dimanche 1 mars 2015

Toreos (3) le toreo moderne

   Ce qui est moderne c'est ce qui est actuel, contemporain, qui bénéficie des progrès récents, qui correspond au goût, à la sensibilité actuels, me dit le Petit Robert. Ce qui est moderne est donc mouvant : moderne aujourd'hui, classique ou démodé demain. La tauromachie n'échappe pas à la règle. Ainsi le toreo moderne initié par Juan Belmonte et perfectionné par ses successeurs dans les années 20 et 30 est-il aujourd'hui devenu le toreo classique. Dans les années 40, sous l'influence de Manolete la modernité s'incarna dans le toreo de profil. Toreo de profil que les tremendistes des années 50 (Litri, Chicuelo II, Pedres) puis El Cordobes dans les années 60, Damaso Gonzalez enfin dans les années 70, ont considérablement baroquisé. Mais ''comme il n'existe pas trente six mille manières de capter l'élan d'un monstre avec un morceau d'étoffe mais seulement et fondamentalement quelques-unes, toute rupture radicale avec des règles (comme en peinture avec le sujet, en musique avec l'harmonie, en sculpture avec la forme, notre époque a été ivre de ça) a été interdite à l'art de toréer" (Jean Cau). Aussi, lorsqu'arrive Paco Ojeda dans les années 80, son génie fut d'être à la fois un rénovateur du toreo classique et, pour sa face moderne, un réinventeur du toreo de proximité en utilisant les acquis des toreos trémendistes qui l'avaient précédé.Le toreo moderne que l'on pratique aujourd'hui doit encore beaucoup aux apports du Tartesico.


Petit panorama du toreo moderne actuel : les principales suertes, celles qui plaisent le plus au public 

Cambio por la espalda ou pase del pendulo
   Issue du répertoire trémendiste (litrazo, pedresina) et mexicain (dans Tauromachie à l'usage des aficionados, Alejandro Silveti dit l'avoir vu realisée pour la première fois par Carlos Arruza), cette passe a connu en quelques années un succès foudroyant au point que rares sont les toreros qui ne la donnent pas au moins de temps en temps au cours de la temporada sans compter ceux, tel Sébastien Castella ou Miguel Angel Perera, chez qui elle est presque systématique. Donnée en début de faena quand le toro est encore vif et capable de longues courses elle est d'un effet certain sur le public. Pour une étude plus complète de la passe voir ici.

Le toreo en redondo de liaison continue 
   Depuis les apports de Belmonte, la recherche d'une solution au problème de la liaison entre les passes a été le principal moteur de l'évolution du toreo de muleta. Il me semble que ces dernières années des diestos tels que El Juli, Miguel Angel Perera puis José Maria Manzanares fils ont réussi à mettre au point une technique qui leur permet de guider l'embestida du toro dans des lignes courbes infinies.
   Cite sur l'œil contraire avec le pico de la muleta dirigé vers l'extérieur (por fuera), corps situé dans l'œil du cyclone, c'est à dire hors de la ligne de charge du toro par le positionnement de la jambe contraire en retrait, et espace important maintenu entre le corps du torero et celui du toro (torear despegado) sont les clés de la réussite. Lorsque le matador fait preuve de temple et de mando et si le toro est de la catégorie des toros boyantes, une infinité de trajectoires deviennent possibles en alternant parcours naturels, contraires et changements de main. Miguel Angel Perera est actuellement un maitre dans cette façon de toréer.

Le toreo encimista 
   En fin de faena lorsque le toro est alourdi, pour obtenir les mêmes effets en utilisant les mêmes bases techniques, un aménagement est nécessaire. La solution, portée à sa perfection par Paco Ojeda, consiste à raccourcir les distances (toreo encimiste) et à se présenter de dos au toro (toreo culero) exerçant une torsion de son corps de façon à pouvoir présenter la muleta du côté choisi (en trajet naturel ou cambiado) et à dérouler la passe au fur et à mesure que le corps retrouve une position normale. Le terrain foulé - au plus près du toro - suscite l'émotion mais oblige le matador à citer vers l'extérieur (por fuera) pour rendre la passe possible.
   Cette façon de faire est fréquente dans les arènes de troisième et deuxième catégorie mais assez peu utilisée dans des arènes comme Séville ou Madrid. 
   A noter une variante, donnée genou plié par Enrique Ponce, la poncina.

   Une nouvelle suerte est apparue il y a peu utilisée elle aussi en fin de faena : la luquesina (de Daniel Luque) qui consiste, après avoir jeté l'épée au sol, à donner une succession de passes de la main droite et de la main gauche, le changement de main étant facilité par l'absence de l'épée. La suerte est peu usitée bien que reprise récemment par Juan Bautista.

   Mais le toreo moderne ne concerne pas uniquement la faena de muleta. Il convient de mentionner  une suerte de cape, la zapopina, importée du Mexique par Julian Lopez "El Juli" et donnée régulièrement par Joselito Adame, ainsi que, aux banderilles, la pose al violin qui nous vient du rejoneo.


   Toutes les suertes que je viens d'énumérer ont une caractéristique commune : la recherche du spectaculaire et de la virtuosité. Ce sont, me semble-t-il, les deux ressorts sur lesquels s'appuie le toreo moderne pour toucher le public. Il est en cela en totale opposition avec le toreo classique qui utilise, lui, le minimum d'effets.
   Pour terminer, une question que se posent beaucoup d'aficionados. On a vu précédemment que le toreo classique avait une forte valeur éthique en ce qu'il reposait sur une acceptation maximale du risque encouru par le fait de dévier la charge du toro en chargeant la suerte. A partir du moment où, dans le toreo moderne, le matador fait le choix de se tenir plus à l'écart de la charge du toro  ne doit-on pas considérer que sa valeur morale est moindre?
   Oui, répondent certains et ils tiennent le toreo moderne pour un signe de décadence de l'art taurin.
   Non, répondent d'autres; les facilités que se donnent les toreros sont compensées par un aguante supérieur et par une maitrise de la charge du toro (temple et mando) sur une distance et un temps plus longs; en outre les exercices de virtuosité nécessaires pour obtenir l'adhésion du public constituent une réelle prise de risque.

A suivre ...


  PS : Sur la complexité de ces problèmes, je  voudrais  mentionner un article de Thierry Vignal  Toreo classique et toreo moderne : le fond et la forme  paru dans Toros n°1990, novembre 2014.




   
  

Guy Berthou  Chemins tracés



   



2 commentaires:

el Chulo a dit…

Toujours parfait velonero. Le seul problème du toreo moderne qui a le mérite de plaire aux peu initiés, par son esthétique un peu forcée, est qu'il nécessite des toros qui acceptent d'être toréés à distance et qui, noblotes voient rarement le hueco. C'est bien sûr la raison pour laquelle on a adapté les toros à ce toreo avec le résultat que l'on sait.
Je comprends qu'on aime même si ce n'est pas mon cas. Donc ce n'est pas sur le principe qu'il y a discordance mais sur les effets secondaires et indésirables.
C'est vrai aussi qu'en peinture il ya Rembrand et Picasso, en poésie etc...........;Tout art évolue mais la corrida fait intervenir le taureau, ce qui fait sa spécificité.

velonero a dit…

Oui, tu as raison Chulo, le toro finalement c'est à lui qu'on en revient toujours. J'ai l'intention d'en parler dans un prochain texte.