mardi 31 mars 2015

Toreos (4)




















 Je relis ce que j'ai écrit dans les textes précédents sur le toreo et je m'aperçois que ce ne sont que des mots, des mots qui classent, qui catégorisent et donc qui séparent (le bon grain de l'ivraie?). Dans la réalité de l'arène bien souvent tout se mélange : le pur et l'impur, le classique et le moderne, le sincère et le ventajista.


   Rien n'est immuable dans le style d'un matador. On a vu une figure du toreo tremendiste, Pedres, devenir un maestro classique. Je me souviens avoir admiré à Madrid, à la fin de sa carrière, l'art épuré d'Espartaco. Et Frascuelo, aujourd'hui icône du toreo pur, avait commencé à se faire une place comme torero bullidor y valiente avant qu'une terrible blessure reçue à Bilbao en donnant une larga a puerta gayola ne l'écarte du circuit. Non, rien n'est écrit : "Chaque homme doit inventer son chemin".


   On a parfois l'impression qu'il n'y a plus de place que pour le toreo moderne. Pourtant José Tomas, Morante de la Puebla, El Cid, Ivan Fandiño, Diego Urdiales n'y ont recours qu'accessoirement. Et ces cinq toreros, dans l'histoire taurine de ce début de siècle, pèsent lourd, très lourd.


   Il existe des formes de toréer qui ne passent pas obligatoirement par cette ligne de partage entre classique et moderne. Lorsque l'aspect physique, la puissance, la malignité du toro imposent à l'homme un combat qui semble disproportionné, nous entrons dans le domaine de l'épique. Archétype de cette situation : Alberto Lamelas et Gabin Rehabi face à Cantinillo de Dolores Aguirre (Vic 2014). C'est l'essence même de la tauromachie et c'est, paradoxalement, une circonstance exceptionnelle car elle n'est possible que lorsque se rencontrent un toro extrêmement puissant ou particulièrement difficile à lidier et un torero extrêmement motivé. Dans les temps anciens, lorsque le cheval n'était pas protégé et le picador encore une vedette - en témoigne toujours l'or de son costume - c'est le premier tercio qui était celui de l'épique. Aujourd'hui, le cheval ultracaparaçonné et la volonté de préserver la mobilité du toro pour la faena de muleta ont le plus souvent réduit le tercio de pique à une simple formalité.


   Il est  temps maintenant de rappeler que le toreo n'existe pas en soi. Il est l'art de toréer ... un toro et dépend donc entièrement de cet élément premier qu'est le toro de combat.


   Ce qui rend le toreo - qu'il soit  moderne ou classique - passionnant c'est, pour le spectateur, la capacité de percevoir de quelle manière le torero adapte sa stratégie aux qualités ou défauts du toro, mais aussi de quelle manière il transforme le comportement du toro pour l'adapter au toreo qu'il veut réaliser. Il y a dans cette alchimie dialectique, portée par le courage et l'intelligence du matador, démonstration de la domination de l'homme sur la bête, une grandeur qui fait toute la richesse et la valeur du toreo et de la corrida.


   L'ennui c'est la recherche d'une trop grande facilité, qui conduit l'aficionado à se désintéresser de ce qui n'est plus un combat. Chaque fois que le rapport de force leur a été favorable, les figures et leur entourage ont cherché à imposer le toro jeune, voire afeité. Aujourd'hui, certains ganaderos tentent d'élever un type de  toro dont l'âge et l'apparence physique sont irréprochables mais dont la bravoure est si proche de l'innocence qu'il donne l'impression de se faire la faena lui-même. Dès lors peut-on parler de toreo? A moins que cette impression ne vienne de l'excellence des hommes qui les toréent, rétorqueront certains...


   Au delà des préférences de chacun, il me parait normal et sain pour la tauromachie qu'une temporada taurine offre aux publics la possibilité de voir toute la palette des différents toreos. Variété indispensable en ce qui concerne les styles, les formes de toreo mais variété non moins indispensable en ce qui concerne les toros, donc les encastes. En agissant pour imposer cette variété aux organisateurs, les aficionados évitent à la corrida de sombrer dans le prévisible et l'uniformité qui la réduiraient à n'être plus qu'un produit standardisé que l'on vend à des consommateurs à l'occasion des ferias.


Jackson Pollock  Number 8   Neuberger Museum  New York








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