mercredi 30 avril 2025

San Agustin : la feria del Aficionado (suite)

 

   Le succès taurin et public de la feria de l'Aficionado ne peut que réjouir en ces temps où certains voudraient imposer le toro mollasson et la moisson infinie d'oreilles sans signification comme norme de la tauromachie contemporaine.
   Je crois que personne ne s'est ennuyé une seule seconde sur le ciment de San Agustin. On n'y a pourtant coupé qu'une seule oreille mais on y a vu des toros excellemment présentés et dotés d'esprit combatif. De leur côté, les hommes habillés d'or ou de plata ont dans l'ensemble essayé de donner le meilleur d'eux-mêmes, avec bien sûr les limites propres à chacun.
 
   Lors de la novillada matinale de samedi, les Barcial ont fait preuve d'une bravoure intéressante mais avec le défaut d'être lourdauds, comme empêtrés par ce corps si épais.
   Les attendus pensionnaires d'Alicia Chico, les toros de la transhumance, ont déçu. Invalide le 3 et mobile mais sans réelle bravoure le 4.
   Bonne faena de Jesus de la Calzada (vuelta) face au premier Barcial, bien toréé à droite la seule corne possible. Il paya sa seule erreur d'une voltereta impressionnante.
   Miguel Andrades, bon au capote et aux banderilles, fut plus discret muleta et épée en main.
 
   La corrida de dimanche  constituait un véritable évènement. D'abord parce que c'était la première fois qu'un matador se risquait à affonter seul six toros de Dolores Aguirre, ganaderia considérée à juste titre comme dure. Ensuite par les qualités de Damian Castaño qui a déjà lidié avec succès les toros de doña Isabel.
   Deux ovations pleines d'émotion ont marqué le début et la fin de la funcion. Celle du paseo, public debout saluant la geste du torero, et celle de despedida rendant hommage à un homme épuisé que les échecs répétés à la mort privaient de tout final triomphal.
   On savait que l'épée était le talon d'Achille du Salmantin et cela s'est confirmé ce jour. Malgré toutes ses qualités, Damian Castaño reste un torero incomplet en raison de sa faiblesse à l'heure de vérité. Echec technique car, malgré son expérience (plus de dix ans d'alternative), il est évident que le matador maitrise encore mal le volapié. Échec moral également car, malgré l'importance de l'évènement et l'assurance dont il avait par ailleurs fait preuve dans la lidia, il ne s'est à aucun moment réellement engagé derrière l'épée, multipliant les pinchazos sans âme. 
   Carafea qui ouvre la course possède une charge longue et vibrante, c'est le toro le plus complet de l'envoi. La faena est excellente, engagée, dominatrice, le public vibre, mais les premiers pinchazos de la matinée réduiront le succès à un grosse ovation au tercio. Le suivant, Salado, un magnifique negro typique de la casa, fait preuve d'une bravoure sans faille face au premier tiers mais sa faiblesse le conduit à se réserver et il termine aplomado. Les quatre suivants sont des toros durs, durs face au piquero, durs pour le second tercio et durs à la muleta face à laquelle il possèdent dix ou quinze passes avant de s'orienter. Damian se montre chaque fois sûr de lui, efficace, dominateur  ... jusqu'à l'heure de vérité.
 
   Dans une feria dont le succès dépend aussi beaucoup de la qualité de ceux que l'on appelle les subalternes, il faut nommer ceux qui se sont distingués durant ces deux journées.
   Chez les picadors : Jean Loup Aillet, Javier Martin, Javier Ortiz, Antonio Peralta, Gabin Rehabi, Luc Tosello.
   Chez les banderilleros : Joao Pedro, Manuel Gomez, Francisco Javier Tornay, Ivan Garcia, Victor Perez, Juan Carlos Reyes, Mathieu Guillon, Juan Sierra.
 
 
   On ne saurait terminer sans féliciter l'ensemble des bénévoles du club taurin 3 puyazos, non seulement pour la conception de leur feria mais aussi pour sa parfaite organisation. Un grand exemple et longue vie.
 
 

 
 
 
 
 
 
   

mardi 29 avril 2025

San Agustin del Guadalix

 

 

 


Samedi 26 avril 2025                           San Agustin del Guadalix (Madrid)
beau temps, vent gênant                    Plaza de toros Antonio Ronda Ortiz 

Trois toros de Prieto de la Cal (1, 3, 5) décimononiques, et trois toros de Cuadri (2, 4, 6) très bons,  vuelta au 6 Bronceado, pour Luis Gerpe (silence, silence), Juan de Castilla (une oreille, silence) et Cristobal Reyes (silence, division d'opinions).
 
