mercredi 15 mai 2024

San Isidro 2024 : début de feria

 Madrid, début de San Isidro, 3 corridas, cartels inégaux. 
On a mis pour commencer deux des meilleurs toreros face à l'un des élevages les plus décastés de ces dernières années. Le second jour, El Fandi, toujours présent - et ce depuis plus de vingt ans - lorsqu'il s'agit de gâcher quelques bons toros. Enfin, dimanche, un des élevages qui produit les toros les plus braves face à trois toreros très modestes . 
Voilà qui est assez médiocrement conçu.

Vendredi. No hay billetes, temps parfait.
Morante de la Puebla et Diego Urdiales sont au cartel, difficile de faire mieux. Pour les toros on se prend à rêver d'un miracle car non seulement les Alcurrucén sont dans un piètre moment mais on sait qu'en bon nuñez ils sont très froids à leur sortie et donc totalement inadaptés au style de Morante qui manie sublimement la percale. Il va falloir que les planètes s'alignent et Afectuoso, le tambour major autorise tous les espoirs. Il est beau (comme tous ses frères du jour, majoritairement cinqueños), brave et noble. À ce moment, deux hypothèses se présentent. La naïve : ce toro est annonciateur d'un grand lot et donc d'une grande corrida. La réaliste : il va être le seul bon toro de la soirée et il échoit au troisième homme, Garcia Pulido qui confirme ce jour l'alternative. Bien sûr le réalisme a prévalu, Garcia Pulido n'a pas démérité (salut après pétition) mais une situation aussi favorable ne se représentera peut-être plus jamais dans sa carrière.
La corrida aura malgré tout deux moments cumbre qui resteront dans mes souvenirs. Le grand début de faena de Morante à son second. On ne peut toréer avec plus de dominio, d'empaque, d'art. Après cela l'Alcurrucén, vaincu, se refusa à charger. L'autre grand moment fut la manière dont Diego Urdiales, par véroniques parfaites et demi précise, amena le troisième toro à la seconde pique.
On se demande quel peut être l'avenir de la ganaderia d'Alcurrucen après le fracaso (un de plus) de ses toros. Cinq astados sur six totalement inadaptés à la lidia (moderne ou pas) puisqu'ils refusent la cape à leur sortie, fuient les picadors en ruant, ne chargent pas les banderilleros, possèdent dans le meilleur des cas quelques charges limitées et fades à la muleta.

Samedi. Grande corrida de Fuente Ymbro. Roman en maestro.
Une chose rare, exceptionnelle : une corrida complète. Six toros braves, mobiles, puissants, de surcroît con trapío  (tous cinqueños). Pour les toreros, une concentration de tous les instants nécessaire, pour le public un intérêt soutenu durant toute la tarde. Les trois et cinq difficiles, les quatre autres offrants de belle possibilités. 
Roman a toujours été un battant et un homme qui n'a pas froid aux yeux. Il a montré ce jour avoir acquis un niveau supérieur, celui d'un authentique maestro capable de construire des faenas sincères et dominatrices face à d'authentiques toros de combat. Son point faible a toujours été l'épée (voir ici) et au moment où il semble mieux dominer la suerte de matar (deux excellentes entières ce jour) voilà que la suerte le fuit. Ses estocades étaient contraires, signe de son engagement, mais on sait que leur efficacité est moindre et ses deux toros ont mis un temps infini (en raison de leur caste également) avant de tomber. Cela lui a sans doute coûté la salida a hombros mais la prestation du Valencien a frappé les esprits et il peut être considéré comme le triomphateur de ce début de feria.
Face à un toro de belle charge mais au coup de tête ravageur, Leo Valadez n'a jamais réussi à résoudre le problème ce qui le poussa à prendre, pour compenser, des risques inconsidérés - c'est tout à son honneur - mais qui lui valurent une première cogida sur une tentative inopportune d'arrucina, puis une seconde lors de l'entrée a matar. Il s'en sort miraculeusement avec une simple luxation de l'épaule.
Comme un malheur n'arrive jamais seul, cela nous permis d'apprécier El Fandi sur un toro supplémentaire. À vrai dire, il ne faut pas enlever, à celui qui aurait pu devenir champion olympique, ses qualités. Il manie la cape avec efficacité et précision et donne des quites variés. Ses tercios de banderilles furent rondement menés et portèrent sur le public, j'ai noté un beau sesgo por fuera. Là où le bât blesse, c'est à la muleta, ce qui lui valut d'entendre trois fois le silence pour trois toros qui en d'autres mains auraient pu repartir avec une oreille en moins. Le soir, discutant dans une taverne taurine avec jeune néo-aficionado comme il y en a désormais beaucoup, j'eus la surprise de l'entendre me dire qu'il avait apprécié l'actuation d'El Fandi. Comme je lui en demandais les raisons, il me répondit très sérieusement : "C'est que El Fandi est de Grenade et moi aussi !" Rien à redire à un tel argument, très espagnol !
 
