il aspire à une écologie plus ouverte sur la diversité des cultures et dans laquelle la tauromachie a toute sa place.
   Voilà quelques uns des thèmes abordés par l'auteur qui n'hésite pas à s'appuyer sur de nombreuses références philosophiques dont l'austérité se voit compensée par plusieurs illustrations de sa création.

Jérôme Forsans,   Cogitoro,  60 p,  2024    contact
 
 
 
 
 

 Il y a vingt ans Jérôme Forsans avait publié le très recommandable Alchimie taurine.

mardi 28 janvier 2025

Croquis de la fête taurine (poèmes 17)

 
Roca Rey
 
Roca Rey
Tout l'or du Pérou
de retour en Espagne. 



Clemente

Dans les arènes capsylvaines aux senteurs de pin
Un blond 
bordelais
a des allures de Vazquez : mystère des transmissions.



Alberto Aguilar

Vive les vaillants toreros
que 
l'espoir
porte au-delà des étoiles !






mercredi 1 janvier 2025

Bonne année 2025 Feliz año nuevo

 

 
 Il existe une fable d'Ésope, Le lion et le taureau. La voici :
 
Un lion, qui tramait la mort d’un taureau énorme, projeta de s’en rendre maître par la ruse. Il lui dit qu’il avait sacrifié un mouton et l’invita au festin ; son intention était de le tuer, quand il serait couché à table. Le taureau vint ; mais apercevant force bassins, de grandes broches, mais de mouton nulle part, il s’en alla sans mot dire. Le lion lui en fit des reproches et lui demanda pourquoi, n’ayant souffert aucun mal, il s’en allait sans raison. Il répondit : « Ce n’est pas sans raison que j’en use ainsi ; car je vois des ustensiles comme on en prépare non pour un mouton, mais pour un taureau. »

Cette fable montre que les gens sensés ne se laissent pas prendre aux artifices des méchants. 

Pour nous, aficionados, cette fable montre que le taureau se sauve à condition de bien se différencier du mouton.


Photo : Le taureau et le lion, rois des animaux, peinture murale à Toro (Zamora)

 

mercredi 25 décembre 2024

Quelques photos de la temporada 2024

 
   Trois novilleros qui suscitent des espoirs : Jarocho et Marco Perez (à Toro), Aaron Palacio (à Garlin)
 

 




Diego Urdiales, désormais telonero de luxe, a connu une temporada des plus discrètes ; mais il reste un maître du classicisme. La photo de cette demi-véronique ne trompe pas. Almazan, 31 août.



Toro de Margé à La Brède. Dans beaucoup d'arènes françaises dites de première catégorie on a hélas vu des animaux très inférieurs en trapío à celui-ci, surtout lorsque les figures sont au cartel.
 

 



jeudi 19 décembre 2024

Sur Enrique Ponce

 
Jean Pierre Darracq "El Tio Pepe",  revue Toros n° 1338 (octobre 1988) :
 
   "Ça durera ce que ça durera. Mais les Anciens de ma génération se souviennent de l'oncle de ce gamin, ce petit valencien Rafael Ponce "Rafaelillo" qui fit des débuts époustouflants de novillero et tint ensuite la dragée haute aux grandes figures de l'avant-guerre. Or bien, cet après-midi la plaza de Madrid entièrement garnie de spectateurs, a savouré la joie incomparable de découvrir un torero, un vrai torero, en la personne de ce minuscule Enrique que l'on prendrait volontiers pour un élève de Seconde qui n'a pas beaucoup grandi. Ce gamin au cœur de lion cite le toro de face plutôt que de trois-quarts, charge la suerte dans toutes les passes, à droite ou à gauche, aguante au maximum et dégage ensuite le bras pour conduire la passe jusqu'à son remate normal. Et ceci face à deux grands novillos mansos l'un de Lupi, l'autre de La Fresneda, gratteurs de sable, lents à s'élancer, hésitants dans leurs embestidas. Je crois que s'il avait eu la chance de tomber sur le premier novillo de la corrida, qui, du début à la fin, répondit de loin et sans hésiter à tous les cites le gosse nous aurait rendus fous. Quand on le vit brinder au public ce sixième (en réalité le troisième sixième !) dont, apparemment, il n'y avait rien à attendre de bon, et ce fut le cas, personne ne croyait qu'on allait assister à un cours de tauromachie professé par un gamin qui, paraît-il, n'a pas encore dix-sept ans. Or tout le répertoire y est passé, avec une aisance confondante, liant les séries, soignant les remates, enjolivant les adornos comme s'il toréait du bout des doigts, avec délicatesse, mais comme un homme, un macho."