Première corrida de la feria des aficionados 2025 organisée dans les modestes mais suffisantes arènes de San Agustin del Guadalix pour la quatrième année consécutive par le club taurin 3 puyazos donnée devant des arènes pleines et en présence de nombreux Français.
Difficile d'imaginer plus grandes différences entre deux élevages que celles mises en évidence par ce défi ganadero entre les veraguas de Prieto de la Cal et les vistahermosas de Cuadri. Les uns, couleur savon, sont rustiques dans leur apparence comme dans leur comportement, les autres, entièrement noirs, font preuve d'une bravoure et d'une noblesse qui semblent l'aboutissement réussi d'une longue et patiente sélection. L'alternance entre ces deux types de toros aurait pu choquer, elle ajouta au contraire de l'intérêt à la tarde.
Les Prieto de la Cal vont facilement à la pique de loin mais ils s'y emploient peu. Cela facilita, dès le premier toro, le succès de Gabin Rehabi dont le sens du spectacle porta sur les gradins. Entame idéale pour une feria dont l'un des objectifs est de revaloriser la suerte de pique. On ovationna également Javier Ortiz face au brave cuadri qui clôtura la tarde. On notera que tous les toros allèrent trois ou quatre fois chacun à la pique avec alegria et sans monter de faiblesse.
Les trois tendres diestros du jour se trouvèrent en grande difficulté face à leur Prieto mais on ne leur en tiendra pas rigueur  car ils eurent à faire à trois toracos impressionnants dont le dénominateur commun était d'être intoréables de manière moderne. De brèves faenas de castigo s'imposaient, ils ne surent les leur donner. 
S'il est difficile d'affronter l'extrême rugosité des Prieto il est une autre difficulté qui se pose à un torero : celle d'être à la hauteur d'un toro qui offre de réelles possibilités comme les offraient les trois cuadris du jour. Seul Juan de Castilla se montra à la hauteur du sien. Il coupa une oreille pour une faena très croisée et une estocade efficace. Luis Gerpe se montra sans recours face au sien et Cristobal Reyes passa totalement à côté de l'excellent Bronceado.

dimanche 13 avril 2025

Mont-de-Marsan les cartels de la Madeleine 2025

 


Mardi 15 juillet    
21h30   concours landais
 
Mercredi 16 juillet   
18h   corrida   
Fuente Ymbro   
Morenito de Aranda - Daniel Luque  - Borja Jimenez
 
Jeudi 17 juillet
11h   novillada sans picador
 
18h   corrida
Santiago Domecq
Miguel Angel Perera - Emilio de Justo - Tristan Barroso
 
Vendredi 18 juillet
18h   corrida
Escolar Gil
Fernando Robleño - Damian Castaño - Juan de Castilla
 
Samedi 19 juillet
11h   novillada
Cuillé
Aaron Palacio - El Mene - Martin Morilla
 
18h   corrida
El Parralejo
Juan Ortega - Roca Rey - Clemente
 
Dimanche 20 juillet
18h   corrida
Victorino Martin
El Cid - Morenito de Aranda - Jimenez Fortes 
 
 
   On sait qu'en année préélectorale, il est bon pour un maire de réussir sa feria. Surtout lorsque l'attend devant les urnes un mano a mano des plus sérieux. Les cartels en tout cas sont quasiment irréprochables, avec leur tradition d'équilibre qui témoigne de la bonne santé de l'aficion locale. Beaucoup de villes espagnoles bien plus importantes sont loin d'offrir aux aficionados la même qualité et diversité dans leurs affiches. A la suite du fiasco de la feria 2024 je me posais la question de mon réabonnement, les cartels y ont répondu positivement. Bien sûr on pourra toujours regretter l'absence de Morante (mais il y aura Juan Ortega) ou celle des La Quinta, trouver la terna du mercredi un peu terne. Mais on apprécie le retour des Fuente Ymbro et des Escolar Gil et l'on souhaitera le meilleur au très bon torero que peut être Jimenez Fortes dont la présence témoigne du bon goût des organisateurs. Organisateurs qui ont fait une partie du chemin : nous faire rêver, mais à qui le plus dur reste à accomplir : assurer une présentation irréprochable des toros, ce qui avait été loin d'être le cas l'an passé.

mardi 8 avril 2025

Novillada de Saintperdon au Plumaçon : Cid de Maria s'impose

    Les  torrestrellas portugais de la condessa de Sobral étaient dans l'ensemble bien roulés mais leur faiblesse endémique limita souvent le tercio de piques. Les meilleurs : le 3 très encasté, le 5 d'une belle charge sur les deux cornes.