 

 

Dimanche. Braves Baltasar Iban face à une terna très modeste.
La modestie du cartel homme se nota dans l'affluence du public, deux tiers des étagères. Elle se nota aussi dans la médiocrité de certaines cuadrillas, très à la peine, et dans l'échec des matadors qui se montrèrent tous en dessous des possibilités offertes. Le Mexicain El Calita bénéficiera des circonstances atténuantes car il lidia les deux toros qui offraient le moins de possibilités. Pour Alvaro Alarcon, la situation est plus grave car malgré sa bonne volonté il rendit par deux fois copie blanche, en particulier face au très brave troisième Barberito, remarquablement piqué par Juan Francisco Peña.
Il n'avait pas échappé aux aficionados que figurait en cinquième position un certain Bastonito. Il fut au physique bien différent de son prestigieux ancêtre lidié par César Rincon en ces mêmes arènes il y a très exactement trente ans. Celui de ce dimanche était negro salpicado et très imposant avec ses 592 kilos, celui de 1994 était totalement noir et pesait 501 kilos. Déjà dans la cape de Francisco de Manuel il avait montré sa disposition à humilier. Placé à bonne distance il s'élança par deux fois fois d'un galop puissant vers la cavalerie pour un première pique poussée à fond et une deuxième plus courte (ovation au piquero Luis Albert Parron). Ses premières arrancadas à la muleta eurent un son extraordinaire. De Manuel l'attaqua à genoux puis, debout, il donna une émotionnante série à droite suivies d'excellentes naturelles. La faena baissa ensuite  cruellement de ton, le Madrilène ne trouvant plus le bon rythme ni le bon sitio pour redondear son travail. Tout cela se termina donc par un simple salut pour le matador et une forte demande de vuelta pour Bastonito, arrastré sous une grande ovation. Illustration d'une tarde durant laquelle les toros surpassèrent les toreros.

Venir à Las Ventas c'est s'immerger dans un public particulier. On a beaucoup glosé sur le renouvellement des générations. On voit désormais sur les travées de Las Ventas énormément de jeunes gens qui n'ont pas - et ne peuvent avoir - les mêmes compétences que les aficionados plus anciens. Lorsqu'il ne se met pas le reste de la plaza à dos par son manque de respect et ses jugements excessifs, le tendido 7 peut servir de guide à cette nouvelle aficion. En tout état de cause le public de Madrid reste un élément majeur dans le déroulement du spectacle. Il est souvent bruyant et inattentif lorsque rien d'intéressant ne se passe en piste mais sa capacité à réagir, à s'enflammer lorsqu' advient quelque chose de remarquable fait naître une émotion propre à ces lieux et donne à chacun l'impression d'être partie prenante de cette grande liturgie qu'est parfois la corrida..




Photos : Barberito à la pique
              Bastonito à l'apartado (n° 35, à droite)

1 commentaire:

christian a dit…

3 jours a madrid...grrr, chanceux.
Rien à ajouter a ta resena si ce n'est le naufrage psychologique de morante qui semble,une fois de plus, victime de son chien noir comme disait churchill connu lui aussi comme un grand dépressif!!
Ca n'augure rien de bon pour la suite.
Raccroche josé antonio!!!!