vendredi 10 juillet 2020

Pamplona : San Fermin 1927 (suite)




Dimanche 10 juillet 
Huit toros de José Encinas pour Antonio Marquez, Pablo Lalanda, Martin Agüero et Rayito.
   Si hier on ne parlait que de faenas de toreros, aujourd'hui c'est la caste des toros de José ENCINAS qui emporta l'adhésion.
   "Une grande tarde de toros, de toros braves, francs, sans défauts pour la plupart. Un lot homogène, fin de formes, remarquablement présenté.
   Le numéro 53, qui sortit en second lieu, Farineto, negro, fut un toro admirable, suave, brave, suivant le leurre jusqu'à son agonie; un toro rêvé par les toreros ! On lui fit faire le tour de piste, et on l'ovationna à l'arrastre, ainsi que les quatrième, n° 8, Limeto, cardeno oscuro, cinquième, n° 29,  Bravo, negro,  et sixième, n° 9, Monudito, negro bragao. Le premier n'eut d'autre défaut que de aplomarse rapidement. Le troisième très franc et noble, un peu tardo, contribua au succès de Agüero; le septième, brave également, arriva réservé à la muleta; le dernier, qui parut d'abord chercher la fuite, se montra brave aux piques, puis bronco à la muleta. Ils eurent à peu près tous une magnifique forme de embestir. Bravo au ganadero !
   Les 8 toros prirent 28 piques pour 16 chutes; ils ne laissèrent que 3 chevaux sur le sable, mais on en emmena à l'écurie une demi douzaine qui auraient dû être puntillés sur place. Ils pesèrent en moyenne 275 kilogs" (460 kg en vif).
   Notons que la ganaderia porte le fer de José Vega, elle a été achetée par José Encinas à Victorio Villar, elle est donc issue du fameux croisement Veragua Santa Coloma qui a longtemps fait les beaux jours du Campo Charro, elle est installée à Ledesma (Salamanca). Le fer existe toujours, après avoir longtemps appartenu à Justo Nieto, il est aujourd'hui propriété de Jesus Angel Perez Villareal, un négociant aragonais qui s'est empressé d'éliminer les vega villar pour les remplacer par du sous domecq d'El Montecillo.
   Antonio MARQUEZ connut à nouveau une après-midi grise avec bronca à son premier.
   Face à deux bons adversaires, Pablo LALANDA se montra "d'une nullité désolante".
   Le triomphateur de la tarde fut Martin AGÜERO. Il tua son premier d'un grand volapié, "de ceux que l'on voit si rarement, l'estocade portée en pleine cruz et le torero sortant limpio par les costillares. Quelle ovation, lorsque les deux oreilles et la queue furent concédées au vaillant muchacho que l'on applaudit follement pendant la vuelta al ruedo !"
   RAYITO fut sans recours ni dominio et ses parones suicidaires ne sont pas à encourager. Il tua avec sincérité de deux bons coups de rapière.

Mardi 12 juillet
Deux novillos de Celso Cruz del Castillo pour le rejoneador Antoño Cañero et six toros du Conde de la Corte pour Antonio Marquez, Marcial Lalanda et Cagancho.
   Il faisait un temps si exécrable le lundi 11 juillet que l'on dut reporter la corrida au lendemain.
   Cette tarde permit à la feria de s'achever dans l'enthousiasme en raison de l'immense triomphe de CAGANCHO. Le gitan aux yeux verts, qui avait pris l'alternative en début d'année à Murcie, coupera les deux oreilles et la queue du dernier toro de la feria. "Ses lances sont classiques et purs, d'une tranquillité absolue. Il s'imposa plus encore à la muleta, toréant de près, dominant complètement. A son premier, il fut désarmé et esquissa une espanta après un pase de tête à queue et un de pecho; il se reprit aussitôt, et sous les olé, aux sons de la musique, il continua une faena grande qu'il dut prolonger à la demande du public et qui lui valut ovation et vuelta malgré que le sort ne l'accompagnât pas pour mater. Sa dernière faena fut énorme, de vaillance et d'art, avec des parones formidables et des passes de toute beauté. Le toro était fuyard; Cagancho le torea d'abord par le bas, se faisant avec lui, l'obligeant à embestir comme un toro brave, et le fit passer sous la muleta. La musique joue, le public, debout, acclame ce torerazo, qui fait dérouler devant nos yeux, des images de beauté."
   Antonio MARQUEZ, en torero artiste qu'il est, se racheta à son dernier toro de ses six échecs antérieurs (vuelta).
   Marcial LALANDA, en torero complet qu'il est, se montra également à son avantage (vuelta).
   Les toros de La CORTE prirent 21 piques pour 10 chutes et 4 chevaux. Ils pesèrent 268 kg en moyenne (450 kg). Leur comportement donna satisfaction au public et aux toreros. La dépouille des quatrième et cinquième fut honoré par une vuelta al ruedo et le mayoral fut appelé à saluer, mais Miqueleta a préféré les Encinas de la veille, plus braves et plus puissants mais tout aussi nobles.
   En début de corrida Antonio CAÑERO se défit de deux novillos mansos de Celso CRUZ del CASTILLO qui ne lui permirent pas de briller. Il tua le premier en mettant pied à terre et le second d'un rejon dans tout le haut.