 


Cid de Maria, très puesto, ne se laissant jamais toucher la muleta, liant les passes avec dominio, coupa trois oreilles après deux estoconazos foudroyants. 
Souhaitons que le succès de ce jeune Cid présage celui du vétéran  sévillan annoncé le matin pour affronter les Victorino Martin de la clôture de la Madeleine.

 

 


 
L'alliance d'une vaillance téméraire et d'une insigne maladresse fit passer au péruvien Pedro Luis un après-midi difficile. Morenito de Aranda, son mentor, a du pain sur la planche. 


 
 
Quant à Sergio Sanchez, il se montra ennuyeux à ses deux novillos et sans efficacité à l'heure de la mort.
 
 
 
 
photos : Laurent Bernède
 

lundi 7 avril 2025

La corrida de Saint-Martin-de-Crau

 La corrida de Saint-Martin-de-Crau (Thierry Wagniart)

Magnifique entrée hier dans les arènes de Saint Martin de Crau.  Il faut dire que le temps se prêtait à repartir aux arènes pour attaquer une nouvelle saison taurine. Le temps et les fameux Albaserrada d’Escolar Gil prévus à l’affiche. Ils ne se bousculent pas au portillon les « valientes » pour se mesurer à ce type de Toro. Les écoles taurines ne vous préparent pas affronter ce bétail… déjà il faut s’y mettre devant, posséder un mental à toute épreuve…mais pas que ! Être prêt à affronter et à supporter ce regard vif qui scrute faits et gestes. L’Escolar apprend vite ce qui rend son combat très difficile. Avec eux, pas de faena moderne, la « ligazón » se fait rare… mais on peut triompher avec ces Toros, pas souvent, mais on peut.

Alberto Lamelas, le « taxi driver » madrilène est sorti sur les épaules de ses fans après avoir été un chef de lidia remarquable, indispensable pour ce type de course. Je l’ai trouvé plus posé, plus technique que d’habitude, tout en maîtrisant les idées malsaines de ses deux « cárdenos ». L’envie est toujours présente et l’expérience des courses dures lui permet de se sortir de sacrés guêpiers. Coup de chapeau à lui.

On pourra reprocher beaucoup de choses au torero français Maxime Solera, son inexpérience, ses approximations, mais franchement, la série de naturelles profondes, pures qu’il nous a offerte aujourd’hui mérite tout le respect du monde et l’oreille qu’il a coupée. Preuve que le garçon sait toréer. Ce torero mérite plus d’opportunités dans l’avenir…dans ce créneau de corrida dure où il peut se faire une place.

À la lecture du cartel élaboré par ces passionnés du Toro de Saint Martin, la présence sur l’affiche du torero de Jerez, Cristobal Reyes, m’avait surpris, interpellé. Mais c’était surtout le mot « inquiétude » qui prédominait dans mon esprit… et à juste titre.

Hier le torero est passé à côté  d’une catastrophe évidente. On aurait pu vivre un drame. Et là j’en veux un peu à son entourage et à l’organisation qui l’ont embarqué dans une galère qu’il n’avait nullement les moyens d’affronter. 

Bon finalement, tout le monde rentre au bercail indemne, Escolar Gil maintient son rang ( en attendant les sorties de ses « cárdenos » à Madrid, Pamplona et Mont de Marsan ainsi qu’une novillada très attendue à Roquefort), ses Toros ne laissent pas indifférent.

Petite anecdote du jour : pour la première fois de ma vie, j’ai vu et entendu un président d’une corrida, prendre son micro à la fin de la lidia du premier toro et nous expliquer que si l’on voulait des oreilles il fallait se manifester ! Voilà ! Sur le coup je me suis pincé pour m’assurer que j’étais bien à St Martin de Crau … j’y étais bien, et d’ailleurs on y reviendra avec plaisir.

wT 

 



 

jeudi 3 avril 2025

Tardes de soledad : un coup de poing à l'estomac

 

