Nous sommes mercredi. A peine deux jours se sont écoulés depuis la corrida de Dolores Aguirre et j'ai l'impression qu'elle a déjà trouvé sa place dans la Chanson de geste des héros de l'aficion. Cantinillo, ultime toro de la soirée, Alberto Lamelas son matador, Gabin Rehabi son picador, Destinado le cheval qu'il montait et Alain Bonijol pour son intervention y figureront à coup sûr.
J'ai vu peu de corridas de Dolores Aguirre et le hasard a voulu qu'elles fussent chaque fois d'une grande toréabilité (j'emploie ici ce mot bizarre à dessein). Mais avec la corrida vicoise de lundi, cinqueña et de tamaño supérieur, nous étions dans une autre dimension de la tauromachie. Hors de la norme assurément mais dans une réalité du combat taurin dont il est bon, de temps en temps, de sentir l'existence. Comme un retour du refoulé qui nous exploserait à la gueule.
Ici, le sens des mots que nous avons forgés pour qualifier le comportement du toro de combat devient incertain. La mansedumbre, par exemple, peut se transformer en qualité lorsqu'elle s'allie avec la caste et la férocité au point de provoquer des émotions que peu d'autres élevages sont capables de susciter aujourd'hui. La puissance et la dureté sont portées à de telles dimensions qu'elles marqueront profondément la mémoire des spectateurs et plus encore certainement celle de tous les coletudos présents dans le ruedo. De cette corrida restera donc le sentiment d'avoir assisté à quelque chose d'étrange, de rare, d'exceptionnel et pour tout cela de terriblement nécessaire.
Quelques images de la tarde
- le galop inépuisable de Comadroso I (2) au troisième tiers, semblant chercher une muleta capable de le dominer
- les banderilleros de Javier Castaño en difficulté face à Comadroso (5) - ce ne sont donc pas des extra-terrestres!
- Gabin Rehabi s'avançant avec foi et innocence dans le terrain de Cantinillo (6) tel Don Quichotte partant à l'assaut des moulins
- la course d'Alain Bonijol vers son cheval resté seul face à la férocité de Cantinillo
- les quatre banderilles posées à l'unité par la cuadrilla de Lamelas avec la compréhension du public (même les plus obtus des spectateurs - et dieu sait s'ils sont nombreux ici - avaient compris le danger)
- la pâleur impressionnante d'Alberto Lamelas lorsqu'il s'est saisi des trastos
- les olés courts et écorchés d'angoisse pendant la faena
- la clameur de délivrance du public lorsque Cantinillo a été foudroyé par le descabello
- la beauté et la sérénité de Destinado lors de son tour de piste final sans caparaçon.
Quelques mots sur la faena d'Alberto Lamelas
Bien sûr il n'était pas question de temple, de repos, d'esthétisme, mais la faena d'Alberto Lamelas fut une vraie faena et non pas seulement un acte d'héroïsme sans effet sur le toro. Elle fut composée de séries construites et terminées par des remates, le torero imposant son trajet à son adversaire. Donnée dans un même terrain, sans passes inutiles, elle fixa le toro. De fait celui-ci se trouva igualado dès la dernière passe. Habitué à charger le leurre durant la faena, il le suivit sans problème lorsque, au moment de vérité, la main gauche du matador dévia son ultime charge. Ainsi, on peut penser que, sans cette faena, l'estoconazo final n'eût pas été possible ou bien se serait terminé en tragédie. La faena de Lamelas peut donc être considérée comme un acte de courage extrême mais aussi comme le parfait exemple d'une lidia exactement adaptée à la condition du toro.
1 commentaire:
Nous avons bien vu la même course même si à Vic, la division d'opinions (surtout durant la lidia) ajoute à la confusion d'où à jaillit l'improbable, le feu, la beauté tout simplement. je suis heureux de voir que nous sommes nombreux à continuer à vaciller suite à cette course...
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