mardi 19 mai 2015

Réflexions sur le public de Madrid

   Sans doute faudrait-il parler des publics plutôt que du public tant on rencontre de divergences d'opinion sur les étagères madrilènes. Il est bien loin le temps des broncas féroces et unanimes de la fin des années soixante-dix. Je me souviens en particulier d'une corrida de Pablo Romero au cours de laquelle chaque matador avait entendu une bronca à la mort de chaque toro. Nous étions en 1976 et il est évident que, dans la période politique très incertaine que vivait l'Espagne à ce moment-là - Franco venait juste de mourir et c'était le tout début de la Transition - Las Ventas était un des seuls endroits de la capitale où il était possible de protester en toute impunité. El País venait juste d'être créé et l'on pouvait, au petit matin, se faire arrêter pour le simple fait de l'avoir acheté en bas de chez soi. Dans les années qui ont suivi j'ai toujours trouvé le public vif, nerveux, excessif dans ses rejets aussi bien que dans ses admirations.
   En ce printemps 2015, où je retrouvais les gradins venteños après de nombreuses années de purgatoire, le public m'a semblé beaucoup plus froid et mou qu'auparavant. C'est un public déséquilibré, qui va claudicant, avec une jambe faible, celle des gens désireux de pasarlo bien, et une jambe excessivement réactive et puissante, le tendido 7. Toujours au complet, semblant bien organisé, inébranlable dans ses certitudes, bruyant dans ses manifestations, le tendido 7 est vraiment impressionnant. L'aficionado vivant au pays de Montaigne que je suis a parfois du mal à supporter la rigidité et l'intolérance de ces bataillons braillards. Il faut reconnaître toutefois qu'ils ont souvent raison et que, sans ces gardiens du temple, Madrid aurait tôt fait de devenir une arène comme les autres. Je vois pourtant quelques inconvénients à l'excessive place qu'ils ont acquise par leur comportement. Tout d'abord, en se regroupant en un même lieu et en cristallisant le mécontentement depuis leur tendido ils ont conduit le reste de l'arène à la passivité. Inutile de broncher, le 7 s'en charge. Ensuite la systématisation de leurs protestations finit par banaliser leur action et la rendre vaine. A force de crier au loup... Enfin, et c'est peut-être le plus gênant, je ne pense pas que, si je découvrais la corrida parmi eux, j'aurais envie de devenir aficionado.



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