samedi 14 octobre 2017

Mes premiers victorinos, en guise d'hommage à Victorino Martin

   Victorino Martin, mort le 3 octobre dernier, dans sa ganaderia, à 88 ans, a été un immense ganadero. Depuis un demi-siècle, ses toros n'ont cessé de le prouver sur le sable des ruedos espagnols et français. L'hommage que je lui rendrai se fera donc à travers ses toros par l'évocation de mes premiers victorinos.

   C'est à Mont de Marsan en 1976, pour la première corrida des fêtes de la Madeleine que je découvris les toros de Victorino Martin. Ils faisaient leur présentation au Plumaçon; ils y connurent quelques lustres plus tard des tardes mémorables au point que, dans les années 90,la corrida phare de la feria, celle que tout le monde voulait voir (et qui bien souvent sauvait la feria de l'indigence) était celle de Victorino. De ce jour de présentation ce qui m'est resté en mémoire, outre la caste vive des toros, ce sont des couleurs. Le gris des toros bien sûr, mais aussi le gris verdâtre du visage décomposé d'Antonio José Galan qui connut, ce jour-là, une débâcle monumentale.

   Deux ans plus tard, en 1978, sur le sable gris de la plaza de Bilbao, les six magnifiques exemplaires de Victorino firent preuve d'une telle caste et d'un tel sentido que, durant deux heures et demi, l'intensité dramatique de la corrida fut portée à son comble. Manolo Cortes, Ruiz Miguel et Frascuelo firent front avec courage, ils s'en tirèrent avec les honneurs ... et indemnes. Le lendemain, dans la presse, Victorino disait de sa corrida qu'elle avait été une des plus difficiles qu'il ait jamais fait lidier.
  En 1980, toujours à Bilbao, la corrida portant le fer d'Albaserrada fut à nouveau de celles qui restent dans les mémoires. Ce jour-là, aux cinquième et sixième toros eurent lieu deux évènements qui sont, me semble-t-il, le témoignage parfait de ce qui constitue la richesse de l'élevage de Victorino Martin. Le cinquième toro fait preuve d'une grande noblesse, sa charge codiciosa, franche et claire est de celles qui permettent les grandes faenas. Et, de fait, Ruiz Miguel va le toréer supérieurement. Je me souviens des splendides séries de naturelles liées, templées, profondes que donnera le Gaditano. Cette faena fait partie encore à ce jour des plus belles que j'ai vues. Conscient de son grand œuvre il veut le parachever par un recibir mais il échoue et ne recevra qu'une seule oreille. Le sixième toro ne sera pas du même bois. Il coupe le terrain à la cape, est durement châtié aux piques, coupe le terrain aux banderilles où il met en difficulté la cuadrilla, coupe le terrain  et tire un derrote dès la première passe de muleta prudente que lui donne Currillo. C'en est trop pour le torerito qui avait déjà été mis en échec par son premier adversaire. Quelque chose d'irrépressible en lui dit "non", quelque chose de plus profond que la peur d'un instant : un effondrement de tout son être, signant définitivement l'échec d'une carrière qui n'a pas été ce qu'elle promettait d'être. Dès lors, Currillo, livide, n'a plus comme solution que de se réfugier derrière le premier burladero qui s'offre à lui, en l'occurrence celui du soleil, et d'attendre que sonnent les trois avis libérateurs. Pour les spectateurs le moment est pathétique. L'histoire retiendra de cette journée la déroute d'un torero modeste face à un victorino d'épouvante.

   1982 enfin, une année clé pour Victorino Martin, celle où, à la faveur de la corrida isidril du 1er juin, la fameuse corrida du siècle, il deviendra célèbre dans l'Espagne entière. (Il lui faudra toutefois encore attendre quelques années avant que l'Andalousie - et particulièrement Séville - le reconnaisse vraiment.) Je n'ai pas eu la chance d'assister à cette corrida mais, par bonheur, elle était télévisée et, très vite, des vidéos ont circulé dans l'aficion. Si l'on ne doit posséder qu'une seule corrida complète dans sa vidéothèque je pense que c'est celle-là. Ce jour-là, trois des six toros (les 1, 2 et 4) accomplirent de grands tercios de varas, prenant chacun trois piques avec une bravoure et un poder extraordinaires. Ces trois toros ont placé la barre très haut et restent à ce jour des "mètres étalons" de ce que peut être la bravoure d'un toro de Victorino. Deux (le 1 et le 5) furent également d'une grande noblesse, le cinquième faisant même preuve d'une charge pastueña, à la manière des saltillos mexicains. A nouveau était mise en évidence la coexistence dans l'élevage de toros d'un grande âpreté et d'autres d'une grande noblesse.
   Au delà de cette dichotomie, un dénominateur commun me parait caractériser le toro de Victorino, c'est la codicia. Cette soif, ce désir véhément d'attraper, de se rendre maitre de la situation font d'eux des combattants redoutables, mais aussi, si le torero possède la technique et le courage nécessaires permettent les triomphes les plus retentissants.

   La grande réussite de Victorino est d'être parvenu à créer ce qu'il disait qu'il voulait créer : un toro encasté qui apporte à la fiesta de los toros la vérité qui lui manque trop souvent. Qu'ils soient durs, intraitables où bien francs voire pastueños, les toros du sorcier de Galapagar sont quasiment tous des toros de caste, des toros avec de la "personnalité". Ils transmettent de l'émotion et tolèrent mal les erreurs ou approximations des toreros.
   Son autre grande réussite est d'avoir mené sa ganaderia pendant quarante ans en maintenant un même niveau de qualité. La comparaison est cruelle avec les autres ganaderos.
   Pour tout cela, pour toutes les joies que vous avez procurées à l'aficion, Merci Monsieur Victorino.
















Victorino Martin Plumaçon 2014 (photo Laurent Bernède)

2 commentaires:

Frédéric a dit…

Très bel hommage à quelqu'un qui a fait vibrer tous les aficionados et qui restera à tout jamais dans les coeurs. J'ai encore en mémoire les fameux mano à mano Tato/ Liria à Mont de Marsan et tant d'autres courses. A titre personnel, je trouve regrettable que depuis l'arrivée de son fils aux manettes, le premier tiers ne soit visiblement plus la priorité du ganadero. Les toros de Victorino père étaient des toros complets dans les trois tercios, malheureusement, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Dommage !

Frédéric

velonero a dit…

Merci pour ton message Frédéric. J'ai l'intention de dire un mot ces prochains jours sur les victorinos d'aujourd'hui.