 
   J'étais, avant le lever de rideau, tendu comme on peut l'être avant le paseo d'une corrida particulièrement attendue. On a dit tant de choses contradictoires sur le film. Et puis ce succès critique incroyable pour un film taurin, la une des Cahiers du Cinéma accompagnée d'un dossier remarquablement conçu (sans la moindre incongruité ce qui est rarissime pour une revue non spécialisée dans la chose taurine  et en dit long sur sa qualité). Et depuis la sortie nationale du film, un incontestable et surprenant intérêt de la part du public y compris dans les régions éloignées de toute culture taurine. Ici, à Mont-de-Marsan (à ce jour aucune salle bordelaise n'a daigné programmer le film!), le cinéma se trouve quasiment en face des arènes du Plumaçon et l'on peut penser que le public très varié qui remplit peu à peu la salle sait où il met les pieds. Nous voilà parti pour deux heures en immersion totale dans l'univers de la corrida.
   Tardes de soledad est un excellent film sur la corrida. Par ses choix d'angles de vue, son utilisation extraordinaire du son, ses choix narratifs (un torero, son équipe, des combats mais aussi l'avant et l'après à l'hôtel ou dans le coche de cuadrilla) Albert Serra est remarquablement parvenu à immiscer le spectateur de l'obscure salle de projection dans ce qui fait le quotidien d'un matador de toros. Une réussite qui participe de la magie du cinéma lorsqu'il est servi par un grand réalisateur. En 1955, dans Toro, Carlos Velo avait réalisé un film de la même veine en prenant le matador mexicain Luis Procuna comme protagoniste de son film. 
   Ce film n'est à vrai dire pas du tout destiné aux aficionados. Le parti pris de l'auteur de ne montrer durant les lidias qu'une partie réduite des corps du torero et du toro, qu'une partie extrêmement réduite de l'arène ne permet pas à celui-ci de retrouver ses repères habituels, de mettre en branle ses critères de jugement de l'action entrevue. Ce dispositif est en revanche parfaitement adapté pour susciter l'émotion qui nait de l'affrontement entre la bête et l'homme. Et les aficionados sauront gré à Albert Serra de nous montrer sans fard les fondements de la corrida, à savoir le combat entre un animal agressif, puissant et un homme courageux, à l'intelligence froide. La tauromachie n'est pas ici considérée comme simple divertissement mais comme source d'émotions profondes et intenses. On sait que le réalisateur avait aussi pensé à rendre compte de son aspect plus artistique en filmant le matador sévillan Pablo Aguado. Option qui ne sera pas retenue au vu des rushes réalisés qui étaient loin de transmettre l'émotion des séquences tournées avec Roca Rey. Le film y aura gagné en tension même si la vérité de ce que peut être aussi la corrida a été perdu. On saura gré également au réalisateur de ne pas avoir éludé la mort du toro. Cela constituait sans doute un passage obligé pour lui afin de ne pas être pris pour cible par les antitaurins. Il me semble toutefois que la célèbre série de photographie de Lucien Clergue Toros muertos atteint à une plus grande expressivité, peut-être parce que la photographie est plus appropriée à rendre la mort que ne l'est le cinématographe.
   Malgré son refus des lieux communs (on voit très peu l'aspect rituel et cérémoniel), il est un passage obligé que réussit parfaitement le cinéaste : celui de la séance d'habillage. A la fois très intime (comment placer son sexe) et spectaculaire (l'enfilage de la taleguilla), avec en point d'orgue le plan quasi-miraculeux où l'image de la vierge posée sur la table de nuit apparait en contre plongée entre les jambes du matador.
   La personnalité d'Andrés Roca Rey est pour beaucoup dans la réussite du film. La froide et impassible spiritualité qui émane de sa personne l'apparente à celle des samouraïs. Que ce soit dans l'arène face au toro ou en dehors il semble flotter dans un autre monde que celui du commun des mortels. On le sent entièrement tourné vers la domination qu'il entend exercer sur les toros et sur le public, mais il nous touche par sa lucidité  dans les moments les plus difficiles, par ses doutes dans les moments de triomphe. En fin de compte et malgré le mécontentement exprimé par le torero lorsqu'il prévisionna le film, on peut dire que Tardes de soledad est un film à sa gloire et à travers lui à la gloire de tous les toreros.
   Il faut dire un mot de la cuadrilla très présente durant tout le film. Un régal pour l'aficionado de pouvoir les entendre pendant la lidia où ils se montrent d'ailleurs très sobres. On leur a reproché un vocabulaire très dépréciatif envers les toros, mais c'est la réalité du ruedo. Pour un peon, tout toro qui n'est pas une sœur de charité est un fils de pute. Il reste à concevoir un film qui montrerait la vie en liberté du toro dans la dehesa et le respect dont il est entouré par les aficionados tout au long de sa vie. Quant à l'abus de vocabulaire viril on peut penser que son symbolisme ne devrait effaroucher personne à une époque où tout est possible y compris d'en avoir. 
  Pour nous aficionados la réception du film par le grand public n'est pas sans importance. Ici plus question du ''vivons cachés'' qui a l'avantage de nous soustraire à l'ire des antis. Le film est brut, fascinant, il va à la corne, l'exposition est maximale. On peut penser que deux minorités se dégageront. Celle des effarouchés qui viendront grandir le rang des antis. Celle des curieux qui, saisis par un spectacle si extraordinaire auront à cœur d'en savoir plus et décideront de se confronter sur les gradins d'une arène à la réalité d'une corrida. Y retrouveront-ils les émotions que procure le film ? En découvriront-ils de nouvelles ?
Ce qui est certain, c'est que ce film proclame que, par sa spiritualité, par les liaisons qu'elle entretient avec la mort, la corrida est un phénomène culturel majeur.
   
