mardi 7 juillet 2020

Pamplona : San Fermin 1927




   A défaut de pouvoir nous plonger dans l'effervescence d'une San Fermin 2020 qui, pour des raisons trop connues, n'aura pas lieu cette année, je vous propose un retour 93 ans en arrière. 1927, c'est un an après la parution aux Etats-Unis de The sun also rises d'Ernest Hemingway. Si l'écrivain américain est à nouveau présent avec quelques amis à Pampelune en 1927 on imagine que le nombre de touristes étrangers y est encore extrêmement limité d'autant qu'en ces années, un franc faible et une peseta forte rendent le séjour en Espagne assez onéreux pour les Français. Une Nîmoise y est pourtant bien présente. Il s'agit de Marcelle Cantier "Miqueleta" qui a fondé en 1925 la revue Biou y Toros (aujourd'hui Toros, le plus ancien journal taurin au monde). Elle rend compte de la feria dans le numéro 49 de la revue.
   Voici sa description de la fête : "La feria traditionnelle de San Fermin s'est inaugurée par un temps pluvieux et froid. Dès la soirée du 6, des bandes joyeuses de ''San Fermines", avec la classique chemise bleue et le foulard rouge, parcourent les rues de la ville en chantant et dansant, sur le rythme de la musique du pays. C'est, jour et nuit, presque continuellement, un fracas assourdissant; les danses ne cessent même pas à la plaza, où les peñas vont avec de grandes bannières sur lesquelles sont peints des sujets originaux, pas toujours taurins.
   Tous les matins, à 7 heures précises, a lieu l'encierro qui a quelque analogie avec notre abrivado. Les toros que l'on a conduits dans la nuit aux corrals qui sont situés à l'entrée de la ville, sont lachés sur le parcours habituel qui conduit à la plaza. Les cabestros les entourent, et devant eux courent les hommes et jeunes gens, par centaines. Le tout s'engouffre dans la plaza et si un maladroit glisse et tombe, il entraîne fatalement ceux qui le suivent, ainsi que cela s'est produit le premier jour. Les toros passent alors sur cette masse humaine  grouillante; c'est un moment de grosse émotion.
   Aussitôt l'encierro achevé a lieu la capea. Des vaches emboulées sont livrées au public. De partout surgissent des toreros improvisés, déployant capes et muletas plus ou moins fantaisistes. Nombreuses sont les bousculades, car la piste est noire d'amateurs. Dès qu'une vache rentre au corral, les danses reprennent. Cela est d'un mouvement, d'une couleur extraordinaires."

Les encierros
   Avec une victime mortelle (la seconde après celle de 1924), 1927 fait partie des années tragiques en ce qui concerne les encierros.

7 juillet, toros du Conde de Santa Coloma
   Un coureur reçoit un coup de corne sans gravité dans la côte de Santo Domingo. Un montón se forme à l'entrée des arènes occasionnant de nombreuses contusions sans qu'il n'y ait toutefois de blessés graves.

8 juillet, toros de Celso Cruz del Castillo
   L'encierro s'est déroulé sans incident, mais à l'intérieur de la plaza un toro se sépare des autres et attrape près d'un burladero dans lequel il tentait de se réfugier, Santiago Martinez, un maçon de Pampelune âgé de 34 ans. La cornada, dans le ventre, est effrayante. On amène le malheureux à l'hôpital où une intervention chirugicale de deux heures n'empêchera pas l'issue fatale.

   Pas de problèmes particuliers pour les encierros des jours suivants (9, 10 et 11 juillet).

