jeudi 24 janvier 2008

Philosophie de la corrida de Francis Wolff (4) -citations

"Les experts en sociologie élémentaire vaticinaient alors d'un air grave : ''Quand tout le monde mangera à sa faim, il n'y aura plus de toreros, donc plus de corridas''. CQFD. Les experts avaient tort. L'Espagne a beau être devenue un des pays les plus développés d'Europe, il y a toujours autant, si ce n'est plus, de vocations de toreros, les ''écoles taurines'' se sont ouvertes un peu partout réunissant des jeunes gens de toutes conditions, et la France elle-même est devenue un pays de grands toreros, toujours moins faméliques, toujours plus audacieux et déterminés. Ce qui échappe aux ''experts'', c'est qu'on peut rêver d'autre chose que de consommer." (p 135)

"être un torero est commun, être torero est rarissime." (p 138)

"Toute l'équivoque (et la force) de la corrida est là : c'est que, en même temps qu'il affronte le taureau, le torero modèle sa charge et en fait son œuvre. L'un, l'animal, est son adversaire, l'autre, sa charge, est la matière de sa création - et donc son partenaire. Le torero est sur deux fronts : il résiste à l'assaut du taureau, il s'exprime lui-même par sa charge. Telle est l'ambiguïté du rapport du torero au taureau." (p 207)

"Supposez une bête en tout point semblable au taureau, mais sans cornes et donc sans danger véritable, du moins sans risque de vraies blessures, les pires, celles qui pénètrent et parfois mutilent, celles qui tuent : le toreo ainsi décrit comme un art aurait-il le moindre intérêt? Ces courbes, ces séries, ces figures, cette cadence, cette immobilité, cette harmonie, toute cette débauche de formes aurait-elle une signification? Ce serait joli peut-être, ou peut-être estimable. Ou peut-être ridicule. Rien là-dedans ne ressemblerait, au juste, à l'intensité d'un combat. Mais surtout, il n'y aurait rien de la profondeur et de la gravité d'un art, justement. Le paradoxe est là : à voir le toreo seulement comme un art, on ne peut pas l'élever à la hauteur et à l'exigence des arts. Il faut, pour qu'il prenne cette place, lui conserver sa dimension de combat : il faut rendre sa charge au taureau, remettre les cornes à leur place, quelque part entre la tête baissée de l'animal et le corps de l'homme, à la limite entre la défense de la vie de l'un et le le risque de la mort de l'autre. Car la profondeur et la gravité du toreo vient du fait qu'il est en même temps un combat à mort." (p 257)

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