   

dimanche 30 mars 2025

Croquis de la fête taurine (poèmes 18)

 
Roman
 
Pêcheur breton ou matador levantin
la vie
vaut
d'être vécue, ta joie en est l'épreuve.
 
 
 
Diego Urdiales
 
Une perle si fine dans un écrin modeste
Perle 
ton toreo
Ecrin toi Diego l'homme de la Rioja.
 
 
 
José María Manzanares (fils)
 
Séduisant recibir, volapié sans merci
ton corps
est un appel
à se perdre dans les méandres de la mort. 







samedi 15 mars 2025

Un texte de Jérôme Forsans

 
J'avais présenté il y a peu les réflexions de Jérôme Forsans sur la tauromachie (ici). Voici en complément à son dernier recueil CogiToro un texte qui établit un lien entre l'actualité et notre expérience d'aficionado :
 

La corrida nous rend-elle meilleurs?

L’aspiration au changement est inhérente à notre nature humaine. Ce processus actif depuis le simple organisme unicellulaire jusqu’à nos sociétés développées a accompagné notre évolution biologique et fait le tissu de notre histoire. Nous voyons actuellement un bouleversement de cette organisation planétaire qui ressemble plus à une destruction de l’ordre établi qu’à la reconfiguration de celui-ci vers des libertés nouvelles.

La mécanique évolutionniste semble s’être enrayée et nous conduire vers une période plus sombre de notre histoire.

Sans jamais se répéter, l'histoire oscille entre des cycles de progrès et de régressions.  Le siècle dernier en témoigne : l'élan émancipateur des années 60, marqué par les indépendances géopolitiques et les révolutions sociétales, contraste clairement avec la montée des intolérances et des forces destructrices des années 30. Là où le progrès rend possible la nouveauté, le nihilisme imite ce progrès par la simple rupture du cadre existant. Il est difficile de faire le bilan du 20ème siècle mais nous pouvons constater à la sortie des deux grands conflits mondiaux  deux avancées portées par la science: une augmentation de l’espérance de vie et un bouleversement fertile des conceptions de notre place dans l’univers. Les arts ont accompagné ces bouleversements et ont renouvelé la capacité de l’humanité à s’imaginer elle-même. Ces progrès, s'ils ont su entraîner les foules ont souvent été initiés par de simples individus dont les noms ornent les frontons de nos académies d'arts et de sciences.

Les périodes d’obscurantismes ont été aussi annoncées par des individus qui souvent sans aucun titre ni qualité ont  entraîné les foules.

Ces individus n’ont pas fait advenir de nouveaux possibles, avec leur lot inquiétant d’inconnu, mais ont réactivé une pensée archaïque en guise de changement. Là où le progrès nous donne un ailleurs dans lequel exister, l’obscurantisme mime un mouvement qui n’est qu’un défilé de vieux totems. Seuls des individus ayant abdiqué leur capacité de jugement au profit d’un collectif qu’ils se  sont paresseusement choisi peuvent accepter de se leurrer ainsi. Les arts et les sciences deviennent des ennemis pour eux car ils se satisfont d’une société où le vrai et le faux n’ont pas plus de valeur que le bien et le mal.

La confusion générale les préserve de penser par eux-mêmes ou de simplement recevoir toute expérience leur rappelant leur responsabilité personnelle. Ces individus simplifiés, selon la formule de Georges Bernanos, n’aspirent qu’à se décharger d'eux-mêmes dans un collectif rassurant, aussi évidemment mortifère soit-il.

Cet abandon qui contredit la composante élémentaire de la vie nous interroge. En admettant que la corrida, forme d'art actuellement la plus menacée survive, pourra-t-on dans cette atmosphère distinguer un taureau qui consent en toute plénitude au don que lui fait le torero de celui qui se rend passivement à la main de ce dernier? 

Un animal qui choisit d'entrer dans un cadre jusqu’alors inconnu avec celui qui se leurre d’exercer encore sa combativité?

Seul un spectateur qui dans sa propre existence n’aura cessé d’exercer sa douloureuse liberté pourra percevoir encore cette vérité.

La corrida comme tous les arts majeurs exigera toujours face à elle cet individu libre.

 

Jérôme Forsans