Domingo Delgado de la Camara , Le toreo revu et corrigé , 2002 :

   "Son courage est immense. Il ne le manifeste jamais par de grands gestes, et il réussit à briller face aux toros les plus difficiles. Alors que tous voient le danger de l'animal, Enrique, sans ignorer ce danger, voit avec optimisme quelque vertu cachée du toro que personne n'a vue. Alors, il s'emploie à fond. Sobrement et méthodiquement, il commence à lutter avec les toros les plus épouvantables. Il termine en s'en rendant maître, et ces bêtes sauvages ressemblent à des moutons qui demandent pardon. La faena qu'il réalisa face à un gros toro de Sepúlveda lors de la San Isidro en 1994 fit parler d'elle. Mais celle qu'il réalisa face à ''Lironcito'' de Valdefresno, lors de la San Isidro en 1996, fut encore meilleure. C'est la meilleure démonstration de domination que j'ai vue. La bête était un manso déjà toréé et ouvertement dangereux. Quand on sonna la mise à mort, il était au maximum. Il était devenu le maître. Ponce alla vers lui avec sa détermination naturelle. Les premières charges donnèrent le frisson. Le toro chargeait avec une grande violence, se dirigeant de manière évidente sur le torero. Il donnait les coups les plus sinistres. Ponce, au lieu de l'éviter en fuyant le combat, avançait sa poitrine à chaque passe, se croisant chaque fois plus - c'est exactement ce qu'il fallait faire, même si cela fait très peur. À chaque arrêt correspondait un coup précis de muleta. Le toro passait, chaque fois plus amplement et avec moins de violence. Il termina en le toréant sur les deux cornes avec son esthétique parfaite."



Jesus Hernandez, ganadero de Los Bayones , revue Terres Taurines n°69 ,  juin 2017 :

   ''À l'époque où Ponce tuait beaucoup d'Atanasios, beaucoup de toros sortaient sans offrir beaucoup de possibilités en apparence. Mais il leur laissait du temps sans rien exiger d'eux, puis les obligeait davantage et à la fin, ils embistaient du feu de Dieu. Ces toros ont besoin qu'on leur apprenne à embister. Ponce permit à l'encaste de vivre une époque dorée. Il tuait ta corrida et c'était une garantie. Il les rendait tous bons.''


Thierry Vignal , revue Toros n°2228 , novembre 2024 :

   "Ponce aura été un torero relativement ''court'' en ce sens qu'il aura été avant tout un muletero. Il lui est arrivé de très bien toréer à la cape, mais sa conception essentiellement cérébrale du rapport avec le toro l'aura conduit à voir dans le capote avant tout un instrument permettant d'évaluer les qualités et défauts du toro, une vision, donc, plus utilitaire qu'esthétique."
 
