dimanche 2 novembre 2008

Indulto (2)

De cette temporada, qui aura connu pas mal de motifs de satisfactions, il me reste, malgré tout, le souvenir de quelques potions amères qui me sont un peu restées en travers du gosier. Parmi celles-ci, l'indulto de ce toro de Victoriano del Rio à Dax. Ce qui me turlupine dans ce cas est que je n'arrive pas à en saisir le sens profond ni à en mesurer la portée dans l'éventuelle perspective d'un changement des goûts du public. Car, enfin, cet après-midi-là, une grande majorité des 8000 spectateurs qui avaient payé leur place pour voir précisément tuer six toros a tout à coup fait preuve d'une furieuse hystérie afin qu'on ne tue pas le dernier d'entre eux! Voilà qui m'a laissé songeur et même quelque peu effrayé.
Alors, de droite et de gauche, sur la toile ou sur papier, au gré de mes inspirations, j'ai essayé d'aller chercher des informations, peut-être des explications et si possible des moyens de me rassurer.


Il y a eu 18 toros indultés au cours de la temporada européenne 2008. Voici la liste, dans l'ordre chronologique, des villes dans lesquelles ont eu lieu ces indultos :
Ecija
Sonseca
Los Barrios
Sanlucar de Barrameda
Marbella
Châteaurenard
Puerto de Santa María
Baeza
Constantina
Cieza
Sotillo de la Adrada
Dax
Pozuelo de Alarcón
Almodovar del Campo
Barcelona
Zafra
Montoro
On le voit, à l'exception de Barcelone et du Puerto de Santa María, le phénomène touche très majoritairement des arènes de troisième ordre. Dax se trouve ainsi prise entre Sotillo de la Adrada et Pozuelo de Alarcón, comme dirait mon fils, ça fait un peu pitié. J'ai le sentiment que dans ces petites arènes, les élites locales (organisateurs, élus, voire journalistes s'il y en a) sont en mesure d'influencer public et présidence afin de créer un évènement qu'ils sauront faire mousser et dont ils tireront un profit personnel (en terme d'affirmation de leur pouvoir). Dès lors, la dérision est sans doute la meilleure réponse que les aficionados peuvent apporter à de telles pratiques. N'étant pas un paroissien rouge et blanc, je me réjouis par avance des moqueries que vont subir les dacquois pour avoir gracié un toro qui n'a pris qu'une demi-pique. A moins que les concurrents montois et bayonnais ne s'avisent malencontreusement de vouloir les imiter lors de la temporada prochaine...


J'ai essayé de voir l'évolution du nombre d'indultos années après années mais je n'ai pu remonter que jusqu'en 1999. Voici les chiffres (hors novilladas et festivals) :
1999 : 5
2000 : 11
2001 : 6
2002 : 14
2003 : 18
2004 : 12
2005 : 15
2006 : 21
2007 : 15
2008 : 18
Depuis 2002, on franchit systématiquement la barre des 10 indultos annuels. Il est difficile de savoir si le pic des 21 toros indultés de 2006 est un sommet qui ne sera plus atteint ou bien le signal d'une nouvelle progression. Réponse au cours des prochaines temporadas...

Interrogé sur la question de l'indulto Eduardo Miura déclara: "¡Ay! de aquel ganadero que deje se le vaya a la plaza un toro susceptible de ser semental."
Quant à Atanasio Fernández, il sacrifia un de ses toros indulté en disant : "Mes sementals, c'est moi qui les choisis et non le public."
On ne peut d'ailleurs qu'être inquiet en pensant au nombre de médiocres reproducteurs qui vont se retrouver à couvrir des vaches à la suite d'indultos abusifs. La situation de la cabaña brava mexicaine ne plaide pas en faveur du procédé.

Dans Philosophie de la corrida, Francis Wolff met en lumière deux phénomènes contraires. D'un côté, les publics sont de plus en plus sensibles au spectacle de la mort - l'agonie du toro luttant seul contre la mort après l'estocade devenant de ce fait un moment de grande émotion. D'un autre côté, ils semblent bannir cette mort en réclamant de plus en plus souvent la grâce pour le toro.
"Est-ce à dire que les corridas tendent à n'être plus ''de mort''? Pas du tout. Et même au contraire. Elles sont de mort, plus que jamais. C'est la vie ou la mort elles-mêmes du toro qui comptent désormais de plus en plus; le fait qu'il vive (ou survive, parfois), le fait qu'il meure, l'événement même de sa mort, ou parfois de sa non-mort."

