le corps du torero
"Et c'est parce qu'il paraît inintéressant pour le taureau que le corps du torero deviendra intéressant, visible, éblouissant pour le public. Plus votre corps sera absent pour le taureau, plus il sera présent, net, beau, invulnérable et grandiose pour le spectateur. Ainsi, il vous faudra apprendre la quiétude du corps, sa totale désinnervation; plus : le blocage de toute possibilité de mouvement brusque." (François Coupry, p. 170)
le temple
"Le temple a pour but pratique d'allonger le moment où le taureau baisse la tête. Revenons donc à ce mouvement du taureau quand il charge, quand il veut tuer : il baisse la tête et la relève. Templer, c'est étirer au maximum le moment de la charge où le taureau garde la tête baissée. Le taureau en courant va garder pendant un mètre la tête baissée, attitude aussi peu naturelle pour un taureau que de ne pas fuir pour un torero. Toréer - templer -, la rencontre de deux monstruosités, de deux anormalités : un homme qui ne fuit pas devant un taureau, et un taureau qui garde la tête baissée longtemps pendant sa charge sans la relever immédiatement ... A chaque millimètre le taureau demande : je peux frapper ? à chaque millimètre le torero répond : plus tard." (François Coupry, p. 287)
les gestes taurins
"Sont gestes taurins les gestes qui échappent au rituel, mais le
prolongent. Il n'y a pas de définition du geste taurin. Il appartient au
seul torero, et le qualifie dans l'instant où il s'accomplit. Il n'est
en aucun cas une figure imposée; mieux, pour être taurin, le geste se
doit de sortir de l'ordinaire de la corrida. Il peut se jouer dans la
gloire comme dans la défaite; et souvent, davantage encore dans la
défaite que dans l'exploit. Ainsi, El Cordobés, recevant une volée de
coussins à Pampelune, ville qui n'aime guère ce gars du sud
irrespectueux et brouillon, se mit à toréer les coussins, après n'avoir
pas toréé le taureau. Ainsi, Curro Romero, ayant comme il lui arrive
manifesté une royale incompétence, subit sans broncher une énorme bronca
(chahut) qui lui était due, immobile au milieu de l'arène, et la ville
ne parla ensuite que de son extrême dignité." (Catherine Clément, p.
389)
le taureau fabriqué par les mots
"On peut voir, d'abord, comment ces mots ''noble'',''brave'', ''tardo'',
etc., emprisonnent, délimitent des comportements, mais aussi les
obligent, car si un taureau ne rentre pas dans ces mots, si un taureau
est innommable, si son comportement ne figure pas dans ces cases, il ne
pourra combattre, ou s'il combat, ses parents seront punis.On remarque
déjà là, que le taureau de combat n'est pas un animal sauvage, mais un
animal fabriqué avec des mots." (François Coupry, p. 319)
le taureau trompé
"Objectivement, pauvre taureau, vous êtes trompé deux fois : on canalise votre rage vers la partie secondaire de la masse torero-muleta, vers la partie non directive, et de plus on retarde l'assouvissement de votre violence tout en vous faisant croire que vous êtes le maître de tout et de ce retard en particulier ! Mais vous ne savez pas cela; dans vos muscles, vos nerfs, vos cornes de mort, vous vous vivez simplement sur le point de tuer, et le retard de ce délicieux meurtre, son ajournement constant ne fait qu'ajouter à votre envie. Et vous vous donnez encore plus, tête baissée. Vous vous gonflez de cette rage, prenante parce qu'inassouvie, comme un jus de jouissance..." (François Coupry, p. 415)
blessure écartée, remate
"Blessure écartée en début de passe, quand le taureau dévie sa charge vers votre muleta; blessure rappelée quand vous conservez la charge du taureau autour de vous; blessure à la fois écartée et rappelée dans le temps du temple. Et si vous vous placez trop en avant ou trop près, la corne rentre dans le ventre, brûlure; si vous vous placez trop en arrière, trop loin, le taureau n'est dirigé que sur l'œil de votre côté, et il vous vient dessus; si vous vous laissez accrocher la muleta, le taureau lève brutalement les cornes vers votre ventre, brûlure;si vous retirez trop vite le leurre, le taureau, aussi, lève les cornes, brûlure.
Et il tourne autour de vous, il tourne - volontairement vous restez à
possibilité de blessure. Et le taureau revient. Mais vous restez au
même lieu, pour la passe de poitrine qui termine la série de passes de
la main droite ou de la main gauche. Et d'un violent coup de tête, le
taureau se dégage. Et vous vous retrouvez là, un peu soûl, seul,
flottant, la tête vide, tout ça, de tout ce qui s'est passé dans quatre
passes. Et vous relevez la tête, il y a un bruit, des cris, des
applaudissements de dix mille spectateurs : qu'est-ce qu'ils faisaient là ?" (François Coupry, p. 417)
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