mardi 20 avril 2010

A propos de Manolete


La sortie sur les écrans du film Manolete de Menno Meyjes avec Adrien Brody et Penelope Cruz est une bonne occasion pour revenir sur le toreo du Cordouan. Voici quelques extraits du livre de José Vicente Puente, Manolete ou le délire d'un peuple :


Manolete réalise la prophétie de Belmonte : Un torero viendra qui saura bien toréer quatre-vingt-dix pour cent des taureaux; et qui pour tous aura le courage d'empiéter sur le territoire que la bête se réserve instinctivement.
La volonté du Cordouan parvient à mêler les traditionnels domaines respectifs du taureau et du torero. Il franchit la limite interdite au-delà de laquelle l'attend le coup de corne. C'est ainsi qu'il arrive à mener jusqu'à leur terme tant de parfaites faenas. (...)

Manolete s'en tient à un seul type de faena et il y introduit peu de changements. Son mérite est de l'adapter à tous les cas, de la faire accepter par tous les taureaux que le sort lui envoie. C'est là le miracle de son art. (...)

La doctrine de Manolete peut ainsi se résumer : un art épuré au point que seul l'essentiel soit conservé pour en faire une œuvre de beauté. Dans l'application, ce sont d'abord les véroniques parfaites, et les doubles demi-véroniques pour clore audacieusement la première phase de la corrida. Les banderilles sont ensuite laissées aux banderilleros. Puis la muleta levée pour des passes exécutées dans une immobilité de statue, à moins qu'il ne faille commencer par s'infléchir avec certains taureaux. Tout de suite la muleta dans la main gauche pour des naturelles amples et arrondies. Changement de main pour parfaire le cercle avec la droite. Quelques manoletines pour l'éblouissement des yeux. Enfin, la profonde et sévère estocade. C'est fini. Sans afféterie, sans allées et venues, sans faux éclats. (...)

Pour satisfaire ces goûts nouveaux il devient nécessaire de réduire le gabarit des bêtes; leur poids, leur âge, la longueur des cornes. Avec les énormes fauves d'antan, les recherches plastiques seraient impossibles.
Le public veut de la beauté. Il cède de son intolérance au sujet de la taille du taureau. En échange de cette concession, il devient exigeant sur la qualité des images qui lui sont offertes. Devant un adversaire plus léger, le torero se doit d'améliorer son travail. De lutteur il doit passer au rang d'artiste. Grâce et invention devant les cornes. Il doit avancer, muleta en main jusqu'en terrain interdit. Non plus combattre sur la défensive mais attaquer le taureau dans son réduit.
Un artiste, voilà le nouveau type du torero. Avant qu'on ne se fût décidé à réduire les dimensions du taureau, les seuls matadors qui comptaient étaient ceux qui se montraient simplement capables d'en venir à bout. Hommes tirant leur popularité d'un acier efficace.
Depuis qu'est née la nouvelle tendance, le torero artiste a pu s'aligner dans l'arène à côté de ces durs matadors. (...)

Le péril est toujours aussi grand. Être partisan du toreo statique ou demeurer un fervent de la bête imposante est affaire d'opinion. Mais la vérité est que le matador actuel assume autant de risques que ceux d'autrefois. S'il a cette conscience professionnelle dont Manolete fut un inoubliable exemple. (...)

Manolete ne se défait pas du toro de n'importe quelle façon mais en respectant les règles de la mise à mort dans le sévère style traditionnel, avec le péril qu'il comporte. Il met fin, et c'est là un de ses apports, à la complaisance envers les toreros uniquement artistes qui se montrent incapables l'épée à la main. Manolete enseigne à toréer sur un terrain conquis, épure les passes et donne toute sa signification au nom de matador : celui qui tue.

(Tous ces passages sont tirés du chapitre XI Doctrine taurine de Manolete)



Manolete est mort en 1947. Le livre a été écrit en 1960. Et pourtant, plus de 50 ans après, on a l'impression que peu de choses ont changé. Deux des principales figures actuelles ont un toreo qui se situe dans la continuité de celui du Cordouan. Et la question du rapport entre toro et toreo agite toujours le monde de l'aficion. Elle est même devenue une ligne de fracture entre aficionados toristes et aficionados toreristes... On ne peut que souhaiter, dans 50 ans, aux aficionados de la deuxième moitié du XXIème siècle d'avoir les mêmes sujets de discorde, témoins manifestes de la vitalité de la corrida.



José Vicente Puente, Manolete ou le délire d'un peuple, del Duca, 1961
traduction Henri Mengotti
En espagnol : Arcangel, novela del torero Manolete, 1960






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