NB : J'avais ici-même exprimé mon opinion, il y a quelques mois, sur la grâce du toro considérée par certains comme une réponse aux attaques des anti-taurins.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

C 'est énorme , banal et dangereux
bruno

Anonyme a dit…

J'adhère en partie à votre commentaire, en partie seulement car systématiquement voir le complot des notables érgionaux susceptibles etc...Faux, j'étais à Dax, et que s'est il passé. UN torito, dos plat, une demi pique (juste le poids de celle-ci, et l'ennui des 5 premiers congénères...Alors des passes, belles, tombées et surtout "liées" c'est cette liaison qui a donné l'illusion que tout était excellent, oui le toro bonbon avait de la noblesse. Moi aussi ça me chiffonne, et pourtant je m'habille en rouge et blanc, je ne vis plus là bas mais j'aime la féria, et j'aime aussi Céret, Vic, Pampelune etc..Alors le mélange est tout bon, après tout pourquoi pas si l'un ne l'emporte pas sur l'autre. Hystérie collective, peut être, mais vous savez c'est l'histoire de la petite tâche noire sur la chemise blanche, elle a beau être minuscule, on ne voit qu'elle. Ce torito a donné du jeu, pas dans le sens de la lidia puiqu'il y a eu simulacre aux deux premiers tiers, et je suis d'accord avec vous pas d'indulto dans ce cas là..Maintenant il n'y avait que ça, mais ce fût vraiment beau dans le sens esthétique..Après,pourquoi un indulto ??? sacrée question, peut être une fin de féria, et des gens qui viennent pour s'amuser, pas que pour le toro. En tout état de cause, arrêtons de tirer sans arrêt des balles dans nos pieds, l'aficion se partage et elle ne peut que différer selon l'individu, 7800 personnes ne peuvent quand même pas toutes avoir tort si?? Mois j'étais dans les petits 200 qui ne pouvaient comprendre. Oui, ce sont les "petites arènes" qui font tomber les oreilles de façon quasi systématique, car les gens qui les fréquentent après la corrida passent à tout autre chose.
Vivent les gardiens du temple, et que le peuple s'amuse, après tout c'est comme pour les USA pourvu que la diversité perdure et s'améliore...

Anonyme a dit…

Cher Velonero,

Sachez déjà que je vous lis toujours avec plaisir au hasard de mes vagabondages bloggistes taurins... Sur cette question de l'indulto, je crois certes aussi qu'elle fait partie de ces comportements intra-taurins tentant de nous amadouer les "anti" (!), mais qu'elle a aussi ses racines chez nous, dans cette tendance assez générale de la société occidentale d'aller vers une "disneyisation" - qui prendrait pour nous la forme précise d'une corrida "sans sang" (donc sans pique puis sans mort)... Sauf que les promoteurs taurins de cette posture oublient que ce "sans sang" pourrait bien être un "sans sens" qui conduirait alors tout simplement à la fin de la "fiesta brava" (la "fête du courage et des gens de coeur" chantée par Escamillo dans Carmen). Et tout cela est très bien présenté par Francis WOLFF, dans sa "Philosophie de la corrida", lorsqu'il écrit si pertinemment que le toro "doit être combattu et non abattu", référence à un adversaire qu'on "respecte" - d'où cette expression si juste de "toro de respect" s'opposant à cette non moins juste expression de "toro de pitié" si bien développée dans un article de Joseph PEYRE paru en 1950 dans le Figaro littéraire et republié récemment sur le site "lafetesauvage"... Chaque fois que le toro "fait pitié", qui ne voudrait pas d'un indulto pour lui? (voire qu'il ne fût déjà pas piqué?), et réciproquement lorsqu'un "tio de respect" affole les cuadrillas et retient le respiration des tendidos même les moins "toristas"...
A suivre ?
Bien à vous - Bernard GRANDCHAMP

velonero a dit…

Merci Bernard Grandchamp et anonyme pour vos messages éclairés et éclairants.
On pourrait, à propos de l'indulto, en arriver à la formule suivante :
Dans le cadre de notre société de consommation (en voie de disneyisation), TORO DE PITIÉ + TORERO VIRTUOSE = INDULTO
Mais cette formule ne s'applique réellement jusqu'à présent (pourvu que ça dure) que dans les arènes de troisième catégorie. C'est pourquoi je fais appel au rôle des élites locales pour tenter d'expliquer le phénomène. Ces élites sont suffisamment influentes dans un pueblo pour peser sur les manifestations du public. Dans une arène plus importante (capitale de province) leur pouvoir se dilue.
Il est vrai que Dax est un cas à part. Un certain "contôle social" s'y exerce depuis fort longtemps déjà de manière très efficace et pas seulement pour ce qui concerne les toros (il faudrait le travail d'un sociologue pour l'analyser en profondeur).
Il me paraît donc d'autant plus important que les gardiens du temple ne désertent pas les arènes où ils sont le plus nécessaires.
Velonero

xabi a dit…

Je prend un énorme plaisir à lire ces commentaires et je vous remercie de faire évoluer la réflexion taurine au niveau qu'elle mérite.
Pierre ou plutôt Velonero ( je te prie de bien vouloir m'excuser), ta science toromachique et la finesse de tes analyses nous permet de prendre du recul et de réfléchir à tête reposée sur l'actualité et l'avenir de cet art qui ne laisse personne indifférent.