lundi 28 février 2011

Toreros para la historia 12 Rafael Ortega

  Rafael Ortega fait partie de ces toreros qui ne se sortent pas si mal de l'épreuve de la vidéo. On est séduit par son temple et sa pureté malgré sa propension, dans les années cinquante, à toréer de profil. Il y a dans le toreo de Rafael Ortega une dimension spirituelle qui donne de la grâce à un corps qui en est précisément dépourvu.
Tout avait pourtant mal commencé avec cette gravissime cornada qu'un toro de Bohorquez lui infligea en 1950 à Pampelune. Émouvante image que celle de ce corps inerte au centre du ruedo pamplonais.
Mais deux ans plus tard l'épreuve est surmontée et ce sera, à Malaga, le combat épique face à un toro muy encastado de Pablo Romero. On ne sait ce qu'il faut admirer le plus de la caste du pablorromero ou du courage et du pundonor du jeune maestro.
Au fur et à mesure du déroulement du film on prend conscience à quel point le torero de San Fernando (El Tesoro de la Isla) excelle dans les trois suertes qui constituent la base de la tauromachie classique : la véronique, la naturelle et bien sûr l'estocade où il illustre à merveille le sens de l'expression "corto y derecho".
On atteint les sommets à la fin du film avec son immense faena de la San Isidro 1967 lors de sa réapparition. Les festivals, enfin, où, à 60 ans bien sonnés, le maestro torée avec une classe, une pureté et une facilité insolentes.
Antonio Ordoñez dira de lui : "Rafael Ortega es el que mejor a toreado de todos nosotros." Et Antoñete : "El torero que mas me ha impresionado a sido Manolete y el que mas me ha gustado, Rafael Ortega, a quien considero ademas el torero mas completo y el que ha toreado con mayor pureza."




dimanche 13 février 2011

Propos sur la bravoure

Une discussion via internet avec Xavier Klein cet été à propos du comportement des novillos de Moreno de Silva à Parentis, plus récemment les propos de Juan Pedro Domecq affirmant qu'il était à la recherche de davantage de fiereza pour ses toros m'ont incité à mettre à nouveau au jour ce texte écrit il y a quelques années et que la revue Toros avait publié en 1995 (n°1495).