 



jeudi 12 décembre 2024

Enrique Ponce


 
   Le pouvoir d'Enrique Ponce ! Maître incontesté des années 90, trente-cinq temporadas passées sur les sommets de la toreria ! Combien de toros, dans cette longue carrière, l'auront mis en échec ? Très peu assurément. Sa capacité à tirer parti de tous, en particulier des toros mansos, rétifs, fuyards, a été une constante tout au long de sa carrière. Par quelle alchimie a-t-il eu le pouvoir de transformer de manière si régulière et parfois si radicale le comportement de ses adversaires, d'insuffler un zeste de bravoure à ceux qui en paraissaient dépourvus ? 
   Cette transmutation ne relève pas de la magie noire. En premier lieu, la confiance en soi qui émane du torero lorsqu'il commence à entrer en relation avec le toro se transmet progressivement à celui-ci. Avoir confiance en soi donne confiance aux autres, cette règle élémentaire des relations humaines s'applique aussi, les aficionados l'ont constaté depuis longtemps, à la relation du torero avec le toro, de l'homme avec l'animal. Mais cette confiance possède des fondements. Le principal d'entre eux est le courage. C'est lui qui va permettre de fouler les terrains que l'on a choisi, de s'y maintenir le temps nécessaire et de garder tout au long de la passe une lucidité parfaite qui va assurer un maniement de l'étoffe au rythme juste de la charge du toro. Cette lucidité permanente n'est possible que par l'assurance intime de sa capacité à toujours diriger les trajectoires de l'animal. Elle est à l'origine du temple, qui n'est donc pas état de grâce mais pouvoir du courage. 
   Et, pour peu que l'on ait une tête bien faite, la somme de ces expériences se transformera dès le plus jeune âge en science du combat. Le natif de Chiva partage ce privilège avec Paco Camino.
   Enfin si, porté par l'ambition, on donne chaque jour le meilleur de soi-même, on devient Enrique Ponce, figure du toreo.  
   Loin du mythe du torero né, le Valencien doit tout à sa volonté de puissance et fort peu à de supposées capacités innées. Sauf sans doute une conformation physique : élégance du corps, souplesse des articulations, qui lui a permis de toujours séduire publics et toros. Enrique Ponce, en revanche, n'a jamais été un torero de duende. Son toreo cérébral, basé comme celui de Luis Miguel Dominguin sur la constance dans le succès et la domination de tous les toros, était à l'opposé de ce ''miracle qui arrive à produire un enthousiasme presque religieux'' (Lorca).
   Une autre de ses grandes vertus a été de comprendre que, pour atténuer cette froideur que donne immanquablement toute supériorité technique, il devait affronter régulièrement des toros de fort trapío et posant problème. C'est pourquoi il combattit sans la moindre réticence les toros destartalados de Samuel Flores ou les imposants mansos de l'encaste Atanasio-Lisardo. Et c'est devant ces encastes-là qu'il obtint ses plus marquants triomphes. S'il profita bien sûr des facilités en matière de toro qu'offre la position de figure il ne fut pas, contrairement à certains de ses compañeros de succès, de ceux qui cherchent à imposer systématiquement aux empresas et au public le toro amoindri et docile.

   Pour toutes ces années d'élégante et de probe maestria, merci Monsieur Enrique Ponce.
 
 

 
 
photos : 1- Madrid  2 juin 2006  (Paloma Aguilar)
              2- Nîmes  18 septembre 2020 (Velonero) On se rappellera qu'Enrique Ponce fut la seule figure à dar la cara lors de l'épisode du Covid.
  

jeudi 28 novembre 2024

Croquis de la fête taurine (poèmes 16)

 
Alfonso Romero
 
Toute la misère du monde t'accable
en ce jour 
d'échec
Homme du commun, mon frère.
 
 
 
El Soro
 
Par ta lourdeur joyeuse
le public
conquis 
entrevoit une nouvelle vie.
 
 
 
Tomas Campuzano
 
Ferme et solide face à la houle
Ton corps
massif
fait front aux plus forts toros d'Espagne. 
 