Quelques réflexions en guise de bilan
   Ce qui m'a frappé à la lecture des reseñas de Miqueleta, c'est le peu de poids des toros combattus. Si l'on excepte les Pablo Romero qui sont nettement au-dessus de 500 kg (on considère généralement que 300 kg en canal correspondent à 500 kg en vif) tous les autres toros sont nettement en dessous, avec 268 kg pour les plus légers, les La Corte. Ils sont toutefois considérés comme bien présentés, ce qui laisse à penser qu'il s'agit de la norme à l'époque. Deux explications peuvent être données à ce peu de poids. En premier lieu, leur âge. Il s'agit peut-être tout simplement de novillos. En second lieu, la nourriture. Le pienso compuesto industriel n'est pas encore utilisé et les toros de l'époque sont nourris avec l'herbe des pâturages et le fourrage produit à la propriété. Ils ne sont pas "préparés" comme ceux d'aujourd'hui. Il semble que dans ces conditions le poids normal d'un toro de quatre ans se situe autour de 500 kg, un peu en dessous même pour beaucoup d'encastes. On le voit, on est loin de certains mastodontes suralimentés d'aujourd'hui dont l'apparence est cependant en parfaite harmonie avec les excès (et les goûts) de notre société de consommation. On est loin aussi des toros d'épouvante du XIXè siècle. Mais ceux-ci relèvent sans doute en grande partie du mythe, même si l'on peut penser que l'action de Guerrita puis de Joselito pour réduire le trapío de leurs adversaires n'est pas restée sans effets.
   Le mal dont ils ne souffrent pas en revanche est la faiblesse de pattes. Ils peuvent être braves ou fuyards, plus ou moins poderosos, parfois quedados, mais jamais la faiblesse de pattes n'est mentionnée. Toutefois, les "scores" de leur combat face à des chevaux sans caparaçon restent modestes. On imagine les carnages que feraient les toros qui sortent aujourd'hui dans le ruedo navarrais s'ils étaient piqués dans les même conditions.

   Côté toreros, le triomphe le plus marquant de la feria est celui de Cagancho, ce qui montre bien l'évolution du toreo et des goûts du public vers une tauromachie artistique. Le jour des Pablo Romero, Miqueleta note en conclusion de sa reseña : "Le public est sorti de la plaza enchanté, discutant avec animation les diverses faenas de la tarde." Une telle conclusion eut été impensable une quinzaine d'années auparavant, avant la révolution initiée par Belmonte et Joselito.  On vient désormais aux arènes pour voir de belles faenas. On remarquera dans le même ordre d'idée qu'un bon toro est désormais un toro qui permet "la faena".
   On notera à propos de la corrida de Pablo Romero - la mieux présentée de la feria et un fer redouté - qu'elle fut combattue par trois figures, dont le plus prestigieux torero de l'époque, Juan Belmonte.
   Notons aussi pour terminer que la tauromachie de l'ancien temps continue à émouvoir les foules; en témoigne le grand triomphe obtenu pour sa vaillance et une grande estocade  par l'un de ses grands représentants de l'époque, le Bilbaino Martin Agüero.
   On le voit, les années 20 du siècle dernier sont pour la corrida des années passionnantes. Celles où un changement radical s'est imposé dans les valeurs taurines et les goûts du public. La corrida que nous connaissons aujourd'hui, avec toutes les nuances qui la composent, est l'héritage de cette révolution.


Documentaire sur les Sanfermines dans les années 20
   Je mets ici le lien de la page du blog Desolvidar sur laquelle on pourra visionner un documentaire passionnant d'une vingtaine  de minutes constitué d'archives sur les fêtes de Pampelune tournées dans les années 20. Les amoureux de la capitale navarraise trouveront de nombreuses explications complémentaires dans le texte qui accompagne le film et dans le blog en général.
            Desolvidar : Sanfermines 1928 (actualizado)


   
La plaza de toros de Pamplona (rénovée laidement en 1967) a été inaugurée en 1922.

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