jeudi 26 février 2009

A propos du tercio de piques (1)

A défaut de le voir correctement exécuté, on n'a jamais autant parlé du tercio de piques qu'aujourd'hui. Colloques, articles, textes sur internet, discussions au sein des clubs taurins, la revue Terres Taurines a même publié un numéro complet sur le sujet.

Qu'est-ce qui justifie dans le moment que vit actuellement la corrida un tel intérêt porté à la suerte de picar?
La question est complexe tant le monde de la corrida est parcouru de mouvements divers et ondoyants, parfois contraires ou obscurs. Il me semble, par exemple, que, ces dernières années, sous l'influence des aficionados, grâce aussi à l'organisation de corridas-concours, on a redécouvert la grandeur du premier tiers lorsqu'il est bien mené. Cet affrontement entre le picador et le toro, laissé seul à une grande distance, a su, par sa beauté propre, séduire et captiver un grand nombre de spectateurs et a suscité une demande pour qu'un tel spectacle se renouvelle plus fréquemment.


Mais considérons dans un premier temps les fondamentaux. A quoi sert le tercio de piques?
Tout d'abord, il constitue une étape essentielle dans le continu processus de transformation du toro depuis sa sortie du toril, pleine de fougue désordonnée, jusqu'à la conclusion de l'estocade. Il s'agit de rendre possible la suite du déroulement de la lidia : tercio de banderilles, puis troisième tiers. Pour cela, il est nécessaire d'ôter de la force au toro, de régler son port de tête et enfin de donner de la fixité à sa charge. Ce dernier objectif est particulièrement important dans la tauromachie moderne car la fixité va considérablement faciliter l'action du matador au cours de la faena. Il n'est pas sans intérêt de constater que c'est à partir de la fin du XIXème siècle, sous l'influence de Guerrita, que la manière de piquer a évolué vers la manière actuelle. Guerrita demande en effet à ses piqueros de sacrifier leurs chevaux afin que le toro puisse exercer une poussée plus longue et plus continue qu'auparavant. Carnage de chevaux et disparition définitive du prestige des picadors en seront les conséquences. Dès lors, le toreo à pied va lui aussi évoluer, Belmonte n'est pas loin et, après lui, la faena de muleta va prendre de plus en plus d'importance.
Mais le tercio de piques a un autre objectif : montrer la bravoure du toro. C'est un renseignement précieux pour le matador qui va pouvoir penser sa stratégie en fonction du comportement du toro face au picador. C'est bien sûr aussi un renseignement essentiel pour le ganadero qui pourra juger de la qualité de ses reproducteurs et faire éventuellement les ajustements nécessaires.
Je vois enfin une troisième fonction au tercio de piques : faire de la bravoure un spectacle. N'oublions pas, en effet, qu'une corrida est une relation entre trois parties : le toro, les toreros, et le public. Ce dernier est venu et a payé pour assister au combat des toros, il a donc le droit d'assister à un spectacle complet et non pas amputé d'une de ses parties. Tout dans le déroulement du premier tiers devrait logiquement être fait pour mettre en valeur ce combat.Le spectacle d'un toro qui charge le picador de loin est un spectacle grandiose qui fait vibrer tous les publics car il crée de l'émotion et de la beauté. En outre, montrer la combativité du toro et par voie de conséquence la valeur de l'homme qui l'affronte est la meilleure manière de mettre en évidence l'éthique de la corrida.
Ainsi tout le monde gagnerait à ce qu'un tel spectacle puisse devenir fréquent dans une plaza de toros.
En résumé, un tercio de pique idéal permettrait de rendre le toro propice à la suite de la lidia, de montrer sa bravoure (ou son absence, avec toutes les nuances qu'il peut y avoir entre ces deux extrêmes), d'apporter au public beauté et émotion (lorsque les qualités du toro le permettent).