 
 
 


 
 

samedi 23 novembre 2024

Bilan 2024

 
Ma corrida rêvée
 
 
                             6  toros de Victorino MARTIN  6
          Daniel LUQUE  -  Borja JIMENEZ  -  Juan ORTEGA



   Ma temporada 2024 nécessite vraiment le secours du rêve car elle a été particulièrement désafortunée. Tout avait pourtant commencé pour le mieux avec deux très bonnes corridas madrilènes, celle de Fuente Ymbro avec une grande journée de Roman puis celle de Baltasar Iban le lendemain, suivies d'une feria vicoise d'excellent niveau. Mais le temps exécrable qui régna à Vic était sans doute un signe précurseur; la suite, à l'exception de la très encastée corrida de Victorino Martin à Mont-de-Marsan, connaitrait une succession d'après-midi ordinaires, de contretemps et de désastres. Un sort contraire a voulu que je voie El Fandi gâcher quatre bons toros dans une temporada où je n'ai pas réussi à croiser le chemin de Borja Jimenez, ni celui de Juan Ortega ou de Pablo Aguado et où je n'ai vu Daniel Luque ou Morante que dans des journées médiocres en raison d'un bétail catastrophique. C'est le rêve qui se transforme en cauchemar ! Cauchemar aussi les deux corridas toreristes de la feria de Mont-de-Marsan et, pour enterrer la temporada, le lot scandaleux de Miura à Saragosse.
   Heureusement, tout le monde n'a pas été logé à la même enseigne : ceux qui, avec clairvoyance, se sont bornés à voir les corridas de Victorino Martin, de Fuente Ymbro, de Dolores Aguirre, ne se plaindront pas de leurs après-midi. Les toros de Santiago Domecq et de Victoriano del Rio ont également permis, le plus souvent, des tardes animées. Heureux enfin ceux qui ont fait le choix d'aller voir les Margé à Dax, leur caste a marqué les esprits des aficionados présents. 
   Nombreux sont aujourd'hui les toreros qui peuvent faire rêver et ce ne sont pas nécessairement des figures aux exigences démesurées. Outre Daniel Luque, grand maestro depuis plusieurs temporadas déjà, il y a Juan Ortega, artiste capable d'atteindre au sublime, sans oublier son compatriote sévillan Pablo Aguado; de son côté Borja Jimenez, triomphateur de Madrid et de Bilbao, a pleinement confirmé sa bonne temporada précédente. Il y a aussi Morenito de Aranda, inattendu triomphateur dans le Sud Ouest, on espère en secret le voir réaliser une temporada encore plus complète en 2025. Et Damian Castaño, que les insuffisances à l'épée empêchent d'occuper un meilleur poste mais qui a d'ores et déjà fait naître le rêve en s'annonçant comme unico espada face aux Dolores Aguirre de la feria de San Agustin del Guadalix en avril prochain. Et Roman, Clemente, Tomas Rufo ...
   
   Je voudrais ajouter quelques mots sur les retransmissions télévisées des corridas, sujet dont on a beaucoup parlé cette année. 
   J'ai bien sûr été très heureux de la possibilité offerte par One Toro de s'abonner sans difficulté depuis la France et j'ai souscrit aussitôt sans barguigner. Mais je dois dire que le recours au visionnement des corridas télévisées, trop inscrit dans la routine de la vie quotidienne et déconnecté de toute sociabilité, a du mal à me faire rêver. Il est un pis-aller. J'entends dire que la télévision est nécessaire à l'avenir de la corrida, j'avoue ne pas avoir d'opinion bien établie sur ce sujet. Il est certain que notre époque permet et exige d'avoir des images ''animées'' en permanence, il semble donc difficile pour la tauromachie comme pour d'autres activités culturelles d'exister sans cette profusion. Mais la corrida n'est pas un spectacle ordinaire. À trop se montrer, elle risque de se banaliser, de perdre sa singularité et sa grandeur. Il faut aussi savoir se faire désirer.
   Et que dire du niveau des commentaires qui font trop souvent passer les vessies pour des lanternes (excluons de leur médiocrité assumée, ceux de Domingo Delgado de la Camara qui, malgré son côté sentencieux, relève le niveau et tient des propos susceptibles d'éduquer les téléspectateurs). Il parait que l'on peut, dans certaines retransmissions sportives, avoir l'image accompagnée du son en direct du stade mais avec la voix des commentateurs en option. Quelle bénédiction si le procédé pouvait se généraliser !
   Des nombreuses courses que j'ai vues sur le petit écran, il me semble que j'ai gardé  un souvenir plus vif, plus chargé d'émotion de celles que l'on pourrait qualifier de toristes, lorsqu'elles étaient réussies. Je pense à la tarde des Dolores Aguirre de Bilbao avec notamment l'affrontement entre Damian Castaño et Argelon. Ou à la novillada de Cuadri à Villaseca de la Sagra, remarquable de bravoure et de mobilité. En revanche les quelques courses faciles et brillantes m'ont laissé peu de souvenirs, sans compter les courses désastreuses, majoritaires hélas.
 
