dimanche 5 février 2012

Laurent Tailhade, La corne et l'épée

Laurent Tailhade, polémiste libertaire comme on n'en fait plus, a été, au tournant du XIXème siècle, un provocateur littéraire, politique et social de haute volée. Parmi ses titres de gloire :  six mois de prison pour avoir écrit un article incendiaire, véritable appel au meurtre à l'encontre du tsar Nicolas II à l'occasion de sa visite officielle en France; son évacuation de la ville de Camaret sous la protection de la maréchaussée à la suite de ses diatribes contre la bigoterie et l'alcoolisme des populations locales - la célèbre chanson paillarde mettant en cause la vertu des filles du pays aurait été écrite pour se venger des Camarétois; une trentaine de duels, à l'épée ou au pistolet, auxquels il survécut malgré quelques sérieuses blessures. Tout cela avec force contradictions, palinodies et clins d'œil ironiques du destin. Tel cet attentat anarchiste dont il fut victime (il y perdit un œil) alors qu'il avait applaudi quelques mois plus tôt à l'attentat de Vaillant contre la chambre des députés.
Aficionado convaincu, il ne manquait pas une occasion de ferrailler contre les défenseurs des animaux.
La corne et l'épée est un recueil de ses textes taurins rassemblés et publiés en 2011 par les éditions le Festin.
Voici, bel exemple de sa verve ravageuse et jouissive, un extrait de sa lettre ouverte à M. Uhrich, protecteur d'animaux :

La réclame que vous battez sur le cuir des rossinantes et des taureaux si ''méchamment mis à mort'' par Guerrita ou Bonarillo ne date pas d'hier. L'Eglé du ''pauvre Gilbert'', à qui

Un papillon mourant faisait verser des larmes,

assistait, d'une incomparable froideur, à l'inique supplice de Lally-Tollendal. C'était l'aïeule des précieuses de chenil rangée sous vos drapeaux. Car ces anges minaudiers ont d'habitude, sous leurs grimaces doucereuses, une complexion d'eunuque ou de bourreau. L'amour excessif que les catins manifestent à leurs bichons, ces animaux deux fois immondes, éduqués à lécher les excréments du privé et les ordures de l'amour; la manie imbécile des gâteuses sexagénaires qui transforment leur logis en asile pour les matous galeux et les barbets errants, tandis que, sous les ponts misérables, tant de hères passent les nuits de janvier; la fausse bonté dont les antiques ladres pavoisent leur avarice; la badauderie si aisément exploitable des riches idiots; le gâtisme sentimental de Joseph Prudhomme - tous ces éléments réunis et combinés ensemble forment le riche capital sur quoi vous trafiquez, depuis maintes années, sans que le fantôme du ridicule et le dégoût du personnage que vous tenez aient pu dévier, un instant, ce que vous appelez, sans doute, en style de Jocrisse, ''votre sacerdoce'' ou bien encore ''votre mission''.
Heureux mortels! Vous protégez les animaux, depuis le sansonnet de ma portière jusqu'aux biques montagnardes pour qui, dans la solitude tentatrice des hauts lieux, quelques bergers éprouvent une tendresse inconvenante, jusqu'aux pauvres biquettes dont le pucelage est commis à vos soins :

Allez, troupeau jadis heureux! Allez, mes chèvres!

2 commentaires:

el Chulo a dit…

Formidable!

Quelle merveille!

Merci amigo de m'avoir fait découvrir cette merveille!

pedrito a dit…

J'achève le dernier bouquin de Patrick Besson, - "Journal d'un français sous l'empire de la pensée unique"- et je crois que " La corne et l'épée" sera mon prochain ami, grâce à toi, Velonero.
Merci pour cette lecture ô combien rafraîchissante, ce monsieur Laurent Tailhade mérite le détour.
Abrazo