mardi 2 juin 2020

Il y a 40 ans, la feria de Vic-Fezensac 1980




   Le très net recul du coronavirus ces dernières semaines, s'il se confirme, va imposer de nouvelles mesures de retour à une vie normale, à une liberté recouvrée dans la quelle la convivialité et la culture partagée retrouveront leurs droits. Aujourd'hui il n'est plus inconcevable qu'avant la fin de l'été il soit possible d'organiser des spectacles en présence de public. Selon la jauge autorisée, on peut imaginer que, dans un premier temps, des novilladas avec ou sans picadors puissent avoir lieu en France et en Espagne.
   Mais nous n'en sommes pas encore là. Pour pallier l'absence d'actualité nous revisitons le passé et cela ne manque ni de charme, ni d'intérêt, ni d'enseignements. Puisque nous avons vécu une Pentecôte sans Vic je voudrais revenir sur la feria d'il y a 40 ans, celle de 1980.
   En 1980, la tauromachie connait une certaine morosité. Par rapport aux décennies précédentes, les années 70 ont été pauvres en figures marquantes. Malgré cela lors des corridas pour vedettes l'afeitado sévit plus que jamais. D'autre part, les aficionados ont constaté avec amertume que, si le marquage de l'année de naissance des toros a mis fin aux fraudes sur l'âge, il est loin d'avoir résolu les problèmes de force et de caste. Pourtant il y a incontestablement une nouvelle vague d'aficion et cette vague sera majoritairement toriste. La feria du toro de Vic-Fezensac en sera un des fers de lance.

Samedi 24 mai 1980
Six novillos de José Samuel Lupi (mansos) pour Aguilar Granada (applaudissements, silence), Victor Mendes (silence, deux oreilles) et Richard Millian (division d'opinion, une oreille).
   Face à des novillos excellemment présentés, durs et superlativement mansos, les trois espoirs sont souvent dépassés, surtout à l'heure de la mort.
   AGUILAR GRANADA  n'a pas retrouvé et ne retrouvera hélas jamais le sitio qu'une très grave blessure subie l'année précédente lui a fait perdre.
   Victor MENDES débute son idylle avec l'aficion du Sud Ouest. Après avoir souffert avec le 2 qui expédie deux fois de suite son descabello dans les airs, il triomphera avec le cinquième, le plus accommodant du lot. "Deux oreilles exigées pour le sympathique Lusitanien à qui nous souhaitons d'affiner son style pour accéder aux meilleurs sommets, que lui permettent ses moyens physiques et sa volonté de brave", écrit Georges Lestié dans Toros. Victor affinera et deviendra le maestro que l'on sait.
   Richard MILIAN, avec des hauts et des bas, comme toujours, est porté lui aussi par une vaillance hors-norme qui lui permettra de finir l'après-midi une oreille en main et le fera devenir au cours des années suivantes un des toreros indispensables de Vic.

Dimanche 25 mai 1980
Cinq toros de Luis Fraile et un de José Escobar (1 bis) (bons) pour Damaso Gomez (trois avis avec blessure), Gabriel de la Casa (silence, sifflets) et Tomas Campuzano (une oreille, vuelta).
   Cette corrida fut l'archétype des bonnes corridas vicoises. Un lot de toros bien présenté et encasté, deux matadors sur trois prêts à en découdre, une belle faena, une corrida accidentée. Je garde assez précisément en mémoire les heurs et malheurs du brave Damaso GOMEZ. Belle occasion pour rendre hommage au matador madrilène récemment décédé à l'âge vénérable de 90 ans. Torero complet , excellent lidiador capable d'affronter tous les fers, son physique de belluaire n'empêchait point un sens du temple qui lui permettait, à l'occasion, de donner une belle faena. C'est ce qui arriva par deux fois en plaza de Vic-Fezensac. L'année précédente devant un excellent toro de Fraile et cette année-là devant un sobrero de José Escobar. Hélas, le succès promis tourna au cauchemar lorsque sur un derrote le bicho lui fractura un doigt, blessure douloureuse qui l'empêcha de manier l'épée et de tuer ses deux adversaires.
   Gabriel de la CASA, gentil torerito, n'était pas à sa place à Vic.
   En revanche, Tomas CAMPUZANO, dans l'année de sa pleine éclosion, domina ses toros et séduisit les aficionados.
   Quant aux FRAILE, ils firent ce jour-là l'unanimité. Dans Toros, Roger Dumont écrit à leur sujet : "Un nouvel après-midi vicois vient d'entrer dans la légende et bien peu de ses témoins privilégiés en perdront le souvenir. Les hostilités auront duré près de trois heures d'horloge et les rares trêves octroyées ne permirent guère aux spectateurs de recouvrer leur sérénité. Le mérite en revient avant tout au bétail de Luis Fraile, de splendide présentation."

Lundi 26 mai 1980
Cinq toros de Ernesto Louro Fernandez de Castro, un (5 bis) de Martinez Elizondo (irréguliers) pour Ruiz Miguel (une oreille, une oreille), Currillo (une oreille, silence) et Manili (silence, silence).
   Les toros portugais furent certes bien présentés mais ils manquèrent de fond et en comparaison avec celle d'hier la tarde parut décaféinée.
   RUIZ MIGUEL se montra technique et volontaire mais l'oreille qu'il coupa au cinquième fut très contestée.
   J'ai le souvenir d'une jolie faena du fragile CURRILLO. Voici ce qu'écrit de lui Jean Pierre Clarac dans Toros :"Le plus beau fut le second, colorado claro, absolument splendide et d'une suavité inimaginable. Currillo, qui l'avait reçu par une larga afarolada à genoux, ne fut pas mauvais, et il y eut quelques jolies séries suaves et bien liées. Mais le toro manquait de jus, et le torero tua très mal. Le cinquième, très haut, superbe, était assez bon mais Currillo ne se coupla pas avec lui et toréa dans l'indifférence finale."
   Quant à MANILI, son heure n'était pas encore venue, le tigre de Cantillana passa sans peine ni gloire.
   L'entrée fut excellente malgré le temps pluvieux.



   Au delà de ses échecs et réussites, la feria vicoise de cette année 1980 annonçait une période heureuse pour la tauromachie. Une nouvelle génération d'aficionados est apparue qui, peu à peu, saura se faire entendre pour donner au spectacle taurin un tour plus toriste. Ce mouvement s'appuiera sur des élevages qui vont se trouver dans un excellent moment : les Fraile deviendront bientôt les protagonistes d'une des corridas les plus attendues de l'année, celle de Bayonne fin août; les Guardiola tous fers confondus; les Miura qui multiplient les tardes passionnantes, les Victorino Martin dont la consécration médiatique viendra en 1982. On a vu à Vic cette année-là Ruiz Miguel bien sûr, mais aussi Manili, Tomas Campuzano, Victor Mendes, Richard Milian. Avec Nimeño II qui va revenir au premier plan, José Antonio Campuzano frère aîné de Tomas et Luis Francisco Esplá, ils vont devenir, en tous lieux, une des bases des ferias à venir. Des toreros capables de triompher des devises les plus difficiles ... et de remplir les arènes. Si l'on ajoute à ce foisonnement toriste l'apparition de Paco Ojeda  et d'Espartaco ainsi que le retour d'Antoñete, un petit âge d'or se dessine.







photos : toros d'Escolar Gil, de Raso de Portillo, de Los Maños qui auraient dû être lidiés cette annnée à Vic. En espérant qu'ils ne termineront pas leur vie sinistrement dans un abattoir. (CTV)


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