Qui nous fera rêver en 2025 ? 


Assurément il y aura les pupilles de Baltasar Iban, prévus à Mugron le lundi de Pâques, ici à Madrid pour la dernière San Isidro.

 
 
 
   

mardi 29 octobre 2024

Croquis de la fête taurine (poèmes 15)

 
Peletero 
 
Dans les arènes de Condrette à Mugron
ta bravoure
éclata
en gerbes noires de fureur volcanique.
 
 
 
Matemáticas
 
Victorino tueur  grand mathématicien 
À la tangente de l'homme
deux fois tu frappas
Mais par Morante
fus dominé.



Desgarbado

Et  il  tourne,  tourne,  tourne
le petit
Desgarbado
ensorcelé au Luna Park de nos désirs.









mardi 15 octobre 2024

Zaragoza

 
 

 

 
 
 
Samedi 12 octobre 2024                               Zaragoza
température agréable                            Coso de la Misericordia
trois quarts d'arène
 
Trois toros de Miura (1, 4, 6), un de Concha y Sierra (2), un de Peñajara (3 bis) et un de Salvador Gavira (5 bis) pour Manuel Escribano (salut, salut), Esaú Fernandez (salut et salut avec division d'opinions chaque fois) et Jesus Enrique Colombo (silence, salut avec division d'opinions). Corrida goyesque.
 
Le Coso de la Misericordia est une des plus anciennes plazas de toros espagnoles (inauguration en 1764) et la première à avoir couvert son enceinte, par un système original qui allie l'esthétique et le confort auditif.
Ce jour, le dernière corrida à pied de la feria du Pilar, annoncée de Miura, fut un véritable désastre. Sur les cinq pensionnaires de Zahariche prévus on en retira deux pour invalidité et le sixième aurait dû l'être également. Quelle tristesse que ce dernier miura, attendu comme le messie en raison de ses 699 kg annoncés, et qui sortit de la première pique invalide et les cornes en pinceau ! Défensif fut le 1, brave et noble mais soso le 4. Bien sûr les deux sobreros ne valaient pas tripette, seul le 2, un remiendo de Concha y Sierra fit preuve d'une mobilité digne d'un toro de lidia.
Manuel Escribano fut l'unique maestro à tuer deux miuras. Il le fit avec l'oficio qu'on lui connaît et sut donner au noble quatrième quelques naturelles et droitières de qualité. Il fut le seul diestro du jour à être applaudi unanimement.
Esaú Fernandez ne tua, lui, aucun miura mais il dut lutter contre la partie intolérante du public qui lui reprocha avec une virulence malsaine son positionnement fuera de cacho. C'est toujours plus facile de s'en prendre aux modestes.
De Colombo, on retiendra les coups d'épée canon, incontestablement le point fort du Vénézuélien. On lui aurait su gré d'abréger notre déprime face au dernier.
Manuel Escribano et Jesus Enrique Colombo posèrent les banderilles avec des fortunes diverses. Les trois toreros allèrent a porta gayola à de nombreuses reprises, ce qui contibue à rendre banale une suerte qui devrait être extraordinaire.
Une tarde, la dernière de la temporada, qui laisse un mal sabor de boca.