mardi 23 mars 2010

Hemingway, fascination pour la corrida (1)

Voici le premier texte écrit par Ernest Hemingway sur la corrida. Sa particularité est d'avoir été écrit et publié (au début de 1923) avant que le jeune écrivain n'ait vu la moindre corrida. Les spécialistes pensent qu'il s'est appuyé sur des récits d'amis américains comme Gertrude Stein. Il montre la fascination qu'exerçait la corrida sur Hemingway avant même qu'il ait pu se frotter à sa réalité. Il montre aussi sans doute que devenir aficionado c'est, dans un premier temps, avoir la possibilité d'être happé par l'imaginaire des mots et des récits; et j'ai bien peur que les pauvres images vidéo qui en tiennent trop souvent lieu aujourd'hui soient loin d'avoir la même force.

"Le premier matador prit la corne au travers de la main droite et il sortit sous les huées. Le second matador glissa et le taureau lui transperça le ventre ; le matador s'accrocha à la corne d'une main tandis que l'autre se pressait contre la blessure, puis le taureau le projeta, boum, contre la barrière et la corne sortit; le matador tomba dans le sable, puis il se releva comme pris d'une ivresse folle et se débattit contre les hommes qui l'emportaient, hurlant qu'on lui rende son épée, mais il s'évanouit bientôt. Le gosse entra dans l'arène et il dut tuer cinq taureaux car il n'y a jamais plus de trois matadors et au dernier taureau il était si fatigué qu'il n'arrivait pas à enfoncer l'épée. Il pouvait à peine lever le bras. Il essaya cinq fois, mais la foule resta calme car c'était un bon taureau et cela semblait être lui ou le taureau, puis il finit par réussir. Il s'assit par terre et se mit à vomir; on le recouvrit d'une cape tandis que la foule hurlait des vivats et lançait des choses dans l'arène."


Extrait des Nouvelles complètes d'Ernest Hemingway, Quarto, Gallimard, traduction de Céline Zins
Hemingway en 1923
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