dimanche 17 juin 2007

Corrales

Ils sont les veuves noires
crucifiées
par le ciel
Leurs mufles soufflent des rages
des torrents d'orage
des postillons de furie
Ils ont l'air cons et nus
dans leur prison de pierre
Ils ont connu la plaine immense
La liberté sans barbelés
La sauvagerie
ébouriffée
Ils n'ont plus que les murs et leurs sueurs de maçons
maigres
Leur repas un oignon
Le vin clair dans leur glotte de dindon
Les nuages pleureurs ont lavé les joues de leur passé
Un camion les a brinquebalés
La lumière demain va les assassiner
Ils sont perdus
Indiens dans le métro
La terre toujours frissonne de soif
Ils pissent
comme des vaches
Et même leurs ombres leur font peur
Des portes claquent
dans des bruits de ferraille
Des voix s'éraillent
Des sifflets calment et entourloupent
Souvenirs de galop
Nostalgie de chevaux
Ces amis ces traîtres
Détresse d'abandonnés
Frayeur rassemblée de harde
Le blanc des murs est dur
La chaux est vive dans l'œil noir qui cherche l'olivier
et la mésange bleue d'un printemps
de luzerne
Une femme au balcon entre deux pots de géraniums saignants
regarde leur misère
comme un ragoût mijoté sur le feu
du soleil aussi blanc que le lait de la vache là-bas
au pays de la menthe sauvage
de la yerba buena
entre le chêne vert et le buisson d'épines
La vache mère de liberté
La prison des corrales
n'est qu'une garde à vue
Regardez-nous casquettes
et chapeaux cordouans
Tirez-nous au sort
Nous les anges assassins éperdus de lumière
Nous les veuves couillues
noirâtres destinées
Et notre vache mère sous la lune
des grillons
au fond d'un ravin
mitraillé d'étoiles
d'un meuglement plaintif
d'une mamelle sèche
annoncera la peine de celles qui voient partir
leurs enfants à la guerre

Patrick ESPAGNET
Les noirs
Editions Loubatières 2002

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