mercredi 10 juillet 2013

1926



   Être aficionado, ce n'est pas seulement parcourir les routes de la planète taurine à la poursuite de ses chimères, c'est aussi, seul chez soi, se plonger dans la lecture de quelque vieillerie qui nous fera rêver à des temps que nous n'avons pas connus. Parmi ces vieilleries, les annuaires qui relatent les temporadas passées ne sont pas les moins intéressants. Je viens ainsi de lire, rédigé par Uno al sesgo et Don Ventura, Toros y Toreros en 1926, justement sous-titré : resumen crítico-estadístico de la temporada taurina. Outre l'intérêt que l'on peut y trouver si l'on est sensible à tout ce qui nous porte vers le passé, on s'aperçoit bien vite que les problèmes de l'époque sont d'une étonnante actualité. Ainsi, en 1926, la question des piques et de l'évolution de la suerte de varas, la mutation qui est en train de s'opérer dans l'art de toréer, avec son corollaire : quels toros pour le nouveau toreo?, sont les principales préoccupations des aficionados. On le voit, ces questions ne sont pas tout à fait étrangères à celles que nous nous posons aujourd'hui.

La question des piques
   Primo de Rivera, chef du gouvernement espagnol entre 1923 et 1930, a créé une commission qui doit faire des propositions destinées à résoudre le problème du tercio de piques. En effet, celui-ci est alors considéré comme étant en pleine décadence. Les chevaux sont des rosses destinées à l'abattoir et les picadors les sacrifient sans état d'âme afin de pouvoir châtier plus facilement les toros au lieu de chercher à leur éviter la cornada, manœuvre qui obligerait à donner des piques plus courtes et plus légères.
   Deux propositions vont émerger. D'une part , un retour à la manière ancienne de piquer avec des picadors indépendants et compétents et des fournisseurs qui offrent des chevaux dressés et en parfait état physique. L'autre proposition, plus facile à mettre en place, consiste à protéger les chevaux des cornadas par l'utilisation d'un peto. C'est cette solution qui sera choisie par la commission en fin d'année. Uno al sesgo conclut ainsi : " La solution du peto nous paraît bonne si l'on n'a pas réussi à trouver mieux; mais nous continuerons à penser que ce peto n'est rien moins que "pain pour aujourd'hui et faim pour demain" (pan para hoy y hambre para mañana). Son adoption, comme celle des bâches pour cacher les chevaux morts, feuilles de vigne des corridas, montre seulement que la suerte de varas est gravement blessée, que le premier tiers de la lidia nous est devenu répugnant, et, soit se modifie dans son essence, soit disparaît; et, si cela devait arriver, ce serait le premier pas vers l'abolition des corridas" (p 64)
   En mars 1927, des essais de peto seront réalisés lors d'une novillada madrilène et le 17 juin 1928 un real orden impose le peto dans toute l'Espagne (Il était déjà utilisé en France depuis de nombreuses années.).

L'art de toréer en pleine mutation
   Nouvelle réalité impulsée par la révolution belmontine, un bon matador est désormais un matador qui possède de l'art et du temple. Il est capable de parar et d'aguantar, c'est à dire de recevoir sans bouger la charge du toro et de maintenir sa position durant le déroulement entier de la passe.
Juan Belmonte, qui a repris l'épée en 1925, est d'ailleurs le numero uno incontestable. Il est à l'apogée de sa carrière car il a acquis une sécurité et un dominio qui lui faisaient défaut à l'époque de sa rivalité avec Joselito.
   Derrière lui ce sont donc les "stylistes" qui passionnent les publics : Antonio Marquez, Cayetano Ordoñez "Niño de la Palma" et Chicuelo.
   Mais la tauromachie a aussi besoin de valeurs sûres, de lidiadors vaillants et réguliers sur lesquels on peut compter. Nicanor Villalta et Ignacio Sanchez Mejias occupent ce terrain-là.
   Enfin, en cette période où le toreo artistique est en train de s'imposer dans le paysage taurin au détriment des anciens fondamentaux, le bilbaino Martin Agüero est le principal mainteneur de la grandeur de la suerte suprême. Grâce à la qualité et à la beauté de ses estocades il a réussi à toréer 50 corridas et a connu de grands succès tout au long de la temporada.
   Contre les tenants de la supériorité du toreo des temps passés, les auteurs défendent l'évolution en cours. Ils estiment que les matadors d'aujourd'hui foulent des terrains que n'ont jamais foulés ceux d'hier. Ils en veulent pour preuve le nombre de plus en plus important de percances subis par les hommes de lumière. Cette année-là c'est Manuel Baez "Litri" et Mariano Montes qui seront victimes de la corne des toros.
   Les toros, justement, que deviennent-ils dans cette évolution?

La question des toros
   Dans son préambule à l'analyse de chaque ganaderia Uno al sesgo condamne la tendance des figuras à toréer des animaux de trois ans et d'à peine veinte arrobas (230 kilos en canal, soit 365kilos en vif) et parfois moins comme ce fut le cas à Vitoria lors du scandale généré par les bichos de Villar.
Pourtant, "avec des toros de 300 kilos (523 kilos en vif) de Pablo Romero, Moreno Ardanuy, Santa Coloma, Federico, etc., les bons toreros ont réalisé cette année de superbes faenas, avec l'avantage que, face à un ennemi de respect, le mérite augmente et l'art brille davantage."
   L'élevage qui a eu la camada la plus régulière en bravoure est celui de José Luis et Felipe Pablo Romero, "une des castes les plus braves d'Espagne, qui sans perdre en rien ses caractéristiques de poder et de dureté lors du premier tercio, a gagné beaucoup en noblesse et en docilité ce qui fait que maintenant les bons toreros les toréent a gusto."
   Parmi les ganaderias les plus en évidence en 1926 on peut citer Carmen de Federico (Murube), Guadalest (Vistahermosa x Vazquez), Felix Moreno Ardanuy (Saltillo) et Santa Coloma.
   Mais en ces années 20, la nouveauté vient du campo charro où émergent de nombreux élevages que les figures se disputent. Parmi eux, Andres Sanchez "Coquilla" dont les toros triomphent à Madrid avec en particulier Tramillero "lidiado el 25 de avril. Tomó cinco varas, por tres  caídas y dos caballos, con bravura y codicia; fué noble y dócil en los tres tercios y se le despidió con una gran ovación cuando las mulillas le dieron la vuelta al ruedo."
   87 ans plus tard, le 8 mai dernier, à Saintsever, ses frères de sang, ultimes représentants d'un encaste aujourd'hui marginalisé, n'ont pas démérité non plus, mais leur combat avait un goût plus amer.


1 commentaire:

el Chulo a dit…

parfait comme toujours, velonero