mardi 20 mars 2012

Quand Saint-Simon rend compte au roi d'Espagne d'une manifestation en faveur des corridas

En écrivant ses Mémoires, le duc de Saint-Simon a composé une des œuvres les plus colossales et les plus influentes (rien moins que Proust et Céline comme héritiers) jamais écrite en langue française.
De 1681, date de sa présentation au roi Louis XIV et de son entrée dans les mousquetaires (il a alors 16 ans) jusqu'en 1723, année qui voit la mort de son ami d'enfance et protecteur le duc d'Orléans, régent du royaume, rien de ce qui se passe dans les arcanes du pouvoir n'échappera à son œil acéré. Il se retire alors sur ses terres et pendant plus de 20 ans, il peaufine la version définitive de son œuvre. 7000 pages jubilatoires et impitoyables destinées à montrer les turpitudes du Roi et de la Cour, à regretter le temps -imaginaire - où les Grands du royaume, encore tout empreints de rigueur morale, dirigeaient la politique du pays avec pour seule fin d'établir le bien public et non en pensant à leur enrichissement personnel.
On le voit, les liens avec notre époque ne manquent pas. Les pages sur la Banque de Law, la spéculation effrénée qui l'entoure et sa banqueroute inéluctable pourraient avoir été écrites de nos jours.

Mais venons-en aux toros. Entre octobre 1721 et avril 1722, Saint-Simon passe six mois en Espagne en tant qu'ambassadeur extraordinaire. L'aficionado se frotte les mains, espérant la description d'une corrida royale. C'est compter sans les contretemps de l'Histoire. Car il faut se rendre à l'évidence, Philippe V, petit-fils de Louis XIV, est sur le trône espagnol depuis 1700. Il organise pour son plaisir des chasses terriblement meurtrières mais ne goûte pas les corridas de toros. Cette aversion conduira à la disparition des corridas aristocratiques du paysage taurin espagnol.
Pourtant le peuple ne l'entend pas de cette oreille. Ainsi, un jour, alors que Saint-Simon visite la plaza Mayor :

"Dès que je parus sur le balcon, tout ce qui était dans la place s'amassa sous les fenêtres et se mit à crier : Señor, toro! toro! C'était le peuple qui me demandait d'obtenir une fête de taureaux, qui est la chose du monde pour laquelle il a le plus de passion, et que le roi ne voulait plus permettre depuis plusieurs années par principe de conscience. Aussi me contentai-je le lendemain de lui dire simplement ces cris du peuple sans lui rien demander là-dessus."

Ce ne sont que 5 ou 6 lignes noyées dans l'immensité de l'œuvre mais peut-être les seules dans lesquelles apparaît la vox populi.

Ce que Saint-Simon ne verra pas : corrida royale sur la plaza Mayor en 1675 (anonyme)

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