samedi 24 décembre 2011

Cadeau de Noël

Un poème de Michel Deguy,  extrait de N'était le cœur son dernier livre paru cette année aux éditions Galilée (avec des dessins d'Alain Lestié).


Animalières

Je ne voulais pas déranger le chat qui dort dans mon fauteuil. On me le reproche. Mais pourquoi le chasser? N'était-il pas là avant moi? Je me glisse furtif, précautionneux.
Ils étaient là bien avant, en effet, le toucan, sur les berges et le petit saurien d'Amazonie ou le piranha vorace. Je ne reconnais pas ce droit sur le fleuve et la forêt où nous prétendons.
Or malgré cette pudeur, je n'insulte pas la tauromachie comme font beaucoup aujourd'hui. Est-ce contradictoire? Non. Cette belle cérémonie où l'homme conduit le fauve à la mort avec les honneurs et en risquant d'y périr, c'est comme s'il soutenait enfin du regard la mort des animaux. Il assume la responsabilité de les condamner - sans être plus tout à fait dupe de son tribunal : dans la désuétude de son propre apparat hispanique, c'est comme s'il se parodiait; digne et conventionnel comme un juge britannique à perruque, il perpétue sa sentence, mais de manière à compenser par ce combat dangereux l'abattage clandestin, le carnage insensé des espèces dont il engraisse sa propre engeance démographique.

Je me souviens
   de "l'ours et [du] singe animaux sages"
   des chevaux bouclés de Vélasquez et du lion de Barye,
   du taureau de Manet, des tigres de Delacroix et des gorilles de Camilla Adami

Le mauvais traitement c'est le domptage. Je le déteste; mais non la domestication, qui anime la maison animalière. Je n'aime pas le cirque, les dresseurs d'orques éclabousseuses à touristes ou des singes pavloviens et des panthères qu'ils font trop obéir. Je hais la synchronie servile, les récompenses diabétiques, la tyrannie puérilisante, et que les animaux miment l'esclavage. Le zoo même, je ne m'y rends pas volontiers, où les Galapagos sont déportées, et les grands prédateurs souillés.
Que faire? Il est trop tard pour arrêter la contamination du dessin animé. Tous les enfants du monde s'y contr'éduquent, dressés à l'américantropomorphisme, se mirant au miroir maléfique où les animaux ressemblent aux mômeries qu'entretiennent leurs parents, où les souris ont des culottes et les biches des yeux de poupée Barbie : bébé en singe d'un singe inoffensif consomme le remake de l'Éden américain.

Eugène Delacroix Jeune tigre jouant avec sa mère (1830)

4 commentaires:

Ludovic Pautier a dit…

La nuit de noël, tout n'est pas perdu.Deguy nous honore.Merci Don Velonero.felices fiestas, compare.

ludo

el Chulo a dit…

toujours à l'affût velonero.
bonnes fêtes aussi!

velonero a dit…

Ludo y Chulo merci pour vos messages et bonnes fêtes à vous aussi.

pedrito a dit…

Très beau texte: un vrai régal, douce parenthèse dans ce flot de sondages débiles, de mensonges plus gros les uns que les autres, de démagogie sans limite: heureusement que Velonero nous propose comme toujours des textes que l'on n'attend pas forcément.

Gracias, maestro