jeudi 5 avril 2018

Sur deux corridas arlésiennes

   Il est certain qu'être annoncé aujourd'hui face à un lot de Jandilla est un sacré privilège. Se retrouver face au pastueño et innocent premier ou face au brave et inépuisable sixième est, pour un torero, une occasion extraordinaire (elle ne se reproduira peut-être pas de toute la temporada) de montrer son savoir-faire. Encore faut-il posséder les qualités requises pour profiter de la situation, être dans un moment de confiance et, si l'on est débutant, ne pas perdre sa lucidité face à l'importance de l'enjeu et à l'émotion que doit susciter une telle rencontre.
   On sait Miguel Angel Perera dans un moment de plénitude. Il ne pouvait passer à côté de son rendez-vous avec Licenciado, ce toro si noble qu'on avait envie de lui souffler depuis les gradins : " lance donc un coup de corne de temps en temps". Et s'il n'a pas lancé ce coup de corne c'est peut-être parce qu'il a été toréé avec une telle confiance, une telle douceur, un tel temple que l'idée ne lui en est jamais venue. Je ne suis pas porté vers la tauromachie de Perera, mais je dois reconnaitre qu'en ce jour de Pâques le maestro extremeño, toréant dans la plus pure lignée de Damaso Gonzalez, a su me convaincre qu'il pouvait être grand torero.
   Pour l'avoir vu plusieurs fois comme novillero je savais qu'Andy Younes avait de grandes possibilités. Il a su saisir la chance qui avait pour nom Lastimoso, le dernier Jandilla. Aucune fausse note dans la faena de l'Arlésien qui sut toréer comme l'eut fait une figure un toro certes très noble mais exigeant par sa charge soutenue et inépuisable. On peut lui reprocher d'avoir, en prolongeant sa faena, joué la carte de l'indulto, ce truc qui permet d'éviter la mise à mort et de se faire de la publicité à bon compte; mais à ce stade de sa carrière, il lui était difficile de refuser cette bénédiction qu'offrent les publics faciles et les présidents sans critère.
   Gines Marin a pratiqué un toreo light, sorte de champagne sans alcool qui ne fait tourner ni la tête, ni le cœur et laisse les papilles prêtes à profiter de ce qui va suivre. Reconnaissons lui deux mérites : celui d'avoir réussi à mettre et à garder dans la muleta son premier adversaire manso, distrait et coureur et celui de ne pas étouffer ses toros. Sa muleta légère, distanciée, utilisant toujours le pico, ne contraignant jamais, ne rebute jamais non plus. C'est peut-être la raison de son succès actuel, et pourtant j'imagine un jour Gines toréant avec profondeur, mais ce jour ne semble pas encore venu.


   Il est difficile de concevoir qu' El Fandi ait pu être à l'affiche de la corrida de lundi pour ses mérites propres. On voit plutôt sa présence comme un accord de réciprocité entre le matador organisateur arlésien et Matilla, puissant apoderado du Granadino. Le procédé n'est pas nouveau mais il est fâcheux.Surtout lorsqu'il conduit à laisser sur la touche un matador local qui a pourtant fait ses preuves ici comme Thomas Joubert ou d'innombrables espagnols qui auraient très certainement tiré un parti bien plus artistique des excellentes conditions qu'offrait Notario, le quatrième toro d'Alcurrucén. Fandi pour sa part ne brilla pas même aux banderilles; il est juste toutefois de noter la maestria et la précision avec lesquelles il conduisit chaque fois ses toros à la pique.
   L'autre bon toro d' Alcurrucén fut toréé avec finesse et bon goût par José Garrido particulièrement sur la main gauche et l'oreille qu'il coupa était la seule justifiée de l'après-midi.
   A propos d'oreille, on regrettera qu'après un bajonazo aussi honteux que celui donné par Luis David Adame au sixième toro, il se soit trouvé des aficionados sur les gradins et un président au palco pour sortir leur mouchoir blanc. De telles oreilles ôtent beaucoup de sérieux à une arène.

2 commentaires:

Frédéric a dit…

J'étais plus que sceptique sur cet indulto à la lecture de la resena de mundotoro qui criait au génie. Je constate en te lisant que je ne me trompais guère.

Laurent B. a dit…

Bonjour Pierre, une analyse de cette féria qui me parait très lucide et pertinente...comme d'hab ! gracias..je n'ose te demander ton ressenti vis à vis des "cartelitos" Montois..