dimanche 27 septembre 2009

Paquirri

On le sait, les commémorations ont pour but de créer des repères symboliques forts qui permettent aux jeunes générations de se construire. Dans le monde de la tauromachie, chaque 16 mai on continue à évoquer la mort de Joselito. Sans doute pour nous rappeler l'incommensurable et vain orgueil de l'homme face à la nature. Oui, un toro a tué Joselito, le torero le plus savant et le plus poderoso de tous les temps! Oui, un toro a tué Paquirri, le torero le plus savant et le plus poderoso de son époque!
Il y a dans la fin tragique de Paquirri une dimension supplémentaire qui tient à sa lucidité et à sa grandeur lorsque, dans l'infirmerie des arènes de Pozoblanco, il fait face à l'affolement de son entourage, à la douleur des chairs labourées, à la mort qui vient.

Parmi les souvenirs me reviennent ses actuations à la feria de Bilbao 1979. Trente ans déjà! Je le revois face à ce sixième toro, un sobrero de Lisardo Sanchez qui était sorti comme un bœuf. On ne savait si c'était par mansedumbre ou défaut de vision toujours est-il que l'animal n'avait pas réellement chargé ni couru une seule fois lorsque Francisco prit la muleta. La bronca n'avait cessé durant les deux premiers tiers afin d'obtenir le changement du toro et continuait encore. On demandait maintenant au Gaditano d'en finir au plus vite. Vingt minutes plus tard, il franchissait la grande porte, a hombros, les deux oreilles du Lisardo en main! Par quelle alchimie Paquirri parvint-il à transformer cette bronca en triomphe, cet animal étrange en toro de combat? C'est assurément la marque des grands toreros que ce pouvoir-là.
Mais ce n'est pas tout. Au cours des deux contrats qu'il avait cette année-là à Bilbao, le maestro tua ses quatre toros de quatre grandes estocades. Le plus remarquable étant qu'à la fin de chacune de ses faenas le toro se trouva parfaitement cadré sans qu'une seule passe de aliño soit nécessaire. Et comme Francisco toréait avec l'épée de verdad l'estocade constitua, chaque fois, sans rupture d'aucune sorte, le couronnement de la domination du maestro.

lundi 14 septembre 2009

A moitié plein ou à moitié vide



Une corrida de Victorino MARTIN c'est maintenant, presque chaque fois, comme l'histoire du verre : on peut le trouver à moitié plein ou à moitié vide.
Commençons par le positif, le verre à moitié plein.
- le lot est d'un tamaño modeste mais homogène, cinq d'entre eux sont bien roulés, harmonieux, dans le type de la maison.
- braves en général au cheval sous 12 piques avec mention pour le 2 qui, après une sérieuse première rencontre, vient de loin pour une excellente deuxième pique (ovation au picador Chano Garrido). Après une forte pétition du public Porquesi sera honoré du mouchoir bleu présidentiel. Porque no? mais à condition d'être bien conscient que le toro n'était pas exceptionnel en soi, ce qui était exceptionnel - parce que trop rare - fut de voir simplement sortir un toro brave et noble. Bon toro également le 5.
- cinq toros nobles (attention là on s'approche du vide, si on se penche trop on tombe)
- le grand intérêt du sixième, Venezolano, une alimaña dont la lidia fut passionnante. Un toro déconcertant par ses changements de rythmes incessants; en effet, il alterna en permanence douceur de charge, accélérations, arrêts en milieu de suerte, brusques retours. Un vrai Chaviste.
Passons maintenant à la moitié vide du verre.
- le manque de trapío du cinquième toro, une sardine.
- la grande faiblesse du 3, frisant l'invalidité
- la grande soseria de 3 toros (les 1, 3 et 4). Manque de moyens physiques ou manque de caste? La question est posée...Personnellement, je pencherais pour le manque de caste lié à une recherche excessive de noblesse de la part des éleveurs (les trois étaient très nobles).
Heureusement qu'il y eut Venezolano pour nous rappeler, au final, qu'on avait bien assisté à une corrida de Victorino Martin et que c'est avant tout ce genre de toro qui fait la spécificité et l'intérêt de l'élevage.
La question que tout le monde se posait concernait bien sûr l'état physique et moral du FUNDI, de retour après les graves blessures que l'on sait. Alors le Fundi? Et bien, en un mot : rassurant. Certes sans brio particulier et devant deux toros nobles et fades qui, pour un torero de sa trempe, ne posaient pas de problème particulier. Mais de la confiance et de l'envie, en particulier avec son second. Le Fundi n'est pas fini et on peut espérer le retrouver tel qu'en lui-même la saison prochaine.
Alberto AGUILAR s'est inscrit dans la catégorie des bons seconds couteaux à qui l'on peut faire confiance pour animer l'après-midi.
David MORA se verrait davantage dans le rôle de l'artiste (magnifiques véroniques à son premier, c'est si rare) mais il n'éluda pas le combat avec le 6 même si son mince bagage ne lui permit pas de s'imposer au toro.

