vendredi 26 octobre 2018

Juan José Padilla

   La première fois que j'ai vu Juan José Padilla c'était à Floirac lors de la corrida de septembre en 1995. Son physique de deuxième ligne m'avait paru bien peu taurin  (il pesait en outre à l'époque quelques kilos de plus) mais il compensait ce handicap par un abattage certain et, surtout, une sincérité qui m'avait touché. Un créneau en tant qu'animateur dans les corridas dures pouvait s'offrir à lui, avais-je pensé, mais j'étais loin d'imaginer l'immense carrière qu'allait réaliser celui que l'on n'appelait pas encore le Cyclone de Jerez.
   Une carrière bâtie à la force du poignet et émaillée de blessures gravissimes que l'homme parvint toujours à dépasser. En 2001, à Saint Sébastien, lorsque Buscador, de Victorino Martin, au lieu de se diriger vers la cape qui se déploie, se jette à pleine vitesse sur Juan José, agenouillé a puerta gayola, le choc est terrible. Les deux adversaires décollent du sol. Toute l'arène, dans un cri de terreur, pense le torero détruit. Et pourtant, Padilla se relèvera de cet accident comme des autres, l'égorgement de Pampelune par un Miura l'année suivante, et, le plus grave de tous, l'épouvantable cornada de Zaragoza en 2011. Cette même énergie vitale qui le conduit à affronter et dominer les toros lui permettra de surmonter toutes les blessures que ceux-ci lui infligeront, faisant de sa personne un exemple de la capacité humaine à dépasser les épreuves les plus dures.

   Bien sûr, les limites de sa tauromachie sont connues de tous : un toreo bullicioso avec une propension à très vite passer au toreo de desplante au détriment du toreo fondamental; un manque patent de classe et d'élégance. Il assuma en général parfaitement ce manque, ne cherchant que fort peu à le surmonter, préférant orienter son style vers les modèles d'une tauromachie plus rude, celle du XIXème siècle. Rouflaquettes et montera à l'ancienne furent les éléments visibles de cette quête.
   Deux grandes journées me paraissent témoigner des qualités taurines qui lui ont permis d'accumuler contrats et triomphes durant plus de vingt ans. En juillet 2002, pour les fêtes de la Madeleine à Mont de Marsan, il coupe quatre oreilles aux pensionnaires de Victorino Martin. Une après-midi complète qui montre l'étendue de ses capacités : magnifique répertoire à la cape, poses de banderilles variées et spectaculaires, à la muleta il domine ses deux toros et transmet de l'émotion au public, enfin il estoque remarquablement, avec sincérité et efficacité, bénéficiant certes dans ce domaine de sa taille et de sa puissance. Déclinées pendant vingt ans  devant les toros les plus difficiles et les mieux présentés, il n'est pas étonnant que ces qualités aient fait de lui une figure, même si, en France, on peut regretter des prestations trop souvent sans ambition dans des arènes comme Vic ou Céret. Bien assise sur ce solide fondement technique, sa personnalité rayonnante lui a permis d'obtenir ce que beaucoup de toreros recherchent et peu atteignent : la connexion avec le public.
   En 2005, à Saint Sébastien, il montrera, toujours face à un toro de Victorino Martin, le fameux Muroalto, une facette plus cachée de son talent. Comprenant très vite la qualité de charge du toro, il le torée de manière classique en grandes séries de naturelles parfaites, d'un temple digne des maestros les plus raffinés. Manière que l'Andalou ne cherchera jamais à trop développer, sans doute ne correspondait-elle pas à sa personnalité profonde.

   Aujourd'hui, chacun se réjouit du succès de sa tournée d'adieu. Partout il a reçu un accueil cariñoso. Partout grand public et aficionados ont rendu hommage à son admirable trajectoire, à son courage exemplaire. Bien que la dernière partie de sa carrière, après la terrible cornada de Saragosse en 2011, ait été plus protégée, son ancienneté l'autorisant à jouer le rôle de telonero dans les corridas de vedettes, nous avions toujours peur pour lui, tellement l'usure du temps et des cornadas avait réduit ses capacités physiques. En témoigne cette année, le scalp d'Arevalo dont les médias, toujours prompts à tirer profit des accidents en tout genre, se sont largement repus.
   Il reste à affronter maintenant à Juan José Padilla ce qui ne sera peut-être pas la partie la plus facile de son parcours : le retour à une existence normale après des années de vie trépidante, de gloire, de triomphe, de douleurs aussi. A voir la carrière interminable de certaines de nos figures actuelles, il semble que cette rupture soit redoutée par beaucoup. Mais, comme l'a dit le Pirate dans une entrevue récente : "Le véritable courage consiste à affronter la vie comme elle vient".



                 Photo Laurent Bernède Mont de Marsan 2014

1 commentaire:

Frédéric a dit…

Comment ne pas saluer le courage exemplaire de Padilla, comme tu le fais (fort bien d'ailleurs) sur cet article ? Habitué des courses torista, je l'ai découvert comme toi lors de cette corrida de Floirac, en 1995 et partagé beaucoup des divers événements de sa carrière auxquels tu fais allusion, comme cette terrible cornada de San Sebastian. En 1995, nous avions même fini la soirée de sa tarde Bordelaise en sa compagnie à "Bodega, Bodega" et avions, à cette occasion, découvert un homme fort sympathique, attachant et qui prenait beaucoup de plaisir à nous parler de sa passion.
Comme torero, l'homme avait aussi ses zones d'ombre, comme son attitude scandaleuse à Céret suite à la dramatique blessure de Espla et puis comme lidiador, il est difficile de passer sous silence son torero souvent grossier, voire vulgaire. Mais s'il existe deux choses que l'on ne pourra jamais lui enlever, ce sont: son sens de la communication avec le public et surtout son incroyable courage.
Incontestablement, les prochaines temporadas ne seront pas pareilles sans lui. Quel sera son futur sans les toros ? Effectivement il est légitime de se poser la question, comme tu le fais. Et si sa retraite n'était pas définitive ?