Les corridas de toros

Jeudi 7 juillet
Six toros du Conde de Santa Coloma pour Antonio Marquez, Martin Agüero et Rayito.
   Les toros de SANTA COLOMA pèsent 281 kg de moyenne en canal, soit 470 kg en vif. Ils prennent 24 piques pour 12 chutes et 7 chevaux tués. Précisons que les chevaux de picadors sont encore sans protection, le décret entérinant l'usage du caparaçon sera pris l'année suivante en 1928. Un lot qui aurait dû permettre le succès à des toreros honnêtes ou connaissant leur métier, selon Miqueleta. Mais ce ne fut pas le cas et la tarde résulta décevante.
   Malgré quelques détails (une bonne demi-véronique, une paire de banderilles méritoire, un bon pecho), le fin torero madrilène Antonio MARQUEZ se comporta comme un sin vergüenza.
   Le Basque Martin AGUERO se montra en revanche égal à sa réputation qui est celle d'un torero à l'ancienne, vaillant et tueur sincère et efficace. Il fit preuve de bonne volonté et d'application et surtout il tua par deux magnifiques estocades de la casa ce qui lui valut de couper l'oreille du cinquième.
   Manuel del Pozo "RAYITO", spécialiste du toreo en paron avait connu le succès à Madrid en début de temporada pour sa confirmation d'alternative. Il connut ce jour une tarde désastreuse à tel point qu'il dut être protégé par la police lors de sa sortie de la plaza.
   Le meilleur de la tarde : deux grandes paires de banderilles de Magritas.

Vendredi 8 juillet 
Quatre toros de Celso Cruz del Castillo pour Antonio Marquez, Marcial Lalanda, Martin Agüero et Rayito.
   Encore une corrida décevante, qui plus est donnée par un temps pluvieux.
   Les toros  de l'élevage tolédan de Celso CRUZ del CASTILLO n'eurent ni qualités extraordinaires, ni mauvaises intentions mais les diestros n'essayèrent rien pour tirer le public de l'ennui. Tardo le premier, quedado le second, brave le troisième et manso le quatrième. Ils étaient très armés et pesèrent 276 kg en moyenne (460 kg). Les quatre prirent 15 piques pour 9 chutes et 7 chevaux.
   Antonio MARQUEZ se fit siffler.
   Marcial LALANDA remplaçait Zurito, malade. Lui aussi entendit les sifflets du public navarrais.
   Martin AGUERO contrairement à la veille tua mal.
   RAYITO enfin donna le meilleur de la tarde avec des lances de cape ovationnés.

Samedi 9 juillet
Cinq toros de Pablo Romero, un de Moreno Santamaría pour Juan Belmonte, Marcial Lalanda et Cayetano Ordoñez "Niño de la Palma".
   "Aujourd'hui enfin nous avons pu ovationner de grands toreros et nous avons vu toréer !" note Miqueleta dès le début de sa reseña. "Nous avons vu alterner le torero d'émotion, Belmonte; le torero alègre, Niño de la Palma; le torero scientifique, Marcial; et le grand Belmonte reste infiniment au-dessus de tous ses camarades."
   En effet Juan BELMONTE, malgré son peu de réussite à l'épée connut une grande tarde, de celles qui ne s'oublient pas. "A son second, qu'il toréa de cape avec cette lenteur et cette simplicité admirables, on lui ovationna des véroniques et des demies, et des farols exécutés dans le berceau des cornes. La faena de muleta débuta par un de tête à queue, une naturelle, un de pecho. Elle se poursuivit merveilleusement calme, et quand le grand Trianero se profila pour mater, le public debout réclama la continuation de la faena, et la musique joua. Ayudados por bajo, molinetes, afarolado, de tête à queue d'une limpidité admirable se succédèrent sous nos yeux éblouis de tant de beauté."
   Marcial LALANDA ne put tuer qu'un Pablo Romero car l'un d'entre eux s'inutilisa le matin lors de l'encierro. Le substitut de Moreno Santamaría passa son temps à sauter les barrières.
   NIÑO de la PALMA se devait de faire oublier sa désastreuse actuation de la feria antérieure. Il y parvint à son premier adversaire grâce à son jeu de cape varié suivi d'une faena pleine d'art et de valeur. Il obtint une oreille après trois-quart de lame contraire et un descabello.
   Les toros de PABLO ROMERO furent de présentation imposante, avec un pouvoir indéniable mais tous n'eurent pas cette bravoure remarquable qui a contribué à la renommée de la ganaderia. Les cinq prirent 19 piques pour huit chutes et 6 chevaux. Leur promedio fut de 310 kg, soit 520 kg en vif.
   Entre la lidia des cinquième et sixième toros on fit une quête au profit de la veuve et des enfants de l'homme tué lors de l'encierro de la veille.





  
Juan Belmonte face à un Pablo Romero (photo Rodero)


à suivre ...

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