Porquesi face au piquero

lundi 7 septembre 2009

La corrida de Pedro Cordoba - citations

L'auteur souhaite donc un lecteur à la fois neutre et curieux, un non-aficionado qui ne se sente pas tenu de déverser des bannes d'injures sur ceux qui voient dans la corrida le plus beau spectacle du monde et y trouvent une exigence de courage et de vérité, peu habituelle dans une société où abondent les formes stéréotypées et maussades de l'imaginaire, la tarification de bonheurs insignifiants et les consensus majoritaires que suscite toujours l'absence de désirs. (Introduction, p.10)

La corrida émerge lentement dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, se développe, s'organise et se codifie tout au long du XIXème et son esthétique, telle qu'on peut l'apprécier aujourd'hui, a été créée par le torero Juan Belmonte peu avant 1920. La tradition, si tradition il y a, est particulièrement courte. Comme le flamenco - dont la chronologie est strictement parallèle - la corrida est un art contemporain. (La corrida, ça remonte à la nuit des temps, p. 13)

Les 450 000 hectares aujourd'hui consacrés en Espagne à l'élevage des taureaux de combat constituent des écosystèmes complexes où le taureau est roi mais où existent aussi une flore et une faune très variées, souvent en danger d'extinction. Actuellement préservé grâce à la corrida, cet espace naturel - la dehesa - serait lui aussi condamné à disparaître dans sa quasi-totalité. On trouverait à la place des OGM, des autoroutes et des lotissements. (Je suis écologiste, il faut laisser vivre les taureaux, p. 63)


Écologie et féminisme sont devenus deux forces politiques majeures, deux pouvoirs dans nos sociétés. Nul ne songerait à s'en plaindre si, les minant de l'intérieur, ne se manifestait en leur sein la tendance à communier dans les platitudes du "politiquement correct". Du coup, leur force de contestation s'en trouve érodée. Et ces mouvements finissent par basculer dans un conformisme du consensus où chacun peut se reconnaître, à condition de renoncer à penser par soi-même. C'est à cause de cette "pensée chewing-gum", infiniment sensible à l'air du temps, que les écologistes sont très majoritairement hostiles à la corrida alors qu'ils devraient la défendre. (Je suis féministe, la corrida, c'est pour les machos, p. 65)

Mais, pour l'heure, le combat, si peu démocratique, dans lequel sont engagés les militants anti-corrida, est déjà perdu : dans les régions où il est devenu signe d'identité locale, l'amour des taureaux ne fait que se développer. Parce que la corrida est un phénomène contemporain et aussi - mais ceci implique cela - parce qu'elle oppose des valeurs universelles à ce qu'il y a de plus irrespirable dans le monde actuel. (Conclusion, p. 121)

