vendredi 6 juillet 2018

Pamplona, 8 juillet 1978



  Il faisait chaud à Pampelune ce jour-là. J'avais préféré passer l'après-midi à somnoler au frais sur les pelouses des fortifications, derrière les arènes plutôt qu'aller voir Damaso Gonzalez et Antonio José Galan dans le chaudron pamplonais. Mais pas question de manquer la corrida du lendemain (toros de Salvador Guardiola pour Ruiz Miguel, Manolo Cortes et Julio Robles), aussi en fin d'après-midi je me dirige vers les guichets de la plaza qui mettent en vente, à la fin de la corrida, les places restantes pour le lendemain. Une petite queue s'est déjà formée mais je suis bien placé. Les gens commencent à sortir de la plaza, on entend le brouhaha habituel en ces lieux. Tout à coup, à l'intérieur des arènes, de fortes détonations, des cris. On est un peu inquiet d'autant qu'on ne voit pas ce qui se passe. La première idée qui me vient c'est qu'un toro s'est échappé. Mais très vite, autour de nous, des mouvements de foule, des gens courent dans tous les sens, la panique gagne. Des fumées aussi et de drôles d'odeurs, mélange de poudre et de gaz lacrymo. Je rejoins mes compañeros. Chacun raconte sa version mais nous avons du mal à comprendre réellement ce qui se passe. Ce qui est sûr c'est qu'il y a du baston entre la police armée (les gris) et les mozos des peñas. Et ça va durer toute la nuit.
   Nous décidons d'aller passer la soirée dans un quartier plus calme de la ville mais le cœur n'y est plus. Pobre de mi, se han acabado las fiestas.
   Le lendemain un calme étrange et pesant a envahi la ville. L'encierro n'a pas eu lieu. Non loin des arènes, avenida de Roncesvalles, des fleurs déposées sur le bitume, c'est là qu'est tombé German Rodriguez, une balle dans la tête.

   Lorsque le hasard nous rend témoin d'évènements aussi dramatiques que celui-ci et que, de plus, on est étranger, on est bien sûr pris par l'émotion mais on a du mal à appréhender ce qui s'est passé. On a le sentiment d'être resté extérieur aux évènements. C'est donc avec un vif intérêt que j'ai visionné, il y a quelques années, l'excellent film documentaire sorti en 2005 Sanfermines 78 de Juan Gautier et José Angel Jimenez. S'appuyant sur des images d'archives et sur des entretiens avec les principaux protagonistes de ces journées, les cinéastes démêlent peu à peu le fil des évènements mais aussi et surtout ils les éclairent à la lumière de la situation politique de l'Espagne et de la Navarre à ce moment-là.
   1978, nous sommes en pleine Transition démocratique. Franco est mort depuis près de trois ans, l' Assemblée (Las Cortes) élue démocratiquement en juin 1977 est en train d'élaborer une nouvelle constitution. Contrairement à la vision que l'on a depuis la France ou qu'ont bien voulu répandre les Espagnols eux-mêmes, tout, dans le processus de transition, ne s'est pas passé aussi facilement qu'on le pense. Durant toute cette période, les réseaux de l'extrême-droite franquiste ont été très actifs. Leur but : créer dans le pays le plus possible de situations de violence et de chaos de façon à apeurer la société espagnole et à justifier un coup d'état militaire qui restaurerait le franquisme. Le film montre que l'irruption de la police dans les arènes de Pamplona relève de cette stratégie.
   Mais le film révèle un autre enjeu qui explique l'effervescence politique qui règne à Pampelune. Le Statut d'autonomie du Pays Basque est en train d'être négocié et il s'agit de savoir si la Navarre sera incluse ou non dans cette nouvelle organisation territoriale (Elle ne le sera finalement pas). La question a toujours été sensible en Navarre et chaque évènement est utilisé par l'un ou l'autre camp pour avancer ses pions.

   Aujourd'hui ce sujet suscite encore la fièvre, et l'extraordinaire caisse de résonance qu'est la San Fermin a toujours été mise à profit par les plus radicaux pour se montrer.
   C'est à l'aune de cette problématique qu'il faut comprendre les propos récents de l'actuel maire de Pampelune (du parti nationaliste socialiste basque Bildu) sur la corrida.
   Et l'on ne peut que regretter que la tauromachie soit une fois de plus instrumentalisée pour des questions politiques qui ne la concernent pas.


     Sanfermines 78  de Juan Gautier et José Angel Jimenez  2005
 
 

2 commentaires:

Frédéric a dit…

Excellent et passionnant article. Effectivement, de tels moments d'émotion restent à jamais gravés dans la mémoire. Merci à toi de nous les avoir fait partager.
Frédéric.
Ps: beau cartel quand même sur les Guardiola.

RAFAEL a dit…

en effet,Drôle de journée que ce 8 Juillet 1978, et dire que l'on était parti pour la semaine, en famille, avec la 2CV du frangin, les tentes en bas des remparts ( à l'époque c'était possible), dans la soirée comme par miracle ( San fermin ?)on se retrouve tous, et cette ambiance pesante de lendemain matin, des madriers de protection pour les Encieros un peu partout, des scooters détruits par le feu, témoins des combats de rue, la place de Castilla cernée par la Guardia Civil, images désolantes,effrayantes! Quarante ans déjà pfff...la veille on avait vu les Pablo Romero, avec le Fakir d'Albacete, JL Galloso et un Torero Mexicain, le souvenir que j'ai de cette première corrida ? aucun ! je découvrais autour de moi le Bullicio Pamplones ! ma première San Fermin...