Chaque aficionado se rend aux arènes dans l'espoir de voir combattre des toros authentiquement braves. Chaque aficionado a rangé dans un tiroir de son jugement sa propre conception de la bravoure qui va de la minimale — un toro brave est un toro qui charge le picador sans fuir au contact de la douleur — à la plus élaborée, celle qui sert de critère aux membres de jury des corridas-concours.
Un détour par les dictionnaires nous permettra de mieux cerner toute la diversité que recouvre le mot. L'ita­lien, porté sur les arts, qualifie ainsi ce qui est beau et excellent. Bravo que signifiera au toro le public par ses applaudissements. La langue française, elle, fait preuve de malice : être brave c'est être courageux au combat mais aussi (par voie de conséquence diront les esprits frondeurs) être un peu couillon, un bien brave homme, une brave bête en somme. Brave bête justement que le toro brave puisque c'est celui qui se prête le mieux au jeu de l'homme et qui par son comportement offensif permettra aux bons toreros de triompher pleinement. Le très sérieux langage castillan ne se permet pas, bien sûr, une telle ironie avec un mot qui symbolise des vertus essentielles pour les compatriotes du Cid Campeador et de Don Quichotte de la Manche. Il a gardé en revanche la signification originelle du mot puisque, outre le concept classique de vaillance et de combativité ainsi que celui d'excellence, il fait la part belle à l'idée de férocité et de sauvagerie contenue dans le mot latin d'origine (barbarus : barbare, sauvage).
Voilà qui nous ramène à nos toros. Appliqué au toro de lidia tel qu'il est élevé par l'homme depuis maintenant quasiment deux siècles, ne faudrait-il pas écarter le terme de sauvagerie ? Celle-ci implique une idée de vie et de sélection naturelles qui s'applique de moins en moins aux conditions que l'on retrouve dans les ganaderias. En effet, le choix que l'homme exerce à travers les tientas, le par­cage des animaux dans des espaces limités, l'apport de nourriture artificielle sont des éléments en totale contradiction avec l'idée de sauvagerie. Les deux notions essentielles qui permettent de mieux définir les qualités d'un toro brave me paraissent donc être la comba­tivité et la férocité.
Dès lors qu'il se retrouve dans le cercle de lumière que représente pour lui l'arène, le toro subit des provocations incessantes et le toro brave est celui qui répond à toutes
ces provocations, qui combat sans cesse, qui charge tout ce qui bouge. Et ce combat, toujours renouvelé, que lui propose l'homme, maître du jeu, le toro brave doit le mener avec férocité. Mais qu'est-ce que la férocité d'un animal sinon la manière qu'il a de tirer tout le parti des avantages que la nature lui a donnés, c'est-à-dire pour le toro : la vitesse, la puissance, les cornes ? C'est ainsi que les charges du toro qui expriment sa bravoure doivent être vives et rapides (con alegria), de moins en moins, bien sûr, au fur et à mesure du déroulement du combat et de la domination de l'homme. Elles s'appuient sur la confiance qu'a l'animal en ses capacités physiques et en sa force. C'est pourquoi un toro dont la faiblesse trahit les intentions de combati­vité cesse d'être brave. Il aurait peut-être pu le devenir mais son incapacité physique l'en empêche car sur le sable de l'arène comme dans bien des domaines seule l'action compte et le toro sans puissance n'est pas en mesure d'agir : il n'est plus qu'un podagre inutile. Enfin le toro brave doit savoir se servir de ses cornes, il ne serait sans cela qu'un mouton suivant docilement un bout de chiffon. Mais que l'on ne croit pas que la somme de toutes ces qualités va faire surgir un fauve terrifiant qui mettra en déroute les coletudos et rendra impossible toute manifes­tation artistique. Bien au contraire : la vitesse dans la charge, la confiance qu'apportent au toro à la fois sa puis­sance physique et la paire de cornes dont il connaît l'usage, vont le pousser à attaquer avec franchise et rectitude, à aller jusqu'au bout de son effort, donc à avoir une charge longue. Ainsi, un tel toro sera de ceux qui font les triomphes importants.
Il m'a paru nécessaire de pouvoir définir la bravoure du toro de combat par ces généralités car elles évitent de réduire cette bravoure à des actions spécifiques (le toro brave doit mettre la tête comme ceci, les pattes comme cela, etc.) qui ont tendance à nous faire considérer l'ani­mal comme une mécanique que l'homme pourrait façonner à sa guise. Il n'en reste pas moins vrai que, depuis des lustres, les éleveurs, les professionnels de l'arène et les aficionados ont relevé des comportements quasi systémati­quement reproduits par les toros que l'on qualifie de réellement braves :
— charger et recharger les capes ;
— charger de loin le picador ;
— pousser, tête baissée, en s'appuyant sur les pattes arrière jusqu'à la chute du groupe équestre ;
— revenir plusieurs fois à la pique avec un compor­tement identique ;
— charger à l'appel des banderilleros ;
— les poursuivre à la sortie de la suerte ;
— charger et recharger la muleta ;
— avoir son terrain au centre et y mourir en luttant debout contre la mort.
Diamant étincelant émergeant des pierres brutes, toro rêvé par son ganadero autant que par les aficionados, l'in­dividu qui manifesterait un tel comportement ne peut surgir que du foisonnement de combativité et de férocité que l'on retrouvera chez ses frères de caste, même si leur bravoure ne s'exprime pas toujours de manière aussi typée.
Car pourquoi ne pas considérer que deux types de bravoure peuvent coexister ? L'une, qui est la bravoure de fond, s'exprime par la combativité et la férocité du toro, quelle que soit la variété des comportements qui la révèle. Elle est la meilleure garantie contre la dégénérescence des toros de combat en même temps que le vivier de l'autre bravoure. L'autre, en effet, en représente la quintessence et se caractérise par des actions types définies comme telles par l'homme.
Ces quelques réflexions n'auront pas été inutiles si elles contribuent à porter sur la bravoure un regard plus ouvert, qui n'hésite pas à s'éloigner des canons - certes nécessaires - mais que le temps a peut-être transformés en dogmes au détriment de la diversité de comportement du toro de lidia.

samedi 5 février 2011

Au détour d'un livre

Au détour d'un livre, parfois, la surprise d'une métaphore ou d'une comparaison taurine. Si elle est réussie, c'est un vrai plaisir pour le lecteur aficionado.
Ainsi dans La forme d'une ville, consacré à Nantes, Julien Gracq évoquant les équipes de rugby locales :
"Ses rencontres avec le Vélo-Sport Nantais (bleu et rouge : le derby local) et avec le R. C. Trignac, ''l'équipe des hauts fourneaux'', célèbre, comme Bilbao pour les taureaux géants de sa plaza, pour son pack de superbes brutes, blindées par la fréquentation quotidienne de l'acier trempé, électrisaient la foule indigène."

Mais pour l'écrivain le risque est grand. Celui, s'il ne maîtrise pas le sujet, de tomber dans l'approximation ou le ridicule.
Dans Microfictions un recueil de plusieurs centaines de très courtes nouvelles, toutes plus ignobles les unes que les autres (il faut sans doute être capable d'une lecture très distanciée pour en apprécier la charge venimeuse contre notre société), Régis Jauffret écrit dans la nouvelle intitulée Muleta : "Je l'ai achevée, en me servant de la pique comme un toréador de sa muleta."
Ce qui ne manque pas de laisser perplexe l'aficionado.

Même la grande Nathalie Sarraute, dans Les Fruits d'Or, perd un peu la notion des terrains : "Comme le toréador qui fait le tour de l'arène, traînant sa cape négligemment, attrapant au vol avec une désinvolte élégance les oreilles et la queue, les chapeaux, les souliers que des gradins on lui lance, il salue."
Dommage, la phrase est bien tournée mais les oreilles et la queue ne sont pas du bon côté de la barrière!





Usage habituel de la muleta