dimanche 6 septembre 2009

La corrida de Pedro Cordoba


Beau programme que celui de la collection "idées reçues" aux éditions Le Cavalier Bleu. Prendre les idées reçues pour point de départ, déceler leur raison d'être ou tenter de les déconstruire, tel est l'objectif de ces petits livres concis et percutants.
La corrida, particulièrement riche en idées reçues, était évidemment un sujet en or pour une telle collection. C'est Pedro Cordoba, maître de conférence à la Sorbonne qui s'y frotte avec un bonheur certain. De "Les Arabes ont amené la corrida en Espagne" jusqu'à "Le jeu est truqué, le taureau n'a aucune chance", en passant par "Je suis écologiste, il faut laisser vivre les taureaux", une vingtaine de propositions sont passées au crible de l'analyse historique et sociologique, pour être parfois justifiées ou nuancées, le plus souvent contredites.
Idéal pour offrir à vos beau-parents, beau-frère, belle sœur, gendre ou bru etc. qui vous prennent pour un drôle d'hurluberlu parce que vous préférez passer vos dimanches après-midi assis sur les gradins d'une arène plutôt que dans leur salon de jardin.
Le point faible du livre m'a paru être, surtout dans sa partie finale, l'excès de références théoriques et intellectuelles, un peu pesantes et donc susceptibles de rebuter une partie des lecteurs à qui s'adresse l'ouvrage. Le paradoxe veut que c'est peut-être cela qui en fait aussi un livre très intéressant à lire par les aficionados.

mardi 1 septembre 2009

Le frisson de la caste


Dès leur sortie en piste, il était perceptible, ce je-ne-sais-quoi qui fait la caste des toros braves. Ce petit frisson qui parcourt le toro de la pointe de la corne jusqu'à l'extrémité de la queue et qui impose aussitôt le respect dans le ruedo et sur les gradins. Il est précieux, ce frisson-là, d'autant qu'il est rare, à une époque où les éleveurs, pour complaire aux figuras, s'acharnent à l'ôter de leurs toros. Aussi l'ovation unanime qui monta à la fin de la course vers Cristina Moratiel, la responsable de l'élevage de Baltasar IBAN, est-elle le témoignage de reconnaissance de l'aficion pour nous avoir offert ce petit miracle : le combat de six novillos con casta, bravoure et noblesse.
Pour des débutants, la confrontation avec la caste est une épreuve de vérité qui tient presque du passage initiatique. Une mise à nue à laquelle chacun fit face avec ses moyens du moment.
Pour Angelino de ARRIAGA, ce fut l'échec. Une incapacité à supporter la charge galopante du 4 qui l'obligea à rompre et à se replier sans cesse. Pourtant il me semble qu'au passage le toro lui murmurait : "Reste tranquille, ne bouge pas, regarde comme je reviens vers la muleta à la fin de chaque passe, si tu restes quieto tu vas faire rugir le public de plaisir." Angelino a essayé mais il n'a pas pu. Échec digne, d'autant qu'il tua excellemment son premier.
Je n'ai pas compris la stratégie de Thomas DUFAU au second novillo de l'après-midi qui avait montré une grande bravoure au cheval sous deux piques poussées longuement. Le Landais construisit sa faena dans le terrain des tercios avec des cites rapprochés et un toreo de proximité qui étouffèrent en permanence le novillo. Stratégie délibérée par peur d'être débordé par la caste de son adversaire? En tout cas, sa réticence à toréer au centre et à citer de verdad m'a paru témoigner d'un manque d'ambition inquiétant. Une méchante vuelta de campana à la sortie de la deuxième pique laissa certainement des séquelles au cinquième qui avait montré jusque là une grande caste qu'il confirma au moment de la mort en luttant debout jusqu'au dernier instant. Il n'y eut pas de desquite possible.
Juan del ALAMO fut donc le seul à être capable de tenir le sitio et à toréer en tirant le toro au maximum et en liant les passes. Il y eut dans la faena au sixième, lorsque sa muleta réussit à s'accoupler avec le noble galop du novillo, des moments d'intensité extraordinaire. Le frisson de la caste, celle du toro et du torero réunis.

photos : une belle entrée
le second novillo de Baltasar Iban (marqué à gauche selon la tradition de l'élevage)