dimanche 16 septembre 2007

Philosophie de la corrida de Francis Wolff


Je viens de terminer la lecture de Philosophie de la corrida de Francis Wolff et je suis encore sous le charme. Ce livre me paraît être le plus important ouvrage écrit sur la tauromachie en France au cours de ces dernières années.

Il est d'une rigueur d'analyse implacable et en cela il est très français. Les Espagnols qui nous reprochent d'aller aux arènes avec un livre à la main (ou dans la tête) vont avoir de nouvelles et sérieuses raisons de nous brocarder. Mais, si pratiquement rien de la corrida n'échappe au décorticage du philosophe, les propos ne sont jamais austères car toujours écrits dans un style clair et rendu vivant par des exemples pris dans l'histoire et l'évolution de la tauromachie ou dans la somme des souvenirs taurins de l'auteur. Ainsi la terrible cornada de Raul Aranda à Bilbao en 1973, l'extraordinaire poder de Chivito de Pablo Romero à Pampelune en 1981 (au passage une petite erreur, c'est Luis Francisco Espla qui lui était opposé et non José Antonio Campuzano), la mort de Carafea de Dolores Aguirre en 1996 à Nîmes, lui permettent de développer son argumentation sans le moindre ennui pour le lecteur.

Voici, en espérant mettre l'eau à la bouche de futurs lecteurs, quelques sujets traités par le livre:
- qu'est-ce que la corrida? (et qu'est ce qu'elle n'est pas)
- de nos devoirs vis à vis des animaux en général et des taureaux de combat en particulier
- pourquoi le toro meurt
- être torero
- une analyse du toreo de Paco Ojeda, de José Tomas ainsi que de Sébastien Castella et d'Enrique Ponce
- la corrida comme art et comme combat
- l'alchimie singulière du plaisir taurin.

En cette époque où les attaques contre la corrida sont particulièrement médiatisées, il est important que nous soyons capables de nous défendre. A ce titre, le chapitre 1 qui traite de nos rapports avec les animaux est une véritable mine d'arguments. La force de la pensée de Françis Wolff réside non pas dans la qualité d'arguments défensifs mais par le fait que, retournant résolument la situation, il montre en quoi les aficionados sont en réalité tout à fait exemplaires dans leurs rapports au monde animal. Le philosophe récuse le concept d'animal: "nous nous plaçons face à toutes les autres espèces, nous les baptisons globalement du même nom ''animal'', et ce faisant nous nous établissons en maîtres et législateurs d'une Nature dont nous ne ferions pas partie...Non, l' ''animal'' n'existe pas. Ce qui existe, c'est une extraordinaire prolixité de la vie, avec une prodigalité non moins extraordinaire de ce que l'on peut appeler les espèces animales, les millions d'espèces, toutes différentes, parmi lesquelles l'homme occupe une place singulière, d'où il tient sa capacité à reconnaître des valeurs et son pouvoir de s'imposer des normes." Il s'agit donc de considérer chaque espèce particulière dans sa spécificité et d'adapter notre conduite à ce qu'est chaque espèce pour nous. Ainsi nous devons être affectueux avec notre chien mais n'avoir aucune hésitation à écraser le moustique qui veut nous piquer. Quant au toro brave, "de toutes les espèces animales que l'homme s'est appropriées pour servir ses fins, de toutes les espèces qui peuplent l'imagination des hommes, un des sorts les plus enviables n'est-il pas celui de cet animal qui vit librement pour mourir en combattant? Comparez!"

Ce livre est d'une telle richesse qu'on peut l'ouvrir à n'importe quelle page et trouver dans la lecture de quelques lignes matière à réflexions personnelles. C'est pourquoi j'y reviendrai au cours de cet hiver, essentiellement par des citations.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je viens moi aussi d'en terminer la lecture - à l'instant.
C'est effectivement un ouvrage que nous pouvons qualifier de fondamental, un nouveau classique (si l'on me passe l'expression) de la littérature taurine. Ce livre présente d'indéniables qualités: richesse et variété des exemples; une pensée claire, précise et toujours argumentée; etc. (tout a déjà été dit dans l'article). Un autre atout, non des moindres, est l'approche proposée par Wolff: il multiplie sans arrêt les points de vue sur la corrida. En fait, chaque chapitre peut-être considéré comme un point de vue différent. Je m'explique. Prenons le chapitre consacré à l'art "voir la corrida comme un art". Wolff ne nous impose pas de voir la corrida comme un art, il nous propose d'examiner la corrida sous l'angle artistique. Dans un autre chapitre, il nous propose de voir l'aspect agonistique de la corrida, et ainsi de suite. C'est un texte sur la richesse de la corrida, sur les différentes facettes de la corrida. Et Wolff de nous montrer que tout le plaisir taurin vient de cette diversité. Seul bémol à mon goût: un ouvrage un peu trop long, ou plutôt un ouvrage un peu trop mou. Il n'y a pas de fulgurance de la pensée, pas d'accélération soudaine du propos qui nous soulèverait le ventre, un peu comme lorsque le toro effleure le torero... Le texte se déroule sur un mode de croisière. Mais il est possible de faire de cette "faiblesse" un atout: l'ouvrage est de ce fait extrêmement abordable, quiconque n'a jamais lu d'ouvrages de philosophie ou d'essais peut sans risque aucun se lancer dans cette lecture. Un livre à la fois pour aficionados donc, mais aussi (et c'est peut-être le plus important) pour tous les curieux et les non-initiés.

AD