Je voudrais maintenant examiner diverses propositions qui ont été avancées ces derniers temps dans le but d'améliorer le tercio de pique pour voir dans quelle mesure elles pourraient être adoptées et transformer les choses de manière positive. Étant entendu que, pour avoir une chance de réussite, une nouveauté doit d'abord être parlée, discutée, diffusée dans les esprits, demandée par le public, acceptée par les professionnels. Tout un processus dans lequel les aficionados peuvent et doivent avoir un rôle moteur.

  • La réduction de la taille de la pique
Il s'agit actuellement du point qui provoque, au moins parmi les aficionados français, le plus de polémique. Nous avons, d'un côté, les partisans du statu quo, qui estiment que la pique actuelle convient parfaitement pour réduire le toro puissant tel qu'il sort encore relativement fréquemment et que toute réduction est en réalité destinée avant tout à ménager le toro faible et sans race. Toute diminution de la taille de la pique est perçue par eux comme un cheval de Troie qui conduirait à la dénaturation du tercio de piques donc de la corrida.
D'un autre côté, les partisans d'une pique réduite, dite andalouse car elle correspond à la pique réglementairement utilisée en Andalousie, ont pour eux l'évidence des lois de la mesure en disant : "à pique réduite, dégâts occasionnés aux toros réduits". Parmi eux certains, plus radicaux, pensent que cette pique pourrait être simplement transitoire car ils préconisent le retour à une pique de type à limoncillo telle qu'utilisée au XIXème siècle. Dans ce type de pique, seule la puya (le fer) entre dans les chairs du toro et les lésions subies sont évidemment bien moindres.
Je dois dire , cher lecteur, que j'ai longtemps hésité avant de prendre parti. Dans un premier temps, j'ai été séduit par la simplicité de l'argumentation en faveur de la pique andalouse, puis par le romantisme que constituerait un retour à la pique minimale des débuts de la tauromachie. En fin de compte, quelques évidences me sont apparues. Le toro puissant encaisse sans problème particulier la pique actuelle. On a vu lors de la temporada passée plusieurs toros sortir pimpants de trois piques appuyées. De ce fait, toute réduction de la taille de la pique pourrait avoir un effet pervers contraire au but recherché, à savoir inciter les maestros à faire d'autant plus charcuter un toro jugé trop puissant qu'il sagirait de pallier à l'insuffisance d'une pique jugée trop peu efficace. Quant aux toros faibles et doux, ils resteront, quoi que l'on fasse, faibles et doux, une pique réduite ne leur donnera ni force, ni caste. J'en suis donc arrivé à la conclusion que ce problème est un faux problème, que la pique actuelle convient parfaitement car tout dépend en réalité de l'usage qui en est fait. Utilisée sans manœuvres frauduleuses (pomper, vriller, piquer à plusieurs endroits) et avec une intensité et une durée proportionnées à la puissance du toro, la pique actuelle me paraît parfaitement apte à châtier tous les toros qui sortent actuellement dans les ruedos de France et d'Espagne.


(à suivre)



Pablo Picasso Petit picador jaune 1889

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Velonero,

Entièrement d'accord avec ton analyse du "faux problème": le problème n'aest pas dans la taille ou la forme de la pique - voire la manoière de piquer, mais dans la "fureur" (trapio, poder, bravoure, caste) ou non du toro... Quant aux "faibles et doux", désormais on les sait - presque immanquablement ? - "indultables"; alors, là aussi, la forme de la pique devient un "faux problème".

Suerte para esta temporada - Bernard

Xavier KLEIN a dit…

Cher Velonero,
Mon adhésion à tes analyses ne t'étonnera guère.
Bien que la solution du limoncillo, revu et corrigé par les techniques modernes m'intéresse, car c'était la solution originelle.

Anonyme a dit…

Itou Cher Velonero ,j'ai la certitude que malgre vos combats ,vos analyses exhaustives votre amour pour un Fiesta intègre rien mais rien ne changera le mecenat s'en tape et seul le profit les interesse ...merci Simon et tous les autres