jeudi 4 juillet 2019

Recette

   A l'heure où l'on veut  imposer (les proclamations écologiques de circonstance ont été bien vite oubliées) l'arrivée en Europe de milliers de tonnes de viande bovine sud-américaine à prix défiant toute concurrence et produite industriellement  (nourriture OGM, antibiotiques, entassement des animaux dans des lieux fermés), n'hésitons pas à rappeler à ceux qui n'aiment pas la corrida mais savent se régaler d'un bon beefsteak que le toro de combat finira lui aussi sur l'étal du boucher après avoir connu, le bienheureux, une vie de liberté et une mort en défendant sa peau.
   Voici une recette tirée du livre de Marie Rouanet, Petit traité romanesque de cuisine.



       La grillade de taureau de combat, libations et feu rituel

Songez avant tout que le taureau de combat vit quatre ou cinq ans dans d'immenses pâturages, beau et libre comme au jour de la création; songez qu'il meurt glorieusement, en quelques minutes. Admettez donc que, pour sa vie comme pour sa mort, il est bien mieux partagé que beaucoup d'êtres humains et que la plupart des bêtes destinées à notre nourriture : poules ébécquées, cochons en stalag, veaux dans leurs cercueils de bois. Que vaut-il mieux : l'arène, l'abattoir ou l'hôpital, un tuyau dans chacun de vos trous ? Arrêtez donc de vous scandaliser de la corrida et portez votre indignation sur les élevages de poules.
Vous voilà presque prêt à manger le taureau mariné, l'âme sereine. Parachevez votre paix intérieure en allant à la corrida, même sans rien y connaître. Pour la lumière de six heures du soir, les ombres longues, les cris et les couleurs de la foule, la bête superbe foudroyée par ce petit coléoptère tout doré qui ne marche pas mais danse; le matador.
Dès le lendemain d'une corrida, plusieurs boucheries de la ville annoncent : Vente de taureau. Le boucher écrit sur une ardoise ou un grand papier blanc :
                                 Vente de toro
                                 ou de taureau."
et il ajoute toujours une précision. "Véritable toro de corrida" (véritable est souligné), "Toro de combat tué à la corrida du 12". Il précise pour les amateurs : "toro, Victorino Martin ou Miura" et quand il taillera votre morceau il vous rappellera comme la "faena" était belle.
Ne lésinez pas, achetez-en une belle tranche épaisse. Faites-la mariner un moment - elle ne doit pas tremper, vous la retournerez souvent - dans trois verres d'un bon saint-chinian aromatisé d'un gros oignon doux de Lézignan, de laurier, thym et poivre.
Ne salez pas. Vous salerez seulement dans le plat de service quand le taureau aura cuit vivement - grillée la surface, rouge le cœur - sur une forte braise de sarment de vigne.
Autrefois, dans la Grèce antique, avant de sacrifier le bœuf - il était obligatoire de le tuer avec une lame - on versait du vin sur son front. Et lorsqu'on avait brûlé pour Zeus la graisse fine et quelques pièces de choix, les fidèles mangeaient le reste.
Tout est donc réuni : la lame, le vin, le feu, pour que cette viande exceptionnelle servie sur votre table soit une consommation rituelle.
La part du Dieu est restée dans l'arène : du sang et quelque oreille, à la tranche nacrée, que le matador brandit au-dessus d'un blanc sourire de Méditerranéen, tandis que pleuvent les chapeaux, les souliers et les fleurs jetés par les femmes.


4 commentaires:

Frédéric a dit…

Excellente idée que ces conseils culinaires ! Il ne reste plus qu'à organiser une réunion des lecteurs du blog autour d'une bonne daube de toro.

christian a dit…

Je prefererais perso "un chuleton a la brasa"!!

kingana a dit…

à ce jour je n'ai jamais eu la chance de pouvoir goûter la viande de cet animal malgré mes nombreuses pérégrinations ibériques et c'est un regret !

christian a dit…

Un buon rabo en salca ..que rico!!!