Roger Wild est un peintre et dessinateur suisse (espagnol par sa mère) décédé en 1987. Il fait partie de cette lignée d'artistes et d'intellectuels que l'amour de l'Espagne a magnifiquement inspirés. Il nous offre ces Chatos en Espagne pour le plus grand plaisir de notre palais et aussi, un peu, pour nous aider à revivre, par la magie de sa langue riche et de son regard subtil, les moments si lumineux que l'on peut connaître sur les chemins de l'Espagne profonde.
"Ceux que l'Espagne émeut pour le bon motif, les hispanisants bon teint se méfient d'abord des sortilèges de l'Andalousie où ils voient des pièges, assez ordinaires, concrétisant à la puissance suprême la pacotille de l'espagnolisme courant : œillets grenat, œillades derrière les grilles, pompons, castagnettes, ronde grégaire du tourisme organisé.
Combien apparaissent plus pures et authentiques les séductions sévères de l'inexorable Castille!
Pourtant, lorsqu'on pénètre plus avant dans la connaissance de cet admirable pays, semé de mirages et d'enchantements, où le climat légendaire peut être reconstitué partout, l'accent unique du miracle andalou ne tarde pas à s'imposer. Et non plus comme un conglomérat de choses uniquement aimables et légères mais au contraire, fortes, puissantes, profondes, de personnalité inimitable, pleines de gravité, mais d'une gravité à ce point ombrageuse et pudique qu'elle se voile de grâce, se grise, s'étourdit pour mieux donner le change."
Le toreo, le cante, la peinture sont les clefs qui vont permettre l'accès au monde hispanique le plus secret et le plus intime.
"La tauromachie ne s'explique pas, elle se sent. Est-ce à dire qu'on ne puisse utilement disputer sur elle?
Ce serait méconnaître le penchant de l'aficionado à raisonner éperdument des choses de la corrida. Raffiner sans cesse sur son plaisir ou son déplaisir, jouer à replonger dans l'ombre ce qui depuis trop longtemps était radieux et en faire resurgir ce qui semblait voué au montón, voilà, semble-t-il, l'axe d'élection où oscille sa méditation pendulaire lorsque dans les longs hivernages, loin des ruedos, il rumine les faenas qui l'ont exalté ou déçu.
Dans la placeta d'un élevage, on torée des vachettes. Deux diestros en vogue, un maître retiré, le ganadero, quelques amateurs ont successivement travaillé dans l'indifférence des assistants. Un jeune bouvier de treize ans, front têtu, oreilles décollées, s'essaye à son tour. La mince silhouette se tend, s'infléchit, torse cambré, pieds immobiles. Les bavardages cessent, il n'a fallu que quelques passes pour fixer l'attention.
Mesurer le dosage de superbe, d'adresse, de grâce, la part de va-tout, de prédestination, d'"on ne sait quoi", d'angel qui font dire de ce bouvier minable mais soudain transfiguré : el chaval tiene algo torero. C'est à la reconnaissance de ce je ne sais quoi qu'il nous a paru essentiel de dédier nos soins."
Lorsqu'il se fait défenseur de la corrida Roger Wild convoque de savoureux souvenirs. Ainsi cette évocation de Paul Valéry :
"Des hommes de grand mérite qu'il nous a été donné d'approcher, presque tous étaient tauromaches de cœur sinon de fait.
Je ne rencontrais jamais Valéry qu'il ne me demandât les yeux incendiés de malice - cette gentillesse amusée était une de ses parures - "Tenez vous pour le Recibir ou pour le Volapié?" Écho, résurgence de discussions d'aficionados que son enfance sétoise avait fidèlement enregistrées. Je prenais un air très entendu, découvrant des cimes vertigineuses de savoir, l'altissime poète estimait prudent de changer de sujet."
Enfin, dans un dernier texte Ferroviaro (Réhabilitation du picador) qui fait figure de manifeste, il va jusqu'à trouver des accents très "militants" pour défendre, contre "les vividores de la fiesta", le tercio de pique qui "demeure l'un des points culminants de la corrida".
Roger Wild, Chato en Espagne, dessins et ornements de l'auteur, Robert Laffont, 1964
On peut le trouver chez